vendredi 15 juillet 2011

IL ETAIT UNE FOIS BAB EL OUED de hubert zakine -32 -

CHAPITRE QUATRIEME
MŒURS ET TRADITIONS
Des hommes, des femmes, des enfants……..
La famille, l’amitié, le football, le café et la plage suffisent au bonheur des Bab El Ouédiens qui n’aiment guère « se casser la tête » avec le superflu. Les fils et filles des pionniers se réalisent dans le concert vibrant de ce quartier. Ils « montent en ville » rarement et fréquentent les plages de Padovani, l’Eden et le petit chapeau qui bordent le faubourg plutôt que s’exiler sur la côte turquoise d’Alger.
En fait, ils disposent de tous les avantages d’une grande métropole sans en subir les inconvénients. Neuf cinémas, une dizaine de jardins, deux grands marchés, des commerces à foison, des sociétés sportives, des industries, des cliniques et des hôpitaux, une gare,  des banques, tout ce qu’il faut pour se sentir bien chez soi et chez les autres car ici, le voisinage est synonyme d’amitié.
La politique est une épine dans le pied de Bab El Oued. Les gens du faubourg rêvent d’une vie meilleure, synonyme d’un appartement clair et aéré, un salaire correct, des enfants scolarisés et au dessus de leur tête, le drapeau français à la fois protecteur et nourricier. Tout le reste nage au large des préoccupations de ce peuple fort en gueule et en bras mais  dont la naïveté désarme parfois.
Comme chez tous les gens simples, les gens d’ici aiment les choses simples. Un match de football enivre les hommes, une réunion de famille comble de joie les femmes, la richesse du cœur portant ombrage à toutes les richesses du monde.
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Très fleur bleue, la femme de Bab El Oued partage les joies amoureuses comme les déceptions sentimentales de toute la gent féminine. Aucune femme digne de ce nom ne demeure insensible au malheur. Elle verse un torrent de larmes au cours d’un film mélodramatique ou se fait traiter de « sans cœur » ou de « cœur de pierre »  si elle n’épouse pas le malheur des autres .
Jeune épousée ou mère de famille, elle aime « sa » maison comme elle aime son mari, ses enfants et ses parents , avec la démesure qui la caractérise. Avec une volonté animale, elle marque son territoire qui longe les murs de son appartement, de la cuisine à sa chambre, du balcon à la terrasse de l’immeuble où elle effectue sa lessive une fois par semaine selon une règle établie dans les pays de Méditerranée.
Même si elle se fait aider par une « fatmah » pour les tâches ménagères, elle ne laisse à personne d’autre le soin de diriger tout son petit monde. Ministre des finances avec le salaire de son mari auquel elle remet son argent de poche, ministre de l’éducation nationale avec ses enfants dont elle suit les études du mieux qu’elle peut, ministre de la famille avec sa tribu en arrondissant les angles à grands coups d’amour, la femme du faubourg pareille à ses semblables du pays tout entier, tour à tour maman-gâteau, maman-mansuétude, maman-tourment est la poutre maîtresse, l’épicentre, la base de sa famille. Elle répugne à montrer à l’improviste, une maison aux lits défaits. Aussi chasse t-elle les enfants des chambres sitôt levés afin de « mettre de l’ordre » puis range « le bagali » de la cuisine après le petit déjeuner. La maison subit alors las assauts répétés de « madame propreté ». Astiqué au « Mécano », le cuivre prend l’aspect du neuf, le baquet et la planche à laver fonctionne à plein régime, l’armoire au linge impeccablement rangé embaume l’appartement de ses bouquets de lavande disposées sous les piles de draps pliées « à l’équerre ».
La maîtresse de maison apprécie particulièrement le carrelage pour sa facilité d’entretien  à l’aide d’un simple « chiffon du parterre ». Parfois, elle achète à un vieux musulman descendu des plaines de son Djurdjura natal, un tapis oriental qui ne fait pas long feu car « ces nids à poussière, y m’usent la santé ! ».
Qu’elle soit locataire ou plus rarement propriétaire de son appartement, la femme de Bab El Oued fait corps avec ce symbole familial qui bien souvent parle du passé par la voix de parents disparus  qui vécurent toute leur vie dans cet espace ouvert sur le bonheur.
La maison du faubourg reçoit l’improviste avec le sourire. Toujours bienvenu, il se voit retenu à déjeuner et s’il est un familier, un matelas parterre accueille son sommeil.
Sans chi-chi ni état d’âme, il accepte l’invitation ou la refuse selon son humeur ou son emploi du temps.
Dans ce pays où l’on bannit la solitude, on reçoit avec plaisir en « mettant les petits plats dans les grands » car les femmes de ce pays et de ce quartier n’imaginent pas un seul instant accueillir la famille ou l’étranger dans une maison en désordre. La réputation d’une femme « bien comme il faut » rejaillit infailliblement sur toute la famille. Aussi, se fait-elle un devoir de faire briller son « chez elle »comme un sou neuf.
L’homme se contente souvent d’apporter son salaire à la maison mais le travailleur jouit d’un tel respect en ce pays que celà est perçu comme une normalité. En cas de coup dur, l’homme reprend la main au sein de la famille mais souvent se repose sur son épouse pour les petits tracas de la vie. En bon méditerranéen !
Quant aux enfants, ils attendent avec impatience le jour du mois qui est dévolu à leur famille pour prendre possession de la terrasse de l’immeuble. Malgré les balcons qui décorent les façades du linge séchant au soleil, certaines maîtresses de maison préfèrent s’adonner à la lessive «  en grand » dans la buanderie prévue à cet effet. Aidée par la « fatmah » ou une voisine qui « lui donnent la main », la mère de famille s’escrime en frottant une brosse à chiendent sur le linge « qu’il est tellement sale qu’il est bon à jeter ». Pendant ce temps, les enfants admirent le spectacle vertigineux de la Méditerranée qui accompagne l’avenue Malakoff jusqu’à Notre Dame d’Afrique. Une fois acclimatés à ce décor grandiose, l’enfance égrène tous les jeux qui exigent espace et aération. Plus tard, vient l’heure de l’étendage. La brise légère  et le soleil maquillent alors la terrasse en vaisseau corsaire. Toutes voiles au vent, la « caravelle » prend la mer cuirassée d’or et d’argent pour un voyage au long cours vers une terre lointaine et inconnue..........
Quelques années plus tard, la réalité dépassera la fiction et les terrasses du bout du monde poussées par un vent mauvais débarqueront un million d’hommes, de femmes et d’enfants sur l’autre rive de la Méditerranée...........

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 A SUIVRE.........




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