La "djenan" de David DURAN, charmante maison de campagne aux formes simples et naïves, tout en colonnades hispano-mauresques blanchies à la chaux, éblouissait de sa lumière indigo la symphonie d'azur qui lui servait d'écrin.
Les notables de la ville s'étaient pris d'une véritable passion pour ces demeures protégées des regards indiscrets par une situation enviable à la lisière des bois, conçues pour l'apaisement de l'âme et le repos de l’esprit. Plus d'un millier d'entre elles jalonnait l'immensité verte, s'éveillant à la belle saison avec les citadins qui envahissaient leurs maisons de campagne.
David DURAN y résidait tout au long de l'année, goûtant aux joies de la famille sous une voûte céleste offerte, humant les parfums des jardins d'Orient, le regard perdu vers l'horizon d'argent.
La lourde porte armée de ferrure, restée grande ouverte en cette journée bénie des dieux, invitait le passant à prendre un rafraîchissement en l'honneur du bébé, dans le gracieux patio intérieur où les perles d'eau d'une fontaine perpétuelle pianotaient sur le petit bassin, naufrageant quelques nénuphars égarés en ce milieu aquatique agité.
Eventré par une main habile, un poisson bleu, synonyme d'abondance, répandait son sang près du berceau, avant de griller sur les braises ardentes du "kanoun". La "fée verte" entretenait l'incendie allumé par les petits piments rouges, pyromanes originaires de Cayenne, déposés sur les lèvres et aspirés par des bouches gourmandes. La confiture de coing rassasiait les enfants qui se régalaient des mille friandises confectionnées par la petite mémé. Aïcha BIBAS, reposée au creux du fauteuil réservé habituellement au Maître de séant, s'alanguissait dans le jardin exubérant qui véhiculait les effluves de ses arbres fruitiers au-delà des murs de la "djenan".
Caressé par une brise délicate, le petit Léon, ses grands yeux noirs rivés sur la splendeur du ciel d'EL DJEZAÏR, profitait des derniers rayons de soleil qui endimanchaient le patio. A l'abri du lit balancelle offert par le Dey à son fidèle "oukil ", il attendait, l'heure de sa circoncision. La petite mémé, suivie de quelques femmes de la famille, déposa le nouveau-né vêtu d'une minuscule "gandourah", sur un grand coussin blanc puis pénétra dans la salle où se tenait David, assis sur la "chaise du prophète Elie". Conformément au rituel de la circoncision, le "chemach" se chargea de transférer, de la synagogue à la maison des DURAN, siège de velours rouge et dossier sculpté dans le bois, le trône de l'enfant-roi.
En présence des dix adultes israélites qui constituent le "tmenian" indispensable à toute cérémonie religieuse, le "mohel" effectua sa "milah" avec dextérité, limitant les pleurs du nouveau-né à quelques secondes. La douleur endormie par un chiffon imbibé d'eau de fleur d'oranger à sucer, Léon Juda entendit à peine les you-you de joie qui ponctuèrent son premier pas dans l'éternelle errance du judaïsme sépharade.
Le miel coula à flots et le "henné" teinta de rouille et de brun le front du nouvel élu de Dieu. L'orchestre judéo-arabe entama, alors son aubade de bienvenue au coeur de la "djenan"de David et Aïcha, envahie par les trémolos plaintifs des violons et des chants orientaux.
Allégresse d'une journée bénie par le souffle puissant de l'Eternel mais, aussi, témoignage de la douleur du peuple juif humilié depuis des millénaires qui, toujours, renaît de ses cendres par le cri d'un nouveau-né.
A EL DJEZAÏR comme à BABYLONE, à TOLEDE comme à KAIROUAN, à ALEXANDRIE comme à CONSTANTINOPLE, à SALONIQUE comme à AMSTERDAM, le judaïsme avait payé un lourd tribut à l'intolérance des hommes et des pouvoirs. Les "haras", les "mellahs", les porcheries servirent de quartiers aux enfants de MOÏSE. La Régence ottomane leur réserva un sort identique et, si elle permit le développement d'une aristocratie israélite, ce fut pour utiliser, à son profit, la prévarication, l'appât du gain, la connaissance des monnaies, l'habileté commerciale, le savoir linguistique qui devinrent, alors, d'indispensables vertues.
YYY
A SUIVRE......
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