mercredi 27 juillet 2011

IL ETAIT UNE FOIS BAB EL OUED de hubert zakine -34 -

Théâtre de bonne humeur et de bon voisinage, le balcon prolonge l’amitié dans des discussions qui se terminent souvent avec les premiers bâillements. Dés le matin, le décor apparaît dans sa majesté aux buveurs de café. On échange des bonjours ensommeillés puis les femmes en quête de menus bavardent sans discontinuer.
Lorsque le balcon prend ses quartiers d’été, la salle à manger déporte ses convives à l’abri du « rideau de soleil » où l’on déjeune chez soi et chez les autres, le voisinage s’emparant sans ambages de  la discussion d’autrui. Sans se voir, entre deux bouchées, on s’interpelle, on se chahute, on prend rendez-vous pour la belote ou le cinéma.
Puis le balcon revient à sa fonction première qui semble avoir été inventée sous le ciel brûlant d’Afrique du Nord, par des gens qui se flattent de posséder l’une des plus importantes vertus humaines : la faculté de prendre le temps de vivre. Quoi de plus délicieux et de plus jouissif que de prendre le temps de se « taper une bonne sieste à l’ombre d’un rideau de soleil après un bon repas », entendre dans un lointain coma les bruits étouffés d’une rue endormie, s’anéantir au creux d’une chaise longue épousée par le corps et l’esprit, bercé par le doux murmure d’un rivage indolent. La sieste, « cette façon de faire l’amour à la nature sans se fatiguer », semble née pour les gens de Bab El Oued quand l’été accomplit son œuvre de somnolence. Rester des heures les yeux ouverts dans la contemplation de l’instant, jouir du plaisir de ne rien faire, de ne rien penser, de ne rien voir, le regard fixé sur l’infini. Quel bonheur !
Le café au lait de l’après-midi réveille les plus ensommeillés. Tout en surveillant du coin de l’œil leur progéniture dans la rue, les femmes reprennent le cours de leur discussion interrompue le matin à l’heure de la préparation du « repas des fauves ». Le soir, le balcon s’habille de bruit et de fureur. Dès le souper avalé, chacun se rue sur ce forum des humbles gens qui assistent au cinéma de la rue sans débourser un sou. Les gosses accaparent un coin de balcon pour converser un peu trop bruyamment au goût des adultes ou pour échanger des illustrés en utilisant un ingénieux système de panier accroché à une corde à poulie qui  relie les balcons.
Cette tribune politico-sportive trouvera dans les événements d’Algérie une façon originale de se faire entendre du reste de la ville en répercutant  la colère de tout un quartier. Selon une tactique bien naïve, un concert de casseroles assourdissant s’évadait, alors, des balcons et des terrasses, ricochait de quartier en quartier pour se fracasser sur la colline de Notre Dame d’Afrique avant de sombrer dans la mer. Inutile de dire que les femmes se désolaient le lendemain en constatant la déformation « politique » de leur batterie de cuisine. Mais même au plus fort de la tourmente, le faubourg conserva la bonne humeur qui transformait une manifestation de leur angoisse, de leur colère et de leur désespoir en un jeu dérisoire.
Bab El Oued encourage l’exubérance. Est-ce la nature violente des pionniers, la terre sauvage à dompter, le combat permanent à mener, est-ce tout simplement le bonheur de vivre là où sont enterrés les anciens, là où les yeux se sont ouverts, là où le ciel et la mer  embellissent chaque geste, amplifient chaque élan, exagèrent chaque phrase? Toujours est-il que le son le plus répandu sur cette terre bénie des Dieux claque comme le drapeau tricolore aux quatre vents de l’amitié, dévalant en cascades tonitruantes sur les vagues d’une Méditerranée en folie et ricoche sur les murs des cafés aux comptoirs anisés.  Message d’amitié et de complicité, le RIRE se  porte en bandoulière au stade comme au cinéma, à l’école comme à la plage, à la rue comme au jardin. Il accompagne les souvenirs de jeunesse  et les repas au balcon, les réussites aux examens et les billets de satisfaction,  il joue avec les larmes du bonheur.

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