samedi 7 mai 2011

IL ETAIT UNE FOIS BAB EL OUED hubert zakine

CHAPITRE 25
MŒURS ET TRADITIONS
LES QUARTIERS
L’ESPLANADE NELSON
L’Esplanade s’étend de l’ancienne porte de Bab El Oued à la mer en enjambant la place Jean Mermoz où trône le Lycée Bugeaud, ex-Grand Lycée Bab Azoun, l’avenue de la Marne, le square Nelson, le boulevard Guillemin ex-boulevard Général Farre et ses jardins qui glissent en cascades ombragées jusqu’à la mer, les bains Matarèse et Padovani.

Ce quadrilatère a toujours vécu à cheval entre Alger et Bab El Oued. Cela lui a valu mille tourments de la part des quartiers « purs » comme la Basseta ou les Messageries et des quartiers « nobles » de la ville qui se rejettent mutuellement la paternité.

Les Espagnols qui fondent Bab El Oued en 1845 ignorent l’existence des portes qui s’ouvraient alors sous les remparts ottomans, sensiblement à hauteur de la caserne Pélissier et du Lycée Bugeaud. Par contre, ils aident les Français à construire celles de 1848 sur la future place du Général Farre. Pour ces hommes dont l’histoire s’écrit parallèlement à celle de Bab El Oued, le regard se conjugue au présent, voire au futur. Le passé ne les intéresse pas. Ni le leur, ni celui de la ville qui les accueille. Ils tendent vers une seule et même direction : le devenir. Pour eux, l’esplanade Nelson est « off limites ». Jusqu’en 1860, date à laquelle les autorités entament la démolition des portes. De nouveau Bab El Oued s’étend du lycée Bugeaud à la Cantère.
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A cette époque, longeant la mer, la future avenue Borély la Sapie s’adonne aux joies du cirque ambulant « Karoly », « Esclava », « Darius » ou « Antonio » qui offre à une population spontanée et naïve sa grande parade. Pas loin, un chenil et des écuries bientôt sacrifiés à la modernité et au Lycée Lazerges, dégagent des odeurs parfois nauséabondes ignorées par une jeunesse qui traîne au terrain vague avoisinant le chapiteau.

 Plus tard, sur cet emplacement, les trois mille deux cents places du MAJESTIC élèveront cette salle au rang de plus grand cinéma d’Afrique du Nord, emplissant de fierté tout Bab El Oued. Mais avant lui, un autre établissement à vocation artistique ouvre ses portes dans le prolongement de la caserne Pélissier. Le KURSAAL dont l’enseigne rouge stimule l’imagination des lycéens du lycée Bugeaud semble un énorme gâteau offert à la gourmandise des chanteurs en herbe à la recherche d’un music hall digne de ce nom. Ce bâtiment de trois étages, encadré de deux tours abouties au sommet de dômes au style « rococo », se veut le lieu de prédilection de toute une jeunesse avide de s’amuser. Il n’est pas rare d’acheter au marché Nelson les projectiles légumineux qui serviront à « renvoyer à sa cuisine » une demoiselle « qui chante comme une casserole » ou de donner quelques « notions de l’agriculture d’Algérie » à un artiste métropolitain. Au premier étage, un casino attire une clientèle triée sur le volet, gens fortunés, de bonne éducation ou de réputation douteuse.
Hélas, ce music hall qui offre des matinées chantantes et des pièces comiques, digne des plus beaux cabarets parisiens, ferme ses yeux en 1928 à la suite d’un gigantesque incendie que certains prétendent volontaire
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L’esplanade est un immense terrain de sport. De nombreux enfants du quartier tiennent ou tiendront le haut du pavé sportif algérois, nord-africain et français. Norbert MARFAING en athlétisme, Joseph SCHNEIDER « Borace » en cyclisme, PEDROS en natation, Yvan GERBY en ping-pong, les frères FABIANI en volley ball, Robert « Bobby » ALIZARD en water-polo ainsi que Guy BUFFARD, entraineur-joueur du S.C.U.E.B qui se paiera le luxe d’éliminer le grand Stade de Reims de la coupe de France le 3 février 1957.

Rue Icosium, le stade d’Algéria Sports sert aussi bien aux licenciés qu’aux rencontres spontanées entre deux quartiers. Il témoigne, s’il en était besoin, de la vitalité de la jeunesse de l’esplanade. Quant à la piscine d’EL KETTANI, elle « tombe » de nombreux records de France et d’Europe par la grâce d’Héda FROST, Jean Pascal CURTILLET et Alain GOTVALLES

Un autre enfant de Bab El Oued s’illustrera dans une discipline sportive puis artistique : Yves VINCENT champion de natation puis acteur de cinéma, reconnu de ses pairs et d’un public qui adorera cet athlète au regard noir et au menton volontaire.
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L’une des injonctions amicales les plus répandues des enfants de Bab El Oued envoie l’interlocuteur dans un lieu devenu mythique: le Kassour, ancienne plage transformée par les autorités en décharge publique de toutes les eaux usées de la haute et basse casbah, synonyme d’insalubrité et de puanteur. L’invitation à y aller « raconter ses tchalefs » représente la dernière humiliation avant, bien entendu, l’insulte suprême qui viserait la mère.

« Vas te jeter au Kassour, va! » suffit amplement à démonter toute entreprise de mystification.

