samedi 23 avril 2011

L’évolution de la politique d’assimilation, de 1830 à 1944

« L’Algérie, c’est la France ! » La phrase prononcée le 12 novembre 1954 à l’Assemblée nationale par le président du Conseil Pierre Mendès France est restée célèbre. Et pourtant, la justice française en Algérie de 1830 à 1962 n’a jamais été rendue exactement comme en France métropolitaine, parce que la grande majorité des habitants de ce pays n’ont jamais été considérés comme de véritables Français.

L’assimilation, objectif officiel de la politique algérienne de la France, est restée un but lointain, un idéal, un dogme républicain, mais elle n’a jamais été une réalité. A peine commençait-elle à entrer dans les lois qu’elle fut officiellement désavouée.
La présente communication se propose de retracer l’évolution du cadre politique dans lequel se situait l’exercice de la justice civile et pénale.

La politique d’assimilation de l’Algérie à la France fut improvisée entre 1830 et 1848, par suite d’un enchaînement de circonstances qu’il serait trop long de rappeler ici. Elle visa d’abord l’assimilation du territoire algérien au territoire français. Celle-ci fut décidée pour la première fois par l’ordonnance du 22 juillet 1834, édictée après quatre ans d’occupation provisoire et partielle, et appliquée à l’Algérie entière quand fut décidée la conquête totale à partir de 1841. La Constitution républicaine de 1848 consacra l’appartenance de l’Algérie au territoire national, en lui accordant une administration civile et une représentation politique dans l’Assemblée nationale.

En effet, le choix de l’annexion impliquait celui du peuplement de l’Algérie par une « grande invasion » de colons français qui devaient s’approprier la majeure partie du sol et former la majorité de la population du pays. La colonisation devait être à la fois le moyen d’assurer la pérennité de la conquête, de la justifier en lui donnant un but utile à la grandeur nationale, et de résoudre la question sociale en métropole. Pourtant, dès les années 1850, l’essor économique et l’affaiblissement démographique de la France avaient démontré que celle-ci n’avait pas les moyens et n’avait pas davantage besoin de peupler l’Algérie. Napoléon III essaya vainement, à partir de 1860, d’infléchir sa politique algérienne vers la reconnaissance d’un « royaume arabe » associé à la France. Tous les opposants au Second Empire soutinrent contre lui les « colonistes ». En 1870, la victoire des républicains consacra durablement la politique d’assimilation comme un « dogme » républicain et patriotique

L’assimilation du territoire impliquait nécessairement l’assimilation de ses habitants immigrés ou autochtones, dans la mesure où les immigrés de souche française métropolitaine étaient trop peu nombreux pour y devenir majoritaires. Cette assimilation-là connut de petits succès et un échec majeur.

Les étrangers européens, venus spontanément depuis 1830 de l’Europe méditerranéenne (Espagne, États italiens, île de Malte) et des pays voisins de la France (Piémont, Suisse, Allemagne du Sud), avaient été presque constamment plus nombreux que les Français. Les naturalisations individuelles ne suffisaient pas à en diminuer sensiblement le nombre. Il fallut la loi du 26 juin 1889 - instituant la naturalisation automatique, au nom du droit du sol, des enfants d’étrangers nés en territoire français qui ne la refusaient pas à leur majorité - pour les résorber rapidement dans la population française. Ce fut un succès, contrairement aux craintes de certains qui dénonçaient les « néo-Français » comme les agents d’un « péril étranger » ou les promoteurs d’un nationalisme « algérien » séparatiste à la fin du XIXème siècle.


Les juifs autochtones étaient d’abord soumis au même régime que les indigènes musulmans. Le sénatus-consulte du 14 juillet 1865 leur avait reconnu la nationalité française, tout en leur conservant le bénéfice de leur statut personnel et familial fondé sur la loi de Moïse. Il les autorisait à demander l’accession individuelle à la citoyenneté française (appelée « naturalisation »), à condition de renoncer à leur loi religieuse pour se soumettre au Code civil. Bien qu’ils eussent favorablement accueilli la conquête française, peu de juifs se prêtèrent à cette procédure. C’est pourquoi Adolphe Crémieux, éminente personnalité du judaïsme français, proposa une solution radicale, qu’il put réaliser par un décret du 24 octobre 1870, en tant que ministre de la Justice du gouvernement de la Défense nationale : le « décret Crémieux » attribua la citoyenneté française à tous les juifs d’Algérie en leur imposant l’abandon de leur statut personnel particulier. Cette mesure fut vivement contestée en Algérie, où un violent mouvement anti-juif culmina tout à la fin du siècle, et en métropole. Elle avait pourtant abouti à une réelle assimilation culturelle et sociale de toute la communauté juive quand le régime de Vichy, dans le cadre de sa politique antisémite, abrogea le décret Crémieux en octobre 1940. Privés de leur citoyenneté française soixante-dix ans après se l’être vu imposer, les juifs algériens se virent également interdire la voie de la « naturalisation » individuelle, sans retrouver pour autant leur statut personnel mosaïque. Ainsi rabaissés en dessous des musulmans, ils ne retrouvèrent leurs droits qu’en novembre 1943, le Comité français de libération nationale (CFLN) ayant, après beaucoup d’hésitations, déclaré la nullité de l’abrogation du décret Crémieux (sans oser le rétablir officiellement).

Au contraire, l’assimilation des indigènes musulmans, restés largement majoritaires dans la population de l’Algérie, fut globalement un échec.

L’ordonnance du 22 juillet 1834 en avait fait des « régnicoles » (habitants du royaume). Le sénatus-consulte du 14 juillet 1865 leur attribua la nationalité française (impliquant le fait de ne pas être ressortissant d’un autre État que la France) mais non la citoyenneté française. En effet, les musulmans algériens bénéficiaient du maintien de leur statut personnel fondé sur la loi coranique (ou bien, en Kabylie, sur les coutumes berbères) et appliqué par une magistrature musulmane suivant la promesse faite le 5 juillet 1830 par le général Bourmont lors de la capitulation d’Alger. Ce privilège d’autonomie législative (très limitée) était invoqué pour justifier l’assujettissement à un régime disciplinaire d’exception, qui confondait les pouvoirs exécutif et judiciaire entre les mains des militaires (en vertu de l’état de siège), puis des administrateurs de communes mixtes suivant le « Code de l’indigénat » (définissant des infractions et des peines spéciales aux indigènes) de 1881 à 1927. D’autres juridictions d’exception, les tribunaux répressifs et les cours criminelles, fonctionnèrent entre 1902 et 1930. De nombreuses discriminations légales entre « Français » et « indigènes » subsistèrent jusqu’en 1944.

A SUIVRE.......















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