jeudi 31 mars 2011

L'HISTOIRE DU RUA PAR MAURICE FAGLIN OU UNE HISTOIRE D'AMOUR EN CIEL ET BLANC

C'est aux environs du 15 octobre 1929 -j'avais alors onze ans -que j'assistais pour la première fois à un match du RUA.
Le stade municipal du Ruisseau n'existait pas encore.
C'est sur celui du Champ de Manoeuvres que le RUA, nouveau promu, accueillait le GALLIA, les Coqs, fort de joueurs d'expérience : LOUISOU, ABDEL, CAROL, LACOMBE, PIETRI, RIBEYRE, MARESCA, CHIBALI, CHESNEAU, AILLAUD. Pierre CHAYRIGUES, prestigieux gardien de l'équipe de France était leur entraîneur. Le RUA avait à peu près la formation suivante : SANCHEZ, SUANEZ, DUPRAT, BRAHIMI, PATAA, POUCE, FERRERO, VOIGNIER, COUARD Roger, GARCIA, PARIS ou SALERNO. Vous remarquerez que la fameuse ligne de demis TAILLANT, PATAA, DUMAS n'était pas encore constituée. En effet, TAILLANT, revenant de Lyon, jouait sous licence B et DUMAS, étudiant en médecine, appartenait alors à l'Elan de Bab el Oued. Le Gallia battît le RUA par 3 à 1. Notre équipe termina la partie à 9 à la suite de graves blessures de deux de nos joueurs.

