mardi 17 mai 2011

SQUARE GUILLEMIN de hubert zakine -12 -

Le square Guillemin il est composé de cinq jardins qui descendent vers Padovani. Une offrande de Napoléon III à sa femme l’impératrice Eugénie. (C’est la seule chose que je connais sur Napoléon, alors hein, lâchez moi la grappe !)
Eugénie, je parle de l’impératrice comme si c’était ma voisine. (Aouah, mes voisines elles s’appellent plutôt Fifinette, Lisette, Charlette, Paulette, j’en passe et des meilleures !) Donc l’impératrice elle a pas supporté la grosse sarannah d’Alger quand elle est venue en dix huit cent et quelques. Y avait trop de soleil et pas assez d’ombre. Une enquiquineuse, quoi ! Son mari, empereur ou pas, il est comme tous les maris, il dit amen à tout. Il marche pas, il court ! Ni une, ni deux, il dessine lui même les plans des deux trouées du Plateau des Gliéres et du boulevard Guillemin. Et le résultat il est sous mes yeux. Une merveille de verdure qui descend en cascade vers la Méditerranée.

La vérité, si Alger c’était seulement l’Esplanade c’est à dire les quartiers Nelson et Guillemin, ça me suffirait. Padovani pour taper le bain, El Kettani pour battre des records, Grosoli pour son créponné, le Majestic pour accueillir des matches de boxe, des vedettes du music hall et accessoirement des films d’aventures, les Variétés pour les films romantiques et le Mon Ciné pour les films de cow boys, le marché Nelson pour que nos mères elles nous obligent à porter leurs paniers et des amis pour nous rendre plus belle la vie. Ouais, mais il en a un qui l’entend pas de cette oreille. Un véritable truch ! Un forain qui vient installer dans le jardin Guillemin un manège ! Notre stade où les plus grands matches du quartier se déroulent, le voilà affublé d’une appendice.

 Notre jardin qu’il était un véritable ballon de football, rond comme si l’architecte l’avait tracé avec un compas, notre square ouvert aux quatre vents des familles exubérantes, des amitiés éternelles, des étés resplendissants et des retrouvailles joyeuses, notre jardin à nous, détérioré, violé et malheureux. Encore si c’était seulement pour l’été mais ce falampo à l’huile d’olive nous dit que c’est jusqu’à la saint glin glin. La moutarde elle nous monte au nez mais quoi faire ? Les petits sont tout contents d’attraper le ponpon et nous, les footballeurs du quartier, on est rapatriés dans les rues avoisinantes. Rue Feuillet, rue Lazerges, rue Thuillier ou rue Koechlin comme quand on jouait avec une balle en chiffon, en papier ou avec une boîte de chique. Comme des misérables ! Maintenant qu’on peut se payer une belle balle en se cotisant, tout le quartier, on est éjectés du jardin Guillemin. On peut pas se contenter de dire amen et de jouer les gamates, quand même ! Notre jardin, il est à nous et personne ne pourra nous en chasser.

En plus, le patron du manège, on sait même pas d’où il vient (peut être c’est un patos) et il croit qu’on va lui laisser le champ libre ! Un matin, on commence un match entre nous mais Mani qui en touche pas une au foot, il envoie la balle dans le manège. Confiscations, Parlementations, lamentations, négociations, rien n’y fait. Le falampo nous confisque la balle.
--Va dire à tes parents qu’ils viennent me voir ! Comme s’ils avaient que ça à faire et puis, c’est pas notre genre de laisser nos parents régler nos histoires de rues.
Capo, le génie du square Guillemin, nous propose d’aller chercher nos taouètes. On s’exécute et on encercle le manège comme les sioux de Sitting Bull. On vise la boule à reflets au plafond et on prévient le général Custer :
--Si vous nous rendez pas la balle, on casse tout !
C’est à prendre ou à laisser. Raïeb, Custer, il a compris que fumer le calumet de la paix, c’est pas si mal. Non seulement on a récupéré notre balle mais on a obtenu la promesse qu’on pourrait jouer tous les matins. On a rangé nos taouètes jusqu’à la prochaine fois et Custer, c’est devenu notre copain. La classe qu’il a ce Capo !

Entre les deux jardins du boulevard Guillemin, un homme il a installé sa baraque où y fabrique des barbes à papa mais il est surtout connu comme vendeur d’oublis. Ces friandises, genre de grandes gaufrettes très fines en forme de cornets, on les adore. Comme c’est pas cher, il en débite un nombre incalculable. Gentil avec les enfants, cet homme à la dentition d’or et d’argent y se reconnaît à son pied bot et à son béret toujours vissé sur la tête qu’on a jamais vu dénudée.

Les oublis, il faut les manier délicatement sinon y se cassent. Aussi, tous les soirs avant de partir, il offre les gaufrettes abîmées à la nuée de chitanes qui lui tourne autour.