Lors des balbutiements de Bab El Oued, l’esplanade offre son espace aéré à des manifestations récréatives. Aussitôt le chapiteau du cirque replié, des arènes de fortune en bois sont immédiatement installées pour accueillir les courses de taureaux et de vachettes à l’emplacement de l’ancien « trou » où l’on déposait les ordures avant son remblaiement. Plus tard, on y bâtira le marché Nelson. Ces corridas offertes à un public majoritairement ibérique scellent la fin de la querelle concernant l’appartenance de l’Esplanade Nelson à Bab El Oued malgré quelques poches de résistance de part et d’autre.

La réconciliation se révèle définitive avec la jeunesse des autres quartiers se mêlant à celle de l’Esplanade au fameux bal Matarèse dont les tangos langoureux réalisent le rapprochement des âmes et des corps avec, pour certains, le passage devant monsieur le curé.

Durant la visite de Napoléon III en 1861, la princesse Eugénie déplore le manque d’ombre sous le soleil omniprésent. Il est vrai que la ville d’Alger compte en tout et pour tout que les seuls jardins Marengo, ex-jardin des condamnés construit par 300 forçats militaires sous le commandement du colonel MARENGO et le jardin d’ESSAI confié aux bons soins du botaniste anglais, HARDY. En 1865, lors de sa deuxième visite en Algérie, l’Empereur décide d’ouvrir à partir de la casbah une grande zébrure de verdure qui descendrait de la rampe Vallée jusqu’à la mer sur l’emplacement de l’arsenal d’artillerie.
Il en trace lui-même les plans qui serviront également à l’aération du Plateau des Glières. Cette trouée de lumière passera par la place du Général Farre, seule artère suffisamment large pour accueillir les cinq jardins prévus par l’architecte, Monsieur Valentin. Le seul problème, et il est de taille, un ancien cimetière israélite datant de l’époque ottomane où reposent les dépouilles des suppliciés juifs, occupe une partie de la place. En 1880, après un conflit politico-religieux très ardu avec la communauté israélite, les autorités déplacent le cimetière dans la banlieue toute proche de Saint-Eugène. Seule la koubah des deux saints RASHBAZ et RIBACH, lieu de pèlerinage et de dévotion, situé sur le mont de Sidi EL KETTANI pose problème.
Les ouvriers arabes renoncent à briser le tombeau qui résiste à toute entreprise de démolition. En désespoir de cause, les autorités transfèrent le mausolée dans son entité.
Plus rien ne s’oppose alors à l’entreprise. Dans un premier temps, on se contente de planifier le terrain pour planter à la fin du 18éme siècle des rangées d’arbres en son milieu, répondant ainsi à l’attente de l’impératrice Eugénie.
Dans les années 30, les jardins prennent leur aspect définitif pour le plus grand bonheur des enfants et de leurs mamans. Le boulevard Général Farre est débaptisé au profit du Boulevard Guillemin. Les cinq squares adoptent ce patronyme ainsi que le collège qui les domine et les borde du haut de son chapelet d’escaliers. Ces aires de repos et de jeux fait le bonheur des mamans-gâteaux qui surveillent leurs petits tout en « tchortchorant1 » avec leurs voisines ou des membres de la famille.

Le gardien, au casque bien affirmé, cache sous son allure bonhomme, une rigueur connue de tous les apprentis footballeurs qui attendent patiemment la fin de son service pour s’emparer de l’aire de jeu la plus proche de la mer. Sa forme circulaire de grande dimension est un champ d’expérience fabuleux pour les « matches du siècle » qui se renouvellent chaque jour sous l’œil débonnaire du marchand d’oubli et de barbe à papa au béret éternellement rivé sur la tête, au pied bot et à la dentition dorée.
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Le square Nelson est achevé en 1928 suite à la démolition du Fort Des Vingt Quatre Heures, dernier rempart de Bab El Oued. Superbe reflet d’Orient et d’occident avec son kiosque à musique désuet, sa stèle dédiée aux morts de la guerre 14-18 et les colonnes de l’ex-porte d’Isly démontée en 1895 pour bâtir la Grande Poste d’Alger, il est le rendez-vous des ménagères le matin et des mamans l’après-midi.

En effet, le marché de bonne réputation y déverse ses effluves d’épices, de légumes et de poissons fraîchement péchés jusqu’à midi. Cet espace à ciel ouvert, plus feutré et plus « collet monté » que le marché de Bab El Oued, borde le square Nelson qui se veut le lieu de rassemblement des mamans-tricoteuses et tchortchoreuses, surveillant une cohorte de gamins intenables. Le marché sera construit en dur, intégré au sein même du square et inauguré le 9 Mai 1956 par le maire d’Alger, Jacques CHEVALIER.

Le soir, après souper, les gens du quartier prennent la fraîche en prolongeant les conversations et les tranches de rigolade entamées quelques heures auparavant. D’un geste machinal, les femmes balancent voluptueusement leur éventail de nacre finement décorée à la mode espagnole, les hommes perpétuent la tradition judéo-arabe en agitant avec nonchalance le traditionnel rectangle de raphia fixé au bout d’un rondin de bois dont l’efficacité est proportionnelle à la longueur de l’embout. L’esplanade aérée d’une partie de ses arbres offre, à la belle saison, des fêtes de quartier ponctuées par de bals propices aux serments d’un soir ou de toute une vie.

Si la Basseta parle valencien, alicantin ou majorquin, si les Messageries chantent napolitain, l’Esplanade semble le miroir et le reflet de tous les quartiers d’Alger par l’universalité de sa population. On y retrouve dans une moindre mesure toutes les composantes qui œuvrent pour une grande France sur cette rive de la Méditerranée.
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A SUIVRE....

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