vendredi 15 avril 2011

LES AILES BLANCHES D'ALGER DE ROSALIND FERRARA

CHAPITRE 6
Rions à nous décrocher la mâchoire de nos infortunes, à droite toutes ! À tribord, à l’abordage !... Ils vont voir ce qu’ils vont voir !... Ma catapulte est tendue !
Par ces lignes, je souhaite les mettre tout de suite dans le bain, les frapper de ma foudre, sans épargner aucun de ces scélérats ! Debout, vous, les responsables de tous ces crimes, vous les destructeurs de nos vies, vous qui avez précipité dans la ruine un pays qui ne demandait qu’à vivre !
C’est avec ma grâce d’enfant, que je vais venir vous assaillir, torpiller vos conforts !...Je ne vous manquerai pas, soyez en persuadés. Une spontanéité farouche me guide et me confère l’art de raconter cette histoire : la mienne. Ma pathologie, permanente, intermittente, silencieuse, a pour nom exil, avec ses manifestations et tous les drames enclos dans ce mot depuis la nuit des temps.
Brandissant l’épée d’Othello, j'entre en scène lentement mais sûrement, "chi va piano, va sano" ! Soyez sans crainte, j’ai bonne mémoire, aussi ne vous lâcherai-je jamais. Pour tout ce mal fait à ma famille, à mon sol natal, l’atroce déchirure entamée à la hache, l’expatriation, votre racisme, vos spoliations, toutes les Furies se sont précipitées dans mon coeur
Je crois qu’il vaut mieux pour vous, vous arrêter en cours de page, tant la vérité crue va vous faire souffrir.
Une question : ces hommes qui ont tiré sur des hommes du même peuple !
De quel acabit sont-ils donc faits ?...
Ceci est mon testament de petite fille, car je suis bien morte à l’âge de onze ans, le reste c’est de la foutaise, de la survivance, ni plus, ni moins, un simulacre d’intégration. Ne conviendrait-il pas de me dire comme vous le faites pour les immigrés en règle générale « Eh bien ! Retournez là d’où vous venez »
Soyez en certains, si vous m’en donniez la possibilité comme vous l’avez fait pour d’autres je vous prendrai au mot sans hésitation !... Sans réfléchir un instant ! Et vous diriez en riant, parodiant mon langage « Ciao Bello ! » …..

Mais n'est-ce pas faire trop d'honneur à ces tristes sires, pour la plupart chevaliers d'industrie, que d'étaler devant eux mes pleurs et mes regrets ?
Revenons vers toi Alger de mon enfance, revenons vers toi ma BEAUTE
Elevée dans ce paradis de couleurs, c’est une autre histoire qu’il me faut continuer d'écrire et de raconter. Autre face aussi d'un même legs de vérité ... et donc, aucun repentir d’avoir écrit ces lignes ne me viendra jamais !...
 

CHANT III
MAGIE DU GRAND SUD
Pour les voir, il me suffit de fermer les yeux très fort ! Alors, reviennent, les montagnes environnantes, les djebels où, très jeune, je montais un cheval, tenu par un guide, en des lieux envoûtants comme le Sahara, territoire immense à perte de vue, continent noyé dans l’or des sables, plaine de sable de place en place bosselée de petites dunes remuantes, vents du désert, roses des sables, leurres amusants des méharées de dromadaires, des Touaregs aux yeux bleus surprenants sous leurs écharpes noires, dissimulant les traits de leur visage buriné par les siroccos et les tempêtes de sable, destinations lointaines, expéditions lentes sous l’implacabilité du soleil rougissant vers la tombée du crépuscule, processions cadencées, si parfaites, nuits froides, contrastant avec la terrible chaleur des journées, du sable, du sable encore…
Souvenirs bouleversants auxquels on ne peut échapper…
C’est pourquoi, à notre insu, ils imprègnent si profondément la mémoire : les siroccos, alors, soufflent dans mes veines, je sens les baisers fiévreux du soleil, je chevauche sur les sentiers escarpés des montagnes, puis j’aperçois des hommes assis au pied de leurs chameaux hautains qui blatèrent en remuant sempiternellement leurs gigantesques babines entravées de liens rassurants...
Le calme de ces hommes est digne, certains tiennent des cannes avec majesté, plus jamais je n’ai vu de vieillards aussi beaux ! Leurs visages entaillés de petites ravines sablonneuses, si j’avais pu, je les eusse embrassés de tout mon petit coeur aimant ! Et leur regard était si sage, si impassible, qu’ils paraissaient
immuablement beaux, sans âge, tels des êtres sculptés à même le sable !...
Cependant, cela ne se faisait pas d’étreindre les mains des vieillards. Au lieu de la proclamer, je gardais dans mon coeur toute l’admiration qu’ils m'inspiraient !...
Mais au retour, combien j’avais soif de tous ces déserts, combien je convoitais, imaginais, ressentais l’appel des grandes mers de sable rose !
Combien je rêvais de les traverser avec ces hommes, en des caravanes princières, ces espaces grandioses, ces immensités vertigineuses ! Fascinée par la proximité de l’aventure, dévorée de désir, j'en arrivais à rêver de me cacher dans un de leurs immenses sacs en peaux, oscillant sur les flancs des bêtes impériales, pour des voyages sans fin, voyages dont ils m'avaient apporté comme un parfum de leur endurante beauté…
Il me fut, un jour, donné de monter sur ce noble animal. Chose étonnante, je n'éprouvais aucune frayeur et lui savait à n'en pas douter que je voulais toucher les rayons du soleil et sentir ses propres effluves, même les plus malodorants.
Si vous saviez comme je riais, riais tout mon saoul, de mon périple !
Tandis que mes parents, catastrophés de l’inimaginable confiance que j’accordais à la bête monstrueusement haute, invitaient le chamelier imperturbable à arrêter son équipage à la démarche hautaine, moi je ne cessais de pousser des cris endiablés de joie…
Merveilleuses sensations, tissées à même ma chair, inscrites pour toujours dans ce besoin d’aventure qui m’anime encore et deviendrait le socle de ma vie de nomade impénitente, pulsion profonde d’évasions plus spirituelles, au-delà de l’au-delà…métaphysiques émotions des voyages lointains, sensibilité à fleur de peau, perceptions du plaisir, émanation de l’amour des autres, invitation aux mouvements de l’âme, à ses chants les plus sacrés, à la bénédiction du bonheur providentiel !
Et bienveillante mémoire aventurée dans l’écriture, partie de plaisir singulièrement délectable !!!
A SUIVRE.......

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