jeudi 23 juin 2011

MA MERE JUIVE D' ALGERIE de hubert zakine

EXTRAIT
En te penchant sur ces années lumières, tu rapatriais du passé des bribes de mémoire engourdies ou simplement chassées de ton esprit pour ouvrir l'accès à d'autres péripéties. Les oeuvres de ta vie s'accrochaient à mes chevalets, se nourrissant au passage de souvenirs traversés en commun. Je ressentais par mille et une attitudes tes impressions d'autrefois et parvenais à les comparer aux miennes. Nous nous souvenions de concert de cette bonne fortune qui te replongeait l'espace d'un après-midi dans l'euphorie  de ce trimestre familial.
En t'écoutant, je revoyais mon oncle Robert "taper la sieste" sur la chaise longue à l'abri du rideau de soleil pendant que les deux femmes de la maison "tapaient la vaisselle" en évoquant leur jeunesse inoubliée. La séparation survint à l'orée de l'hiver mais la prothèse de retrouvailles futures et régulières adoucit l'amputation.
En remontant le fleuve de ton existence, il t'arrivait de commenter cette solitude qui t'accompagnait depuis si longtemps. De cette angoisse de te retrouver en compagnie de couples, alourdissant le poids de ton veuvage, de cet anonymat que tu recherchais dans les mariages, les Bar Misvah, les circoncisions, quelque fête hors la famille. Alors, tu te rapprochais des grands-mères qui s'extasiaient sur la beauté de leurs "mazozé", la main bien ouverte, tel un paravent contre le mauvais oeil.
Héritage d'un passé judéo-arabe qui colle à la peau de chacun d'entre nous grâce à la transmission orale ou gestuelle de coutumes millénaires, la main de Fatmah fut adoptée par la superstition qui dressa une forteresse inexpugnable contre la volonté de nuire.
Tu croyais sincèrement  à l'efficacité réelle de cet objet de cuivre brun qui trônait dans chaque foyer juif en franchissant le seuil.
Mère juive d'ALGERIE, tu étais la synthèse de toutes les mamans de méditerranée. La superstition habitait chacun de tes gestes, chacun de tes jours, chacun des instants de ta vie.
Le sang d'un poisson bleu répandu au sol, le ruban rouge accroché à un clou, la "mezouza", symbole religieux, au chambranle de la porte, quelques pièces de monnaie éparpillées dans les coins, la main de Fatmah à l'entrée pour repousser le mauvais oeil, figuraient, entre autres, au nombre des rites indispensables au bonheur d'un appartement ou d'un magasin étrenné.
En aucun cas, tu ne dérogeais à ces règles empruntées à toutes les superstitions et coutumes d'Orient, reçues en héritage de tes anciens, ma mère juive d'ALGERIE.

1 commentaire:

  1. Merci pour ce texte, il me semble aussi reconnaitre ma mère originaire de Guelma.

    RépondreSupprimer