Quand les enfants y jouent pas au foot, y se mesurent aux billes, le long du trottoir rectiligne entre les deux jardins. Et les voitures, elles ont beau klaxonner, même Azrine ne peut pas passer. Combien de parties elles se sont gagnées ou perdues pour un pam. Ah, oui, vous savez pas ce que c’est un pam ! Ca pourrait être la boisson qu’on aimait quand on était petit, le pam pam mais total, c’est la distance entre l’ongle du pouce et l’ongle du petit doigt quand la main elle est bien ouverte. C’est une variante du jeu de billes. Quand on est pauvres, on a des jeux de pauvres. La savate, une méva de semelle crêpe suffit, la carriole, on se la fabrique avec des planches et des roulements à billes, les noyaux d’abricot ça coûte que dalle, les bouchons vides ou lestés de bougie fondue, on les trouve derrière les comptoirs de cafés, les tchapp’s, (faces imagées des boîtes d’allumettes) ça coûte trois fois rien, alors les jeux de riches, très peu pour nous ! Tain, le philosophe ! Quant au foot, quand on est fauché, on se la fabrique avec des tombées de tissu ou du papier journal et des élastiques. Mais le fin du fin, c’est les matches d’égout à égout avec des balles de tennis usées jusqu’à la corde et sales, j’vous dis pas ! Quand on marque un but, le buteur, sa récompense c’est de soulever la plaque qui pèse une tonne (l’exagération ça fait partie du langage pataouète) et tremper sa main dans l’eau dégueulasse de l’égout pour récupérer la balle.

Nicole, je la vois tous les jours. Chaque après midi, elle met une nouvelle robe comme si elle a la bourse de Rothschild. Une fois en rouge, une fois en jaune, une autre fois en bleu, blanc, rouge. Jamais, elle s’habille en vert. On dirait qu’elle a deviné que cette couleur et moi, on fait pas un beau couple. Chaque jour, avant de descendre au jardin, j’enfile un tricot propre parce que je veux pas lui faire honte. D’accord, je me mets pas sur mon 31, mais la vérité, bien coiffé et bien lavé derrière les oreilles, propre comme un sou neuf, je suis quand même le plus beau du monde et des alentours.
 Au moins, Nicole, c’est bien la preuve qu’elle m’aime pas pour mes habits du dimanche. Seulement, derrière elle, elle traîne toute une flopée de demoiselles d’honneur. Des Denise, des Jacqueline, des Maryvonne, des Colette, Achno, jamais on peut être seuls ! Mais comme je suis astucieux et dégourdi (n’en jetez plus, la cour est pleine), je traîne aussi derrière moi des copains qui draguent à mort. Châ, je peux emmener Nicole en bas, face à la mer. Seuls ! Dommage que je peux pas l’embrasser devant tout le monde mais au moins, elle peut me dire que suis le plus musclé. Rien qu’on rigole et rien qu’elle surveille son petit frère qu’on dirait un explorateur avec son filet à papillon. Des papillons de toutes les couleurs, il y en a plein autour des parterres de fleurs des enceintes du jardin Guillemin. Je fais comme si c’était une amie, une copine, une cousine mais au fond, même si on a douze ans, je sais que c’est pas une copine comme les autres. Encore moins un copain. D’abord, ça se voit parce que mes copains n’ont pas des tétés. Ensuite, jamais il me viendrait l’idée d’embrasser Bouzouz ou Gozlan sur la bouche et encore moins avec la langue. Beurk ! Et enfin, parce qu’avec Nicole, je fais celui qui dit pas de gros mots. Les amis, même muets disent des gros mots. (Ça, c’est une de mes pensées profondes) D’accord, dés qu’un adulte il approche, on parle chochotte mais quand on est entre nous, les « Tain dé ! », « va niquer les mouches ! », « la figua de ta ouélla » (j’en ai comme ça une bonne centaine et même un peu plus), y fleurissent notre langage, j’vous dis pas. Même que des fois, si on écoutait nos conversations au magnétophone, on aurait honte. Avec Nicole, zarmah, je suis un enfant bien élevé. Seulement, bien élevé jusqu’au premier étage, hein parce que plus haut, le naturel y revient au triple galop. Purée, d’où elle me vient cette pudeur soudaine ? Jamais, au jardin ou ailleurs, quand on est avec des enfants de mon âge ou plus grands, jamais je m’suis contrôlé de la sorte. Bou, de la sorte ! Je parle comme une tapette maintenant ! Avant de connaître Nicole, je parlais pataouète sans faire de chiqué. Aouah, il faut que je redevienne un voyou fissa comme quand j’allais au tribunal pour enfants parce que je jouais trop au football, que je dise la tonne de grossièretés, que je parle en mollardant, que je tape des bras d’honneur toutes les cinq minutes, que je joue au cinq/vingt cinq devant les cafés, enfin que je sois un vrai voyou plutôt qu’un fils à pèpe.

A savoir si ça va lui plaire à Nicole ? Elle sort pas de la cuisse à Jupiter quand même ou alors, j’ai pas lu l’Echo d’Alger du jour de sa naissance. La prochaine fois que je la vois, j’vais lâcher un glaviot parterre, comme ça, je verrais sa réaction. Si elle fait beurk, c’est qu’elle sort vraiment de la cuisse à Jupiter ! Sinon, elle fera même pas attention. Remarque, j’ai pas l’habitude de glavioter mais c’est pour dire !
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A SUIVRE.............

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