Le dimanche suivant, toujours au Champ de Manoeuvres, l'U.S. Blida nous rendait visite.
Les "bleu et blanc" jouaient bien, j'étais heureux. J'applaudissais, je criais, je hurlais même, jusqu'à ce que mes voisins dont mon frère aîné, tous juniors du RUA, me fissent remarquer que ceux que j'encourageais ainsi, les bleu et blanc, étaient les blidéens. Le RUA en effet avait du changer de maillot afin d'éviter toute confusion avec celui de l'U.S. Blida, lui aussi rayé bleu et blanc, verticalement.
Ma deuxième rencontre avec le RUA eut lieu en novembre 1932. Je venais de signer ma première licence et j'étais convoqué pour occuper le poste de gardien de but de 1'équipe minime. Les minimes du Mouloudia étaient nos adversaires pour un match d'ouverture qui précédait une rencontre très importante de Coupe. Cela se passait au nouveau stade municipal du Ruisseau. Quel baptême ! Près de 10 000 spectateurs ! Je n'avais jamais exercé mes talents que dans la cour du lycée de Ben Aknoun, deux troncs d'arbre limitant les buts, ou sur des terrains caillouteux, poussiéreux d'où je ressortais les genoux et les coudes écorchés ! Alors vous pensez, un terrain plat, des buts de 7 m 32 sur 2 m 44, un stade plein ! Las ! quelques minutes avant le coup d'envoi, le titulaire habituel, Jehan FAURE, qui n'aurait pas dû être là, puisque consigné dans son lycée, apparut. Fort heureusement, Maurice COTTENET, mon entraîneur, me demanda d'occuper le poste d'inter droit, ce que j'acceptais avec joie. Il faut croire que ma première mi-temps lui plut, puisqu'il me fit passer au centre des avants "pour marquer des buts", ajouta-t-il ! Quelle confiance ! Eh bien, je ne marquais pas et n'en marquais pas non plus tout au long de la saison, bien qu'ayant occupé ce poste au cours de la dizaine de parties que je disputais ensuite.
Ce que je retiens de ce jour mémorable, c'est que je venais de contracter une maladie merveilleuse, une
"ruaïte aigùe", dont je ne suis toujours pas guéri, aujourd'hui encore, car je suis en outre - pardonnez ce médiocre à peu près - un RUAPATRIÉ.
Au fur et à mesure de ma longue liaison avec le RUA - 1929/1962, je devais découvrir que ce club était
plus qu'une association sportive. C'était aussi une grande famille d'athlètes généreux, accumulant des victoires, des défaites et surtout des rires, des chahuts et des chants. On célébrait les victoires en riant beaucoup et en buvant un peu, on se consolait des défaites en riant encore et en chantant toujours. Footballeurs besogneux d'abord, triomphants ensuite, rygbymen turbulents, basketteurs, nageurs, volleyeurs, athlètes, handballeurs, hockeyeurs, rameurs, escrimeurs, tous allaient participer à la création d'un petit monde frondeur, un petit monde de folies d'après matches. Notre doping, c'était quelques pintes de bon sang et aussi... un peu d'alcool. Mais rassurez-vous, il ne s'agissait quand même pas de vagabondages éthyliques.
Et les 3ème mi-temps 1 Les repas pris en commun sous la présidence de notre cher toubib, nous faisant
rejouer pour la nième fois la rencontre de l'après-midi. Les apéros au Laferrière-le "LAF" - au Coq Hardi, au
Bristol aussi.
Le docteur BADAROUX, au centre d'un petit groupe, chaleureux dans ses louanges, mesuré dans ses critiques, mimant les gestes du match, frappant un ballon imaginaire, expliquant le raté du gardien de but.
Quelquefois ce geste était trop vif, imprévisible et le serveur qui passait par là avec son plateau, recevait de plein fouet la main et le bras du conférencier, et hop ! le plateau valdinguait, accompagné d'un grand bruit de verres cassés. Tête de ce brave Lucien RICHARDOZ, propriétaire des lieux et fidèle ruaïste, aussitôt consolé par la commande d'une tournée générale. Le toubib était un grand seigneur. C'était aussi un orateur de qualité dont les discours, prononcés en petit comité ou au cours de réunions officielles étaient toujours appréciés. Je me souviens notamment de celui qu'il nous offrit à Mascara, où, invité par les Dames de la Croix Rouge, le RUA s'était produit pour la Pentecôte 1947. Le Président, en présence des personnalités de l'endroit, avait été particulièrement brillant et même talentueux. Après le discours, le jeune GAMBARUTTI avait exprimé son admiration de la façon suivante: "Docteur! vous avez "arnaqué" le dictionnaire" !
Et les fêtes du RUA, autour de la piscine, chaque année au début de l'été. Elles rassemblaient tout ce qu'Alger comptait de jolies filles et d'élégants garçons, naïades et apollons bronzés. Tous accueillaient les invités arrivant en canot, celui du capitaine Négro, figure légendaire du port. La dernière fête "Carnaval à Rio " se déroula le 13 juillet 1960. Ce fut éblouissant. Tous étaient déguisés avec talent et originalité, participant d'abord, selon la tradition brésilienne, au corso carnavalesque. Ce furent ensuite les attractions dont les acteurs, exclusivement ruaïstes, se révélèrent d'authentiques comédiens. Danseurs de charleston, 4 barbus mimant à la perfection, en play back s'il vous plait, les originaux, un Dario MORENO plus vrai que nature, enfin trois clowns joueurs de tuba et d'harmonica terminant par un charleston endiablé leur numéro de haute volée. André COSSO, Président du Comité des fêtes, Alain GALLIAN et ses boys, Roger VAYSSIERES, Paul BOUCHEDE et leurs complices avaient été formidables !
Voilà ce qu'écrivait le lendemain ou le surlendemain le chroniqueur mondain du "Journal d'Alger".
"L'aube calme se leva alors que les derniers danseurs se donnaient la main pour une ultime farandole.
Hilare, les joues rebondies, le nez écrasé par ses lunettes, sa Majesté Carnaval regardait partir ses sujets d'un soir.
Une journée de lumière débutait tandis que la barque du passeur fendait les flots une dernière fois en agitant sa guirlande de ballons bleu et blanc. La fête était terminée mais le souvenir n'est pas pour autant près de s'éteindre."
Je ne savais pas que 2 ans après, presque jour pour jour, j'allais pour la dernière fois prendre cette barque,
solidement encadré par 5 soldats de l'armée de l'Algérie tout juste indépendante, qui m'emmenaient, je le craignais, vers un funeste destin. Cela ne fut heureusement qu'une halte un peu brutale vers la Métropole.
Ce qui, quoique l'on puisse penser, fut préférable.
Nous allons donc tenter ce difficile exercice : raconter ce qui s'est passé pendant 3 décades et demie.
Chacun retrouvera peut-être son équipement bleu et blanc. Il y aura beaucoup de noms, certains très connus,
d'autres moins. Des omissions aussi, qui nous seront pardonnées, quelques erreurs que chacun voudra bien
corriger.
Ceci étant dit, en avant pour l'histoire de tous ces ruaïstes que l'on appelait fils à papa, gonzesses, parfois
même fascistes, alors que nous étions tout simplement, des "camelots du RUA."
Pour terminer ce préambule, avant de raconter l'histoire de chaque section je dois, pour ma part, avouer
que ce fut comme un spectacle passionnant dont j'ai pu apprécier, tel un voyageur privilégié appelé à remonter le temps, les différents épisodes.
Trente, quarante, soixante ans ont été effacés, abolis et la fascination telle, que j'ai ressenti les mêmes
émotions que le potache ruaïste, l'étudiant ruaïste, enfin l'homme encore et toujours ruaïste.
Je craignais, qu'arrivant à la fin, c'est à dire en 1962, une impression de tristesse ne m'envahisse. Eh bien,
l'impression fut au contraire réjouissante, rajeunissante et même euphorisante. J'ai eu vingt ans, pas plus ! Je me suis retrouvé dans les vestiaires, les tristes vestiaires du stade du Ruisseau, où flottait cette odeur un peu acre de sueur, d'éther et d'embrocation. J'ai connu à nouveau l'angoisse d'avant match, l'écoute des derniers conseils prodigués par Maurice COTTENET, Sydney REGAