CHAPITRE 9
Tant de choses se passaient. Les grands containers, que l’on appelait des « cadres » contenant le mobilier emporté à la sauvette, étaient quelquefois coulés carrément, sans ménagement aucun. Partis en 1963 bons derniers, et donc "dernières roues de la charrette", que nous restait-il à attendre de nos "semblables" ? Mon grand-père avait l'espoir de faire valider sa retraite de cadre. Mais il laissait derrière lui un immeuble de toute beauté dont l'achat avait été le fruit de son travail acharné et non pas d'une exploitation éhontée des Arabes… nous, les descendants, avons été plus tard indemnisés : une misère...
Tant de choses se passaient. Les grands containers, que l’on appelait des « cadres » contenant le mobilier emporté à la sauvette, étaient quelquefois coulés carrément, sans ménagement aucun. Partis en 1963 bons derniers, et donc "dernières roues de la charrette", que nous restait-il à attendre de nos "semblables" ? Mon grand-père avait l'espoir de faire valider sa retraite de cadre. Mais il laissait derrière lui un immeuble de toute beauté dont l'achat avait été le fruit de son travail acharné et non pas d'une exploitation éhontée des Arabes… nous, les descendants, avons été plus tard indemnisés : une misère...
En 1962, j’ai connu l’indépendance, le couvre-feu, l’école de la rue Dupuch fermée, les attentats, l’explosion du Milk Bar, L'entrée des Arabes du Sud (FLN) envahissant les appartements de notre immeuble en démolissant les portes.
J’ai vécu la peur de ma mère par force voisine de palier de MATOUKALI, un grand Arabe venu là avec sa tribu qui n’avait rien à voir avec les Arabes algérois. Ils s'étaient installés sur le balcon. Un jour, la femme dit à ma mère terrorisée : "Le coeur des Français je le coupe en deux et je bois le sang". Et ces paroles terrifiantes, je les entendis de mes deux oreilles de petite fille ! Autre angoisse non moins grande : celle du fameux "quitus" qui permettait aux enfants que nous étions, mes frères et moi, de quitter l’Algérie et qu’il nous fallait avoir !
A l’inverse les évènements nous rendaient, à nous les enfants un peu de notre insouciance. Un certain SADEG prit l’appartement du rez-de-chaussée de l’immeuble, juste en dessous de chez nous, appartement qui appartenait au Rocher Noir. Sadeg voulait empêcher le départ de notre mère et lui faisait une cour effrénée. Nous, nous envoyions par le balcon des bulles de savon dans son pantalon, ce qui le rendait furieux à notre grande joie. La veille de notre départ, il vint chez nous voir ma mère pour essayer encore de la persuader. Arrivant en plein déménagement, le brave homme fit "chou blanc ".
En accord avec mes grands parents, ma mère avait pris la terrible décision de laisser tous nos meubles et de n’emporter que ceux de mes grands parents, à l'exception du piano, hélas ! Lorsque je vis par terre le lustre immense de la salle à manger, lustre que ma mère aimait tant et qu’elle pensait seulement prendre, ce fut comme notre déchéance à nous tous, le symbole de notre chute complète pour moi, car j’adorais ce lustre aux pampilles de cristal. Notre fin était proche..........
CHANT VI
ELEGIE POUR NOS FAMILLES EN DEUIL
Encore aujourd'hui, j'entends mes parents murmurer à mon oreille : « Petite fille, apprends à connaître tes racines et tes origines, et souvienstoi ». Tes parents maternels venaient de Johannesburg où naquit ton grandpère.
Son propre père, un Vauclusien, était parti y faire un commerce de plumes d’autruches, et devint ingénieur aurifère. Peut-être dut-il à sa réputation d’érudit polyglotte, d’épouser une Londonienne qui avait "de la branche", ton arrière grand-mère. Mais la famille aristocratique de la jeune fille s'opposait à cette alliance. Le jeune couple s’embarqua donc un beau jour. Mi-aventurier, mi-Gulliver, ton arrière grand-père revenait donc, avec sa jeune épouse, vers sa Provence natale… Mais voilà que sur le navire, le ramenant vers sa terre française, il piqua une terrible crise de jalousie : le capitaine du bâtiment s'était permis de faire "les yeux doux"à la si charmante lady.
Par mesure de rétorsion, le galant déconfit les laissa choir, non sur le quai de Marseille mais sur celui d’Alger, avec leurs chérubins et une fameuse pendule anglaise pour tout trésor… Je connus plus tard cette dernière, elle siégeait impérialement dans le bureau de mon grand-père, souvenir de l'épopée fondatrice de notre famille. Elle était très chère à son coeur de britannique déjà expatrié.
Je la regardais souvent fascinée : elle évoquait pour moi la merveilleuse histoire des origines familiales... et sur son balancier délicat figuraient deux personnages qui ne cessaient de chuchoter des minutes précieuses avec grâce, puis, soudain, sonnaient gravement, solennellement les heures sur le cuivre doré d’un énorme gond d’airain, dans un style éminemment victorien…
Ce grand-père, vrai bourreau de travail, assis derrière son imposant bureau, n’autorisait pas à grimper sur les grands fauteuils de cuir marrons si impressionnants. Mais quoique fort sévère avec les douze personnes de son secrétariat, il fondait tout comme neige au soleil dès qu'il m'apercevait.
Toi, qui n’a cessé de travailler consciencieusement, tout d'abord petit employé de banque, certes diplômé, mais ne t’accordant aucun répit, ni le samedi, ni le dimanche, puis directeur d’une part, de ta propre compagnie d’assurances « LA PATERNELLE », et d’autre part, administrateur de biens, et propriétaire de ce magnifique immeuble – que nous avons perdu ! - et mandataire de huit cent cinquante locataires, tu ne ménageais vraiment ni tes efforts, ni ta peine.
O Toi, mon cher grand-père, je te rends un vibrant hommage ! Peux-tu sentir encore combien bat mon coeur en t’évoquant ! O Toi, si merveilleusement anglais qui nous aimas, non sans impassibilité certes, mais avec tant d’humour également !...
Toi, qui n’aurais jamais cru que l’on te jetât une deuxième fois dehors, n’aie crainte, je suis là, bien vivante, pour te venger, te faire rendre la justice que tu mérites, châtier ceux qui t’ont offensé et auxquels je ne peux pardonner de ne pas avoir reconnu ton travail, et de fait d'avoir voué au néant ta mémoire.
Vois mon bras qui se tend, et mon doigt vengeur désignant tes bourreaux. Je veux être ton apôtre, ta bénédiction, ta reconnaissance éternelle, moi, ta petitefille qui t'aime. Tu es le plus merveilleux homme de ma vie. Par ton exemple et la bonne éducation que tu m'as donnée, tu m'accompagnes encore et toujours.
Puisse mon écriture être à l'image de la tienne, toi qui avait un style pointu, acéré caustique, lorsqu’il fallait demander justice, toi qui m’a dit que lorsque l’on est dans son droit, le devoir était de le faire valoir ! Je m’emploie à cela dans cet homérique et premier petit ouvrage, tu es mon bras, mon âme,mon coeur, tout comme ma grand-mère, et maman ! Je suis votre consolatrice,celle qui, en aucun cas, n’oubliera...
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