mardi 17 mai 2011

Réflexions sur l’affaire Strauss-Kahn par Guy Millière

J’entends respecter la présomption d’innocence concernant Dominique Strauss-Kahn. Et je n’entends aucunement participer à la curée. Je trouve que certaines personnes se rappelant des souvenirs d’il y a plusieurs années, et désirant d’un seul coup porter plainte, ont une attitude qui n’est pas très saine. Si on doit attaquer un homme, l’attaquer lorsqu’il est à terre n’est pas un signe de courage.
Il semble établi, cela dit, que Dominique Strauss-Kahn avait une forme d’obsession sexuelle qu’il parvenait difficilement à réprimer, et ce depuis de nombreuses années. Il doit être incriminé pour celle-ci. Mais il n’est pas du tout le seul à devoir l’être. Tous ceux qui se sont tus depuis des années sur cette obsession ont, à mes yeux, leur part de responsabilité. Tous ceux qui ne lui ont pas conseillé de se soigner et qui n’ont pas vu là un comportement pathologique ont aussi leur part de responsabilité.
La France est une société où certaines choses se savent mais sont gardées secrètes et ne circulent qu’entre initiés. C’est une société où, au nom de la « tolérance », on se garde de parler de certains sujets, et on excuse certaines pathologies en voyant en elles du libertinage et je ne sais quoi d’autre.
Les mœurs françaises telles qu’elles sont ont leur part de responsabilité. Et avant de dire, comme cela se fait ici ou là, que Dominique Strauss-Kahn fait honte à la France, il faudrait sans doute se demander si ce n’est pas à l’échelle de la France même qu’il y a quelque chose à revoir, et si ce n’est pas la France qui se fait honte à elle-même.
La presse anglaise et américaine a ses défauts, mais lorsqu’elle dispose d’une information, elle la publie. La presse française pratique l’autocensure. Elle y est fortement aidée par la justice et des lois liberticides.
Le monde qui parle anglais a ses défauts lui-même, mais on y a une tolérance infiniment moindre pour la débauche et les comportements de prédateurs sexuels : cela n’évite pas l’existence de la débauche et des prédateurs sexuels, mais cela limite leur capacité de nuire aux autres et de se nuire à eux-mêmes. On ricanait en France lorsque Bill Clinton était confronté à une procédure d’empêchement pour une fellation dans les couloirs de la Maison Blanche et pour ses mensonges à ce sujet. Bill Clinton n’en a pas moins frôlé un effectif empêchement, et il a dû répondre aux convocations d’un juge et répondre de ses actes et de ses propos.
La France est un pays où tout le monde savait que François Mitterrand avait deux familles et les entretenait toutes les deux aux frais du contribuable, mais où cela ne devait pas se dire et se trouvait toléré. C’est un pays où tout le monde sait que divers hommes politiques mènent une vie de luxure qui dénote, pour le moins, un certain cynisme qui en dit long sur leur relation à l’éthique, mais où cela ne se dit toujours pas. Et il faudrait s’étonner du cynisme qui règne dans la politique du pays. C’est un pays où un pédophile avéré peut être ministre, et où des photos de la femme du Président exhibant ses fesses et ses seins circulent sur internet.
Je dirai que Dominique Strauss-Kahn est très français. Ce qui est toléré en France ne l’est pas aux Etats-Unis.
Je ne sais s’il est innocent ou non, mais je pense que la police et la justice américaine n’auraient pas pris le risque de l’incarcérer sans avoir un dossier solide. Je pense que si la police était arrivée quinze ou vingt minutes plus tard, Dominique Strauss Kahn serait en France et resterait le favori de l’élection de 2012.
Je pense que Dominique Strauss-Kahn aurait dû être arrêté ou incité à se soigner avant d’en arriver à la situation présente.

Il sera très difficile aux socialistes de faire des leçons de morale dès lors qu’ils savaient depuis longtemps et n’ont rien dit : ceux qui parleront de gauche vison caviar auront, par ailleurs, toutes les raisons de le faire. Il sera difficile à la quasi-totalité du personnel politique de ne pas être touché par le soupçon : nombreux étaient ceux qui savaient et n’ont rien dit.

Il serait bon que la population française s’interroge sur l’état de déliquescence de la société dans laquelle elle vit.
Qu’est-ce qu’une société où les journalistes se taisent et débitent seulement du prêt-à-penser ? Qu’est-ce qu’une société où le personnel politique pratique les connivences et une forme d’omerta ? Qu’est-ce qu’une société où la débauche et les perversions deviennent banales ? Qu’est-ce qu’une société où on n’interrompt pas la dérive des gens puissants avant qu’il ne soit trop tard et où il y a deux justices, l’une pour l’élite et une autre pour le reste de la population ? Qu’est-ce qu’une société où la parole d’une femme de chambre est considérée comme valant infiniment moins que celle d’un milliardaire ou d’un ministre ? Je pourrais allonger la liste des questions. Nous ne sommes pas sortis de l’Ancien Régime. Nous allons tout droit vers la déliquescence. Tellement de signes l’indiquent qu’il semble inutile de le dire. Mais si peu de gens le disent qu’il faut néanmoins le dire.

Dans cette sordide affaire, la victime est d’abord, bien sûr, la femme de chambre. Elle est ensuite, oui, Dominique Strauss-Kahn qui est sur une pente dérivante depuis longtemps et qui s’est cru protégé par le fait d’appartenir aux plus hautes sphères françaises. Elle est la société française qui est victime consentante de tous ses travers et dysfonctionnements.
Dans sa suite sur Times Square, Dominique Strauss-Kahn a cru qu’il était en France, et s’il avait été en France, tout cela n’aurait été, effectivement, que peccadille. Il n’était pas en France, mais dans un pays où on prend encore l’éthique et la justice au sérieux et où la parole d’une femme de chambre est écoutée.
Guy Millière

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