CHAPITRE 7
CHANT IV
CHANT IV
HYMNE A LA RICHESSE DE MES ORIGINES EN DO MAJEUR SUR LE CLAVIER DE MON COEUR D’ENFANT…
Bien avant cette question contemporaine, notre histoire, semble-t-il, reposait déjà sur ce fondement même de la multiplicité de nos origines, ne sommes-nous pas en définitive, issus de cette culture de mixité bien avant l’heure ?
Avant-gardistes sans le savoir, cet entrecroisement de peuples, venus de divers continents ainsi que sa cohabitation avec des autochtones ou de précédents habitants du pays, n’a-t-il pas contribué à notre intrinsèque richesse multiculturelle, et dans ces conditions, à ce que nous fûmes : tous des indigènes, puisque à partir de 1832, l’Algérie nous a vu naître sur son sol, de génération en génération, jusqu’en 1962, donc, des natifs de ce pays !
Le droit du sol ?...Vieille notion française. A moins de procéder, et encore, comme le firent dans certaines régions du monde certains dictateurs de bien triste mémoire, le droit du sang n’est-il pas souvent utopique et destructeur pour ne pas dire exterminateur ?
Mais laissez-moi rêver…
Nous étions les habitants d'un monde, du monde ! Porte ouverte sur le bonheur, irrésistible appel vers un ailleurs plein de fraîcheur, vers cet enchantement, cet envoûtement irrépressible qui me faisait aimer danser, virevolter, chanter, et rire ! Et maintenant nostalgie de cette succession d’états d’âmes, tous les sentiments d’une enfance merveilleuse et avant d’être, par vous, vouée aux gémonies, d'un unique idéal, celui de s'abandonner à toute la joie de vivre et de l’exprimer!
Souvenirs si vifs, si fidèles à mon pays d’origine ! La rupture, à l'instar d'un flash, les a gravés à jamais dans ma mémoire. Je voudrais vous dire combien je sens en moi, à travers ma peine, les trames profondes dont je fus tissée, grâce à mes multiples origines La petite fille aux étincelants élans, en fut consciente très tôt. Quel extraordinaire, quel inestimable trésor était sien avant sa déportation et celle de ses parents !
Et voici que je suis conviée de nouveau à toutes les légèretés d’être, au royaume de tous les divertissements, jeux, farces et fameuses cabrioles ! Loin des grands tourments et des malheurs, de l'injuste ostracisme à nous réservés !
Je retrouve mon école de la rue Dupuch, mes petites camarades de classe, françaises et musulmanes. Voici que j’entends la cour de récréation qui claironne, sautille, et crie bruyamment, la sonnette stridente, marquant l’interruption momentanée du jeu, pour notre retour en classe, où penchées sur nos pupitres, nous préparerons, silencieusement, nos pathétiques avenirs…
Voici que des bouffées d’air entrent à nouveau dans mon coeur d’enfant par toutes les fenêtres de la vie ! Le soleil me fait signe. Il y a quelque chose d'émouvant dans le regard de la petite fille que je suis, un grand point d’interrogation tout doré, tout doux…s’assombrissant soudain, sous le coup d’une sorte de révélation passagère : venant troubler la quiétude de l’air, une mouche aux yeux d’or l'insinue dans son subtil bruissement.
Rosalind, tout enfant qu'elle fût, ne soupçonnait-elle pas, déjà, à la teneur de l’atmosphère ambiante qu’à l’âge où l’on rêve encore, elle débarquerait ici, sur la terre métropolitaine. Eut-elle l'étrange pressentiment que, croyant encore à la continuité du bonheur, elle se heurterait à un odieux bouleversement de sa destinée.
Plus tard, chaque fois qu'il lui fallait, depuis la catastrophe, indiquer son lieu de naissance, elle découvrait, étonnée, toute l’incongruité de sa provenance et de ses origines. Dès lors, elle sentait bien qu’elle n’était pas une petite fille comme les autres mais acculée au silence et au secret, redoutant d’évoquer ce passé haïssable et honni, ce qui n'aurait pas manqué de lui valoir quelque réflexion acerbe, sinon haineuse sur « la barbarie de ses vies antérieures »…
D’instinct, elle taisait ce passé et le gardait aux tréfonds de son coeur dans une silencieuse désolation. Mais les humiliations pleuvent : pour quels crimes et délits inavouables et inconnus devions-nous payer ?….
Et la jeune Rosalind de onze ans, âge auquel elle débarqua à Marseille, pensait qu’au fond elle n’avait pas vraiment droit au sol quel qu'il fût. Ses seules "prérogatives" consistaient à se taire, à s’adapter sans broncher, face aux terribles insinuations, planant comme autant d’épées de Damoclès audessus de sa tête, avec pour bruit de fond charmant : « tous ces gens de làbas», formule consacrée. Nous étions loin d'être les bienvenus et d'être défendus par quelque associations pour SDF. Même certaines personnes ecclésiastiques nous fermaient des portes.
On avait fait un peu le même coup aux Vietnamiens-Français quelque temps auparavant mais depuis les coeurs s'étaient encore durcis : « ne viennent-ils pas prendre « ces étrangers-français si on veut ! » la part du gâteau à laquelle ils prétendent, de plus, ils sont prioritaires pour ci ou pour ça…comme ci ou comme ça. Oui c’est bien cela, ils sont venus nous coloniser encore et encore, mais à quoi prétendent-ils donc ces immigrés là ?... " Alors, je vous le dis là, aujourd’hui, ici et maintenant, Françaises et Français, chers concitoyens, du haut de mes cinquante-quatre années à me taire ! « BASTA ! BASTA !....................... »
Et cela me fait un bien fou de vous le jeter à la figure, sachez le une fois pour toutes ! Ouf ! Comme cela m’apaise !
Car, J’ACCUSE !
De nous avoir non seulement bannis, mais surtout, de nous avoir, derechef rejetés une deuxième fois ! En méprisant nos devenirs, jusqu’en 2007, et même à l’instant où j’écris ces lignes : preuve du « très élevé autisme » des Etats et du peuple (si reconnaissants…pour certains, omettant les autres…). Il est trop facile de se donner bonne conscience en se penchant sur le sort des immigrés et de leur famille ! Mais, de ce point de vue," sachez que vous ne détenez pas « le monopole du coeur…"».
Et, d'un autre point de vue, "Caïn, qu'as-tu fait de ton frère ? " Chassé par toi du sol natal, accueilli sur une terre que tu te charges de lui faire sentir comme étrangère, n'est-il pas cependant ton plus proche prochain ?
La connaissance qu'ont de nous les Français métropolitains me paraît fort restreinte. Si ce n'était ainsi, ils sauraient qu’ils ne sont pas les seuls à avoir apprécié en leur temps ceux avec qui nous vivions, et que, de ce fait, nous n’étions pas plus racistes qu’eux. Qui donc se permettait de désigner leurs semblables par des sobriquets tels que" ritals" ou "macaronis", pour les Italiens, "frites" pour les Belges, "choucroutes" pour d'autres ?… J'en passe et des meilleurs...
Je suis sincèrement ravie de ce que la jeune génération française se préoccupe du sort des immigrés de souche quelle qu’elle soit.
Mais je vous prie de graver dans vos esprits oublieux que « les pieds-noirs » que vous le vouliez ou non sont des Français qui ont combattu et donné leur sang pour que vive la FRANCE !!!!
Pourriez-vous m’expliquer, ce qui nous vaut, encore aujourd’hui, d’être voués au malheur de l’oubli ? Ne sont-ce pas là, des traits particulièrement caractéristiques d'une lâcheté avérée ?...
Symphonie inachevée !... : j’en ai le do majeur, mais non le dédommagement moral ou à tout le moins matériel... gagnés à la sueur du front de mes parents, et notamment de mon grand-père, ces biens confisqués n'étaient pourtant pas des biens volés, loin de là : ils avaient, d'ores et déjà produit des fruits, contribuant ainsi à la prospérité du sol qui les avait vu prospérer !
Quel exercice difficile que d’écrire, de mettre en mots ces fulminations et ces cris arrachés par la douleur. Seront-ils entendus ? Je l’espère et j'espère aussi qu'ils ne seront pas sans déranger certains d’entre-vous. Je veux mettre devant vous la question "Pieds noirs" sous forme d'une vivante et personnelleproblématique. Il faut qu'enfin vous mesuriez vos responsabilités à notre égard vous qui n’avez rien fait pour nous ou si peu. Il me faut, à mon tour, éclairer vos lanternes, et dénoncer, tout particulièrement et sans appel, la trahison de Monsieur De Gaulle (je suis allée l'applaudir lors de sa venue en 1958, j’avais donc six ans sur la place du forum à Alger) ! Je l’ai vu brandir ses grands bras pour nous faire croire qu’il nous avait compris, et tout le monde l’a cru.
C’était un jour merveilleux, une foule immense et intensément confiante l’accueillait.
Comment a-t-il pu nous trahir de la façon la plus ignoble qui soit ?
J'en appelle à la Justice divine immanente : Dieu seul peut lui demander raison et expiation jusque dans la mort de ses fautes irréparables.
Quant à moi, petite Rosalind de onze ans, je ne lui pardonne pas !
A SUIVRE
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