SQUARE GUILLEMIN de hubert zakine

CHAPITRE 10

Heureusement, même dans l’eau j’ai des yeux de lynx. Nicole elle est arrivée et immédiatement elle se met en maillot en me souriant. Normalement, je devrais aller vers elle, l’embrasser comme si elle était ma cousine mais j’ai peur que sa mère elle me fasse les gros yeux. Alors, je reste dans l’eau à côté de Mani comme deux enfants sages. J’ai juste le temps d’apprendre que la cousine de Bouzouz, elle a le béguin pour Gozlan quand j’entends une petite voix derrière moi :

--Bonjour beau brun !

Le temps de me retourner, je lui réponds :

--Bonjour belle blonde !

Tout autour de nous, il y a plein de babaos mais on s’en aperçoit même pas ! Le nautilus du capitaine Némo pourrait surgir de nulle part, ça nous étonnerait à peine. Les amis je sais même plus comment y s’appellent ! C’est beau l’amitié ! Si j’avais le temps, j’aurais honte mais je préfère me noyer dans les yeux de ma dulcinée. Oh, putain, ce mot je l’ai déjà entendu dans un film mais jamais, au grand jamais, j’aurais cru qu’un jour je l’utiliserais. Dulcinée ! Y faut que le dictionnaire me donne l’explication! La vérité, je m’étonne de plus en plus !

Nicole, elle nage à mes côtés d’un style coulé qui tranche singulièrement avec le mien. Purée, on dirait Héda Frost ! J’exagère un petit chouïa mais la vérité, quand on aime, on dit n’importe quoi. J’ai beau chercher, je vois pas sa mère dans l’eau. Elle est restée sur le sable à surveiller son petit frère. Je m’approche de Nicole avec toute la tendresse dont je suis capable quand je reçois un paquet d’eau qui me noie littéralement. Mani il a rien trouvé de mieux que de me faire boire la tasse, ce couillon de la lune. Juste au moment que je préparais mon attaque pour tenter de l’embrasser furtivement. Yaré Mani ! Le temps de rire un bon coup et me voila qui tente à nouveau une approche langoureuse mais la petite blondinette elle m’arrête comme si j’étais un criminel. Les yeux qu’elle me fait ! Ma parole, c’est une manie dans la famille de faire les gros yeux ! On dirait sa mère. Remarque, si elle ressemble à sa mère, ça va devenir un canus extra-lombem. Pas assez qu’elle me fait les gros yeux, Nicole elle s’approche de moi. Tout de suite, je me prépare à riposter, à lui dire que je l’ai pas violée, que les filles c’est pas ce qui manque, que j’ai qu’à claquer les doigts pour tomber les filles, beau comme je suis et tout et tout. A tous les coups, je m’attends qu’elle me fasse le coup du « tch’es fou !» ou « tu vas pas m’embrasser devant tout le monde » ou encore « non mais pour qui tu me prends » Total, elle me sourit d’un air complice et me susurre me à l’oreille

-- On s’embrassera dans une entrée de maison cet après midi !

Putain la classe ! Non seulement elle est belle mais en plus elle est intelligente ! Elle a compris ! Plus beau que moi, ça existe pas dans tout Bab El Oued. Et même dans tout Alger. Et tant qu’on y est, dans toute l’Algérie ! En plus, comme dit Bouzouz, elle a des tétés. Alors, Nicole et moi, c’est une affaire qui marche. Et même qui court.

Seulement, il va falloir l’embrasser comme au cinéma pour qu’elle me prenne pas pour un babao. Sur la bouche, avec la langue ! Quand je vais dire ça aux amis, y vont mourir, croire que je bloffe et tout et tout ! Bande de jaloux ! Je vais pas leur demander de tenir la chandelle quand même ! A moins que un d’entre eux il assiste au baiser du siècle pour témoigner que je mens pas ! Tirer à la courte paille pour gagner le droit de faire la mata. Si je les fais payer, je me fais une fortune. Comme les amis y draguent à tout va, peut être qu’on va se taper le baiser collégial. Tain qu’est ce que j’ai avec ces mots à la bab allah ! L’entrée de maison, elle va être trop petite. On va jouer aux tchic-tchic pour connaître l’ordre de passage. Nicole, elle reste à midi alors moi aussi je reste, un vrai parote ! Les amis aussi restent alors je vais en vitesse demander à ma mère de me préparer des casse-croûtes. Ca y est, ma douce, elle se fait du mauvais sang.

--Un casse-croûte, c’est pas du manger ! Tu veux pas que je te donne un morceau de méguéna ?

--Non, manman, un sandwich pour chacun, ça suffit !

--Ah parce que j’en fais aussi pour tes amis ?

--Si tu veux !

--Et même si je veux pas, tes amis, je les laisse mourir de faim ! Yaré mon fils, on dirait que tu

connais pas ta mère !

Chargé comme un bourricot, je me mets au milieu des amis et des filles qui ont l’air de bien s’entendre. L’air mais aussi la chanson. Nicole, elle a pas l’air d’être contente au milieu des siens. Alors, ni une ni deux, elle nous rejoint avec sa sœur et son petit frère. Sa mère, elle nous surveille du coin de l’œil mais comme on va pas violer sa fille sur la plage de Padovani, elle est rassurée.

Les demoiselles, elles nous servent à manger comme si on était les rois du Harem. Nicole, elle s’est assise à côté de moi, l’air de dire aux autres filles, çuilà c’est chasse gardée, attention les yeux. Tiens voila Capo avec ses poils aux jambes, qui se pointe. Mani murmure la seule chose à ne pas dire,.

--Tain, y va falloir partager !

Mani, c’est mon ami mais c’est un goulafre comme pas deux. Quand il était plus petit, son père lui faisait boire du sang de cheval chez le boucher du coin. Son idée c’était qu’il valait mieux faire envie que pitié et la vérité, Mani, il en est la parfaite illustration. D’abord, il est très beau. Pas autant que moi mais il est plus joli garçon que la plupart des copains. Et ensuite, grâce à D.ieu, il se porte bien! Puisqu’on en est à la description de mes amis, Gozlan, il a un charme indéfinissable dans le regard. Comme on dit il a une coquetterie dans l’œil mais ça l’empêche pas de draguer à mort. Toujours le sourire aux lèvres et même si parfois y déconne, on peut pas s’empêcher de tout lui pardonner. Bouzouz, c’est un autre moi même (en moins musclé bien sûr). Rarement, on nous voit l’un sans l’autre. (sauf quand on va aux pissotières du boulevard Guillemin). Quant à Capomazza, le surnom de Capo, ça lui va comme un gant parce que son père ressemble comme deux gouttes de chnapp’s à Eric Von Stroheim. Capo, quand on va en ville, monsieur, jamais y  rentre à Bab El Oued à pied. Sans rien dire, y prend le tram. Nous autres, on le cherche partout. On imagine que quelqu’un lui a mordu l’œil, qu’il a été kidnappé par Pépé le Moko, je sais moi ! On se fait un de ces mauvais sangs (comme nos mères) alors que ce coulo, y nous attend au jardin Guillemin. Voilà mes amis qu’avec tous leurs défauts, je devrais les jeter au Kassour mais Azrine y vient, ça reste mes amis. Et que ceux qui sont pas contents, y vont se taper une olive !

En parlant d’olive, ma mère a eu la bonne idée d’ajouter des tramousses, des variantes et des zitounes pour nous ouvrir l’appétit. Elle est comme ça, ma mère. Tout pour ses fils ! Et depuis toujours !

Afin de respecter la tradition de la règle des trois heures nécessaires à une bonne digestion, on s’est tapé une bosse de rigolade faramineuse en jouant à la Ronda. Ensuite, Drop ninette, tous en bas la mer. Mais j’oublie pas la promesse de Nicole qui me plait de plus en plus toute bronzée et blondinette. Je vais l’embrasser dans une entrée de maison avec Mani pour tenir la chandelle. La maison, elle se trouve en face le jardin Guillemin. Au dessus de la porte d’entrée, un panneau Toututil, il avertit que tout était utile pour les ménagères mais embrasser une fille avec la langue ou sans la langue, la vérité, c’est franchement utile ? Toujours est-il qu’avec Toututil, on va joindre l’utile à l’agréable. Surtout si Mani reste pas à mater de près comme un vicieux.

--Recule ! Plus loin ! Bon allez, va au fond !

Raïeb, Mani y va lui falloir des longues vues, si ça continue ! Y s’exécute en grognant sinon je lui fais les gros yeux comme la mère de Nicole. Bou, la mère de Nicole si elle savait que je vais embrasser sa fille, elle m’envoie tout le quartier de la Marine aux trousses et elle enferme sa fille dans un couvent!

Bon, devant moi, Nicole elle en mène pas large mais elle est docile. Je me penche vers elle et cette parota, elle se met pas à attraper le fou rire ! Tout à l’heure, je lui embrassais les dents. Mani, y se régale à mater un maximum. Allez, en avant pour un deuxième tour. Ô la putain, je l’embrasse comme si on était des grands. Mani, y s’arrête pas de répéter : « c’est beau » comme si y regardait un film aux Variétés. Nicole, elle se pâme et moi je fais attention où je mets ma langue. Mes mains, si Mani il était chez Azrine, elles auraient jouer les exploratrices. Ca y est ! Purée, c’est déjà fini. Le film, il a duré quelques secondes. Nicole elle est toute retournée et moi je suis tout à l’envers. Mani sort de l’immeuble transfiguré. On dirait un somnambule.Pire, un zombi. Il a vu passer deux anges. On sort de « Toututil » en se regardant comme si on avait signé un pacte avant le mariage.
 A SUIVRE LE CHAPITRE 11