mardi 31 mai 2011

SQUARE GUILLEMIN de hubert zakine -13-

Ce matin, c’est dimanche. On va pas aux Horizons bleus. Le flouze, ma mère, elle en a pas bezef alors, on va faire tintin aujourd’hui. Je descends au jardin mais y a pas âme qui vive. Ame qui vive, la vérité c’est une façon de parler quand on est de Bab El Oued ? Tsstt, je file un mauvais coton, moi ! Je dois être fatigué. Ma mère, pour pas que je tombe dans un lit, elle va sortir le thermomètre, les dragées pour le calcium, le carré de sucre pour me donner du tonus, et tout et tout.Tout seul, je reste assis entre les deux jardins, là où les chauffeurs de taxi y z’attendent le client en sirotant une anisette au café « chez Henri » à l’angle de la rue Eugène Robe.
En désespoir de cause, je descends à Padovani où tous les gens du faubourg, y croient être en vacances. Du monde en pagaille mais aucun copain. Achno, où ils sont tous passés ? Je vais pas taper le bain, tout seul ! Las de mes tergiversations (Putain dé ! ter-gi-ver-sa-tions ! Où j’ai été chercher ce mot là ! C’est plus du Victor Hugo, c’est du Chateaubriand. Je savais même pas que, dans mon armoire, y avait ce mot là. Les gens de Bab El Oued, jamais ils emploient ce langage. Peut être que je suis pas le fils de ma mère et que ma vraie mère, elle est baronne ou vicomtesse ! j’sais pas moi ! Pour parler comme ça, j’ai dû naître dans le château du comte de la couillonnade en bâton. Ma parole, je dois délirer ! Je vais poser mon stylo et me reposer un chouïa parce que si je continue, ma famille elle va me faire enfermer chez Roubi.
--Quand même c’était un gentil garçon pourtant ! Peut être que la fille avec qui y marchait, ça lui a tapé sur le ciboulot.
--Tu crois que cette petite elle lui a jeté un sort ?
--En plus, il était beau comme un dieu, quel gâchis !

Après manger, mon frère aîné nous entraîne dans une belote de bonne humeur qui nous fait tout oublier. Oublier que ma mère elle a pas d’argent et qu’elle sait pas comment on va manger demain. Mais comme elle nous rassure à sa manière: demain le bon dieu, il est grand ! La vérité, j’aurais préféré qu’il soit grand aujourd’hui!
*****
Comme à chaque jour suffit sa peine, je m’apprête à descendre en bas la rue quand on sonne à la porte que Jacky il a gardé ouverte comme d’habitude en partant travailler. C’est le facteur qui nous apporte un mandat de ma tante qui habite, depuis peu, Paris où elle meurt d’ennui. Et c’est normal ! Une fille de la rue Marengo et de la rue Suffren, comment tu veux qu’elle devienne pas neurasthénique sans le soleil de la famille! Toujours est-il que ma mère, la pauvre, elle avait raison de nous dire : « La roue elle tourne quand on s’y attend le moins! »

Le cœur plus léger, je descends avec la certitude d’être réquisitionné par ma douce pour aller au marché Nelson lui porter le panier. C’est bizarre dés que je dépasse le jardin Guillemin, on dirait que je marche sur des œufs. D’un square à l’autre, il y a tout juste cent mètres, mais c’est un autre monde. Guillemin c’est Bab El Oued, Nelson c’est Bab El Oued en plus temeniek. Bou, les gens de Nelson y vont me faire la tête comme un tchic tchic à trois faces. Quand on marche rue Eugène Robe ou rue Feuillet, quand on va aux Variétés le cinéma où on parle en chuchotant, quand on fait le marché Nelson ou qu’on va prendre un créponné chez Grosoli, le chitane que je suis, il est pas décontracté comme aux Messageries, à la Basseta ou au marché de Bab El Oued. L’avenue de la Bouzaréah elle est plus débraillée que l’avenue de la Marne. C’est une évidence. A savoir !
Pourtant, les gens de l’Esplanade, c’est pourtant des pieds noirs pur jus d’anisette ! Mais, peut être, y sont plus discrets et moins tcherklala que dans les autres quartiers (L’esplanade, de la mer à la casbah, elle part du lycée Bugeaud jusqu’au début de l’avenue de la Bouzaréah).
*****
Les copains y doivent se taper la grasse matinée. Le jardin c’est un désert. C’est pas normal. La marabounta, elle serait passée cette nuit et j’m’en serais pas aperçu ? Je veux en avoir le cœur net. Je siffle Bouzouz qui habite rue Rochambeau en face de l’école des garçons. Sa mère, elle sort au balcon l’air étonné, elle fait une rotation de sa main l’air de me questionner :
--Qu’est ce tu veux ?
--Il est là, Roland ?
--Il est pas avec toi, à la communion de Richard ?
Je comprends instantanément. Ils sont tous à la Bar Misvah de Richard avec qui je me suis fâché pour une histoire de toupie. Ce jour là, le cercle, où la toupie était emprisonnée, attendait d’être « sortie » par une autre toupie. Ce jeu était apprécié par tous les enfants de Bab El Oued. La vérité, c’est ma faute si sa toupie elle s’est coupée en deux quand mon gangui il l’a fracassée? C’est de ma faute si ma guitane elle a donné un telle force à mon jeter de toupie sur la sienne? Tain de carreau ! La toupie de Richard elle a pas résisté. Elle s’est prise pour une grenade au soleil. Elle s’est séparée en deux, mon amie, à cause du gangui que j’avais remplacé par un clou. Depuis, ce jour, Richard me fait la tête. A Bab El Oued, un ami c’était un ami qu’il soit juif ou catholique et chacun se fait un devoir d’honorer une invitation. Richard, ce babao, il a pas cru bon de m’inviter pour une vulgaire histoire de toupie. Marquons dommage !

Toute la journée, j’allais traîner ma solitude. Heureusement, Nicole elle va me redonner le sourire. Tout à coup, je vois arriver Capo, Mani, Gozlan, Bouzouz et son cousin Jacky vers moi. Y sont tout beaux avec leurs habits, tout énervés aussi !
--Achkone ! Et les autres ?
C’est Gozlan qui prend la parole.
--On a pas voulu rester après la synagogue !
Mani il précise en rigolant
--Je précise après le chocolat !
--Et pourquoi ?
--On s’est disputé avec Richard.
--A cause de son mauvais caractère ?
--C’est un con !
Gozlan et ses jugements définitifs.
--Qu’est ce qu’il a fait ?
--Y t’a pas invité !
Jacky il est catégorique lui aussi.
Capo il ajoute :
--De toutes façons, c’est un falso !
Putain, c’est sa fête ! D’accord c’est sa communion mais quand même !
--Bon, c’est pas tout. Qu’est ce qu’on fait alors ?
--On va se changer et on va taper le bain.
C’est bon de savoir que les amis y m’ont pas laissé tomber. Surtout d’avoir renoncé à toutes les bonnes choses à manger dans une Bar Misvah ! Goulafres comme je les connais, c’est les coulisses de l’exploit.
A SUIVRE.....

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