Bordée d'oliviers séculaires, d'orangers odoriférants et de grenadiers spontanés dont le fruit rouge au goût sucré et acide désaltérait le voyageur, la plaine vibrait de lumières capricieuses au gré des heures, virant du bleu froid de ses nuits étoilées à l'incandescence de ses aurores triomphantes, au ravissement des quelques privilégiés qui habitaient les "fahs ", ces océans de verdure, hors les murs de la cité.
A l'intérieur de sa calèche, une des rares d'EL DJEZAÏR, conduite avec fierté par Ali BEN RAÏS, bien calé sur la banquette de bois tendre, David DURAN vit apparaître la ville blanche au détour de la seule voie carrossable qui s'ouvrait sur la porte BAB AZOUN.
Avant d'emprunter la longue descente poudreuse qui glissait voluptueusement vers le faubourg, Ali BEN RAÏS stoppa son attelage pour désaltérer son maître et ses deux chevaux.
C'est une bien jolie croyance religieuse musulmane qui invitait les nantis à bâtir ces fontaines disséminées sur la tortueuse route intérieure pour abreuver le passant accablé par la brûlure d'un soleil généreux.
Les environs d'EL DJEZAÏR regorgeaient ainsi de ces sources rafraîchissantes qui s'intégraient harmonieusement dans le paysage grâce à une architecture orientale affirmée, enchâssée de mosaïque multicolore. Ces haltes bienfaisantes sur le pas du voyageur fatigué, héritaient d'un complexe fontaine-kouba café-abreuvoir dû à la générosité de riches donateurs dont le nom était immortalisé dans la pierre afin que lui soient adressés, de son vivant, mille et une louanges de la part des visiteurs. A sa mort, le mécène-bienfaiteur reposait à l'intérieur de la "kouba" et son âme rejoignait le paradis d'ALLAH.
Zone de passage obligée entre la ville et la campagne, distantes de quelques lieues, le faubourg BAB AZOUN étirait ses sentiers escarpés où se regroupaient activités nuisibles ou exigeant espace et aération. On y tannait les peaux, on y abattait les bêtes, on y entreposait le charbon de bois, on y trouvait toutes sortes de marchés aux abords des "fondouks", établissements à fonctions multiples, à la fois entrepôt, lieu d'échanges, d'hébergement et de négoce. La calèche s'ébranla en douceur, délaissant les commerces de nuisance pour le quartier noble et les rues couvertes d'EL DJEZAÏR. Elle franchit au pas la porte BAB AZOUN, l'une des six entrées qui reliaient entre elles les fortifications de la ville, sa citadelle, son port et le reste du pays.
David DURAN fit stopper la calèche devant l'échoppe de Jacob SERROR, l'orfèvre du quartier de la "JENINA".
YYY Centre du pouvoir ottoman, résidence du Dey HASSAN PACHA et de tous les souverains qui s'étaient succédés avant lui, le Palais de la "JENINA" s'abritait à l'ombre d'un parc luxuriant, découvrant de mignons pavillons mauresques dévolus aux serviteurs de la Régence, aux activités commerciales et au harem. La maison du Sultan, "Dar el soltan", voisine du "Souk-el-kébir", place où tout se vendait et s’achetait, s’ouvrait sur une grande bâtisse de trois étages de style andalou rafraîchie par un petit jardin, "JENINA" en arabe. Pour accéder à la chambre forte où le Dey amassait le Trésor de la "Course", il fallait montrer patte blanche au garde noir qui veillait au grain dans sa guitoune verte, entrer dans la "skifa" par la lourde porte cloutée, accéder au bureau du Dey dont la vue plongeait sur les deux petites mosquées à l’intérieur de l’enceinte, traverser la grande salle de réunion du "Diwan" sous l’œil d’une cinquantaine de janissaires, garde rapprochée du Régent.
David DURAN s'y rendait parfois, prié par le Dey ou par quelque dignitaire du régime pour traduire textes et ordonnances transmis par les consuls étrangers ou bien, pour effectuer le change des multiples monnaies qui envahissaient le pays.
Le père de Léon Juda jouissait d'une grande considération au sein de la "JENINA". Son érudition, ses six langues parlées et écrites, ses connaissances mathématiques et le prestige associé au nom des DURAN depuis près de quatre siècles, lui valaient mille attentions de son entourage. D'autant qu'il restait l'un des rares banquiers de la Régence à maîtriser le change des innombrables moyens de paiement du pays confrontés aux ducats espagnols, à la lire italienne, à la livre sterling britannique ou au franc français.
Le Régent le savait et, à l'instar de quelques autres négociants israélites et musulmans, il ne pouvait se passer des services du "juif DURAN".
L'échoppe de Jacob SERROR ne différait point des autres boutiques artisanales qui s'alignaient le long de la rue BAB AZOUN. Un escalier de cinquante centimètres invitait le client à demeurer sur le pas de la porte de l'antre minuscule où le vendeur, assis en tailleur, proposait sa marchandise créée devant le passant médusé de tant d'habileté et de savoir-faire.
Coiffées de voûtes à verrières, la rue BAB AZOUN déclinait en son milieu pour l'évacuation des eaux déversées par les commerçants pour rafraîchir cette étuve naturelle où se réalisaient de très nombreuses transactions dans un concert assourdissant de palabres, de cris et de vociférations.
David DURAN commanda à son ami une main de "fatmah" pour protéger son fils du "mauvais oeil" et un sautoir en or fin pour son épouse avant de se rendre au Temple SARFATI afin d'annoncer la naissance de son fils et inviter toute la communauté à la " milah " de Léon Juda BEN DURAN.
YYYA SUIVRE.....
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire