Il s'avança à pas feutrés vers le panorama scintillant d'azur d'EL DJEZAÏR qui se vautrait dans le grand lit d'une méditerranée enflammée d'une aurore rougissante.
De sa terrasse ouverte aux quatre vents, disséminées sur les collines toutes proches de la BOUZAREAH, se dévoilaient de jolies maisons de campagne, émergeant de bouquets d'arbres accrochés aux flancs des coteaux. Il se dégageait de cette vue simple, naïve et grandiose à la fois, une sérénité et un charme indéfinissables qui plongèrent David dans un doux moment d'éternité.
Le maître de maison gonfla, alors, ses poumons dans un soupir de contentement puis s'arracha à cet instant de bonheur espéré depuis neuf mois.
Une heure auparavant, sa douce Aïcha BIBAS lui avait offert au prix de mille souffrances muettes, le premier fruit de leur arbre de vie, Léon Juda BEN DURAN.
Dans un geste millénaire, la petite mémé, Esther BIBAS, trempa son petit doigt dans une fiole d'eau de fleur d'oranger pour l'offrir à la bouche en coeur du nouveau-né afin que sa vie soit douce et heureuse. Puis, elle l'emmaillota après lui avoir maquillé, selon une coutume empruntée à la mystique musulmane, le nombril de henné, promesse de fertilité. Lorsque toutes les traditions orientales et religieuses furent satisfaites, le père de famille reçut la bénédiction de la petite mémé qui le pria d'ouvrir la lourde porte de bois sculptée par Mardochée OUALID, ébéniste d'art de la "kasbah". Ensuite, elle invita son gendre à contempler la "merveille des merveilles", son petit-fils qu'elle adorait déjà.
David entra dans la chambre tamisée par de lourds rideaux de velours pourpre que la petite mémé avait refermés pour laisser reposer sa fille. Le petit Léon Juda dormait tirebouchonné dans un épais "haïk" brun, le pouce droit rivé à ses lèvres minuscules. David DURAN se recouvrit alors les épaules de son châle de prière, le "taleth", posa l'angle droit de l'étoffe ciel et blanc sur le front du nouveau-né puis, après un louange à l'Eternel, l'embrassa en guise de bénédiction. Il remercia sa douce Aïcha de lui avoir donné un fils, perpétuant ainsi, et son nom et sa race.
Puis, heureux parmi les hommes, il se versa une deuxième absinthe et trinqua avec le majestueux panorama d'EL DJEZAÏR
YYY Descendant de " RASHBAZ ", l'illustre RAbbi SHimon BAr Zémah DURAN, David avait reçu en héritage de son célébrissime aïeul, le respect et le prestige liés à ce brillant théologien qui débarqua sur les côtes africaines, chassé par l'inquisition médiévale de 1391 et les massacres de PALMA DE MAJORQUE où "RASHBAZ" cumulait les fonctions d'astronome et d'éminent médecin. Sitôt en EL DJEZAÏR, ce grand "Rabbanim" réunifia le judaïsme du pays en étroite collaboration avec son maître " RIBACH ", Rabbi Isaac BArfat Ben CHechet.
Premier rabbin salarié d'AFRIQUE DU NORD, il influença la vie juive grâce à la rédaction, en 1394, des "Taqqanot", ordonnances sur les lois matrimoniales, les successions et l'unification des pratiques religieuses dans toute l'Afrique du Nord. Ses "responsa", approuvées par les hautes instances du pays, furent adoptées et firent autorité plusieurs siècles durant.
Jusqu'à la fin du XIXème siècle, ses descendants seront les leaders spirituels de la communauté israélite d'EL DJEZAÏR.
A cette époque, les DURAN, tout en poursuivant l'oeuvre de leur ancêtre, développèrent une intense activité commerciale avec de nombreux ports méditerranéens. Habiles négociants, ces juifs "espagnols" damèrent le pion aux juifs "livournais" qui s'étaient approprié le commerce de la Régence grâce à leurs relations internationales.
La libre concurrence profitant avant tout au pouvoir ottoman, le Dey d'EL DJEZAÏR encouragea la Maison DURAN en s'attachant ses services tout en flattant les Maisons BACRI, BUSNACH et consorts.
David DURAN remercia l'Eternel de lui avoir donné le fils tant espéré. Il sera son bras droit lorsqu'il aura apprivoisé la parole de Dieu et les langues étrangères, le négoce et la finance, la connaissance des hommes et des bêtes, toutes les subtilités du métier comme son père et ses oncles, avant lui.
Des projets plein le coeur et la tête, il se fit violence pour revenir à l'instant présent. Préparer la circoncision de Léon Juda, premier acte solennel de l'appartenance du nouveau-né à la communauté israélite, telle était sa priorité.
Alors, le Chef de la Nation Juive, descendant de "RASHBAZ", premier "drogman" du Dey HASSAN PACHA, reçu par la noblesse du pays, par les Beys comme par les consuls étrangers, les dignitaires civils et militaires, demanda à son fidèle serviteur, Ali BEN RAÏS, de le conduire à EL DJEZAÏR.
Ce petit homme, tout en rondeur et en courbette, le cheveu rare et la volonté anémiée, connaissait la Maison DURAN depuis des lustres. Au service de Sémah, le père de David, il avait suivi les premiers gazouillis, les premiers pas de son maître actuel dans l'ancienne maison familiale à l'orée du Fort BAB AZOUN où se tenait tous les mercredis le "tafora", marché de gros aux multiples commerces de bouche.
La campagne algéroise, ombragée de collines environnantes, exhalait une odeur de menthe sauvage délicatement relevée d'effluves d'eucalyptus dont la forêt cernait les fortifications.
YYYA SUIVRE.........
bonjour hubert zakine,
RépondreSupprimerJe lis avec intérêt vos chroniques.Aurez-vous la possibilité de me donner des info sur le rabbi isaac ben Oualid?
UN grand merci
liliane temime