vendredi 8 avril 2011

MARIE TOI DANS TA RUE, MON FILS! - hubert zakine-

UN EXTRAIT POUR VOUS DONNER LE GOUSTO......

Léon Benaim était un tailleur renommé à Bab-El-Oued qui s’était découvert, dès son plus jeune âge, certaines dispositions pour la musique. En ce temps là et dans ce pays-là, l’oreille était le plus court chemin pour apprendre à se servir d’un instrument et le piano du café Abid au cœur de la basse casbah se prêtait très souvent à son doigté malhabile. Le soir, il allait chercher son père qui s’arrêtait, après son travail, boire un verre d’anisette avec ses amis du quartier. Là, assis sur les marches du café, les coudes sur les genoux et la tête reposée dans le creux de ses mains, l’enfant écoutait religieusement les virtuoses de la musique judéo arabe qui s’y produisaient pour le plaisir de jouer ensemble, hors des sentiers battus. L’improvisation pour seule contrainte, ces musiciens d’un autre temps s’en donnaient à cœur joie sous les vivats enfumés des consommateurs.

Le grand Squifa le surprit un matin de pluie alors que l’averse le calfeutrait à l’intérieur du café. Il le prit sous son aile et, entre deux retouches de pantalons, lui apprit tous les rudiments de la musique orientale. L’apprentissage de tailleur s’effectua de concert avec celui de musicien, alliant ainsi l’alimentaire à la passion. Devenu adulte, Léon créa son atelier et son orchestre. Ses deux activités furent couronnées de succès et sa renommée pour le ciseau et le piano ne se démentit jamais.

A Cannes, après avoir longtemps hésité, il recréa son orchestre mais se contenta de son appartement en guise d’atelier. Auprès des pieds noirs, il trouva une clientèle pour ses costumes et sa musique orientale, berça nombre de Milah, célébra plus d’une Bar Misvah, consacra tous les mariages de la communauté.

-« Il est un temps pour détruire et un temps pour reconstruire. » répétait-il à son épouse qui l’encourageait à ouvrir un atelier de tailleur.

--« Mais le temps n’a pas pris en compte l’exil qui multiplie les heures et accélère la vieillesse! » ajoutait-il lorsque la pression se faisait trop forte.

--« Toi, tch’es trop vieux? Dis plutôt que tu veux faire l’artiste avec ta musique arabe! »

--« Et alors, c’est mal? Tch’aimes plus la musique de ta jeunesse, mainant? »

--« Bou! Moi, j’aime pas! Mais tu deviens fou ou quoi! Trouves-moi dans ce pays une femme qu’elle connaît plus que moi Lili Boniche, Sassi, Line Monty, Labassi, Blond-Blond et tous les autres! Ma parole, tu veux me vexer ou quoi? »

-« Cuilà qu’il a parlé, y s’est envolé! »

Richard adorait ses parents comme tous les enfants du monde mais il leur était reconnaissant de leur entente et de leur bonne humeur. D’être restés les dépositaires de cette richesse du cœur qui appartenait aux gens de son pays, attachés aux valeurs du porte-monnaie vide et du partage des joies et des peines. Ces valeurs brillaient dans le ciel de sa vie, à la croisée de l’orient et de l’occident, sur le chemin de l’émancipation française.

Richard pensait trop. Il en oubliait de vivre. Torturé à l’idée d’entrer dans l’ère des sacrifices, il savait qu’il ne sortirait pas indemne de ce conflit intérieur qui le minait et parvenait même à gâcher les doux moments partagés avec sa belle. Sa mère espérait que le temps serait son allié le plus sûr pour se détacher de cette petite tout en sachant que les heures qui défilent ne cicatrisent pas forcément les peines de cœur. Sa nostalgie de là-bas le prouvait abondamment.

*****
Fille élevée selon les principes inculqués en Algérie, Carmen respirait depuis son enfance cette terre de feu qui regorgeait d’interdits et de recommandations. Et de respect envers les parents. L’âge ne faisait rien à l’affaire. Du moment que l’enfant, fille ou garçon, habitait la maison familiale, il devait se plier à la rigueur du père et bénéficier de la mansuétude de la mère. La désobéissance effleurait si peu l’esprit d’une fille qu’une entente tacite décidait de l’heure du retour à la maison, du chaperon qui accompagnait chaque sortie ou de l’exigence de connaître les amies pour jauger les fréquentations.


Pour toutes ces raisons, l’accablement des deux enfants semblait s’accroître de jour en jour. Baignés depuis leur plus tendre enfance dans cette eau parfumée de raison parfois déraisonnable, ceinturés de certitudes apprises du bout du cœur, encore bercés par le chant d’amour d’un héritage impossible à renier, ils semblaient des nains au pied d’une montagne infranchissable.


Seul, le judaïsme libéral si d’aventure…………


Cannes s’enrhumait. Des bourrasques de vent venues de la mer balayaient les balcons, déposant sur les vitres fermées les larmes de Dieu. La Méditerranée se démaquillait de bleu et de soleil, offrant à ses admirateurs la pâleur et la fadeur d’une grisaille uniforme seulement soulignée de lacets moutonneux.


Joseph Solivérès, les yeux dans le vague, se souvenait de cette journée maudite, semblable à celle-ci, noire de ciel et de deuil, qui le vit porter en terre son fils aîné, cette force de la nature abattue au coin de sa vie par la folie des hommes. Un adolescent baignant dans son sang parmi tant d’autres. Jamais après le cimetière, il n’avait exprimé son chagrin, préférant s’enfermer en pays de solitude, laissant Rosette partager son drame avec ses sœurs et ses voisines. Ses amis avaient respecté ses silences et ses larmes, l’accompagnant sans bruit dans sa quête d’absolu et de dignité. Comment pouvait-il en être autrement, l’absence de son fils l’endurcit au point de lui faire entrevoir la rupture avec son entourage familier et professionnel. Dans ce pays d’hommes, la grossesse de sa femme lui redonna allant et sourire et bien que sa première impression fut teintée d’amertume, il sut se réjouir de la naissance de sa fille.

FIN DE L'EXTRAIT

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