Le colonialisme a vécu. Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes a tiré un trait sur un monde en voie de disparition. Le XXIème siècle ouvre les bras à la modernité. De grandes transhumances ont modifié l'équilibre de la planète tel que l'ont connu nos parents, nos grands-parents, nos anciens. Les exodes temporaires, les exils définitifs, l'indépendance des pays colonisés, la fuite des civils face à toutes les violences, la recherche d'une vie meilleure ont façonné un monde différent où toutes les races, toutes les citoyennetés, toutes les religions se côtoient. Ce melting-pot souhaité par certains, imposé par d'autres, refusé par des tiers se trouve aux antipodes des partisans d'une appartenance identitaire à un continent, à un pays, à une région, à une ville, à une religion.
La conséquence de cette turbulence qui charrie d'amont en aval et de bâbord à tribord des populations homogènes ou hétérogènes vers des terres d'asile où il fait meilleur vivre est figée dans les préceptes évoqués par les tenants de l'antiracisme: les mariages mixtes.
La diaspora du peuple juif a suivi cette évolution que d'aucuns jugeront fâcheuse. La survie du judaïsme est toujours passée par ce vieil adage empreint de sagesse : " Si tu veux être heureux, maris toi dans ta rue!"
Tout était résumé dans ce conseil avisé offert à la réflexion de la jeunesse par les anciens. L'expérience parlait par la bouche de ces parents, oncles, tantes, voisins qui vivaient dans une ville, dans un quartier où tout le monde se connaissait, voyait naître et grandir les enfants, appréciait une "famille bien comme il faut", partageait les petites misères, les grandes joies ou les terribles malheurs qui jalonnaient l'existence du faubourg. De cette osmose entre les gens, les générations, les communautés, s'était instauré une identité de vue et de pensée cimentée par l'identification à une religion et une foi inébranlable en Dieu. Les catholiques épousaient des filles de Marie, les juives unissaient leur destin à celui des fils de Moïse, les enfants de Mahomet convolaient en justes noces aux bras de belles musulmanes. Ainsi, chacun s'ancrait dans sa religion avec le sentiment d'œuvrer pour sa Maison sans l'ombre d'une pensée mauvaise à l'égard des autres fois. Les ventres s'arrondissaient, les baptêmes succédaient aux circoncisions et la vie s'écoulait au rythme des mariages intra-communautaires.
Dans les pays arabes, le judaïsme et l'islam s'émancipèrent à travers leur apport culturel. Les casbahs, lieux de vie et de coexistence pacifique, résonnèrent souvent d'une musique andalouse qui s'épanouissait grâce aux virtuoses issus des deux communautés jumelles. La cuisine aux mille saveurs embauma les ruelles parfois nauséabondes de la vieille ville. On parla, alors, de casbah, de cuisine, de musique judéo-arabe. L'Afrique du Nord porte en elle les traces visibles de "cette haine qui ressemble à l'amour" à laquelle on se doit d'associer les "Pieds Noirs" de confession catholique. Ce fut une grande et belle aventure d'un melting-pot d'avant-garde, à une époque où les bonnes consciences métropolitaines s'effarouchaient du "paternalisme" des européens envers les "indigènes". La superbe terre africaine fut un merveilleux laboratoire d'une Europe tant désirée de nos jours. Les pauvres bougres du bassin méditerranéen, italiens, espagnols, maltais, mahonnais, siciliens, grecs s'associèrent à la France pour ne faire qu'une seule et même entité: les " européens d'Algérie, du Maroc et de Tunisie". Les juifs s'y intégrèrent, au delà du décret Crémieux, tout en conservant leur particularisme.
Bien sûr, cette cohabitation judéo-arabe ne ressembla jamais à une idylle. Ici comme ailleurs, les synagogues furent pillées, les juifs assassinés, les thoras lacérées. Mais la terre d'islam fut de temps à autre, une terre d'asile, de repos, de travail et de respect du culte.
L'histoire des fils de Moïse est universelle. Il n'existe pas un bout de planète vierge d'une présence juive passée ou actuelle. Les exodes successifs favorisèrent ce déploiement vers le Portugal, les Pays-Bas, les Etats Unis, l'Union Soviétique, les Pays Arabes, la Grande-Bretagne, l'Italie, l'Argentine, l'Afrique du Nord, la France ou Israël. Ne dit-on pas que la plus vieille synagogue du monde se trouve à Djerba dans le sud tunisien et porte le nom d'une jeune fille qui serait sortie indemne d'un incendie: La Ghriba.
Cette errance, cadencée d'accalmies temporaires, perpétuée dans les mémoires, transmise de générations en générations, est l'un des moteurs essentiels de la communauté. Le verbe se fait sirène. Les mots alertent avant que les cris n'alarment. La sentinelle endormie garde le doigt crispé sur la gâchette. Le conseil de prudence mobilise le corps et l'esprit. Le regard-girophare épie malgré lui. La défensive reste prioritaire.
A ce jeu là, la vigilance devient spontanée, obsessionnelle, familière. Ainsi, le juif se forge une résistance aux futurs coups de boutoirs de la vie. Accusé de tous les maux d'une civilisation en proie au doute, il reste serein, bien à l'abri derrière des certitudes millénaires.
Armé contre les agressions extérieures, immunisé contre tant de sottise qui vise la différence, il songe aux boucliers du roi David contre les philistins et, devinant souvent l'attaque, il évite le piège.
Toute sa vie, il livre un combat contre les imbéciles et les méchants. Entraînement indispensable de survie pour un peuple sans cesse remis en question.
Comme toutes les races en sursis, comme tous les immigrés de la planète, le juif errant qui débarque dans un port inconnu recherche, naturellement, le coreligionnaire d'infortune afin de réveiller une mémoire engourdie de peur et d’ignorance. Ensemble, ils réchauffent une nostalgie figée par la douleur au son d'un violon extirpé d'un vieil étui de cuir usé. Les joues reprennent des couleurs et le cercle de famille s'arrondit autour du souvenir. Concentrationnaires, ils vivent entre eux, autant pour ne pas gêner la population indigène du pays d'accueil que pour conserver un semblant d'unité et replanter des racines arrachées sous d'autres rivages. A l'unisson de leurs espérances, ils se jettent à cœur perdu dans la bataille de l'intégration, du labeur et de la réussite. De leur gloire ou de leur misère passées, seul subsiste le judaïsme qui les réconforte chaque fin de semaine, à la table du "shabbat". Le judaïsme et ses traditions, le judaïsme et ses louanges, le judaïsme et l'Eternel.
YYY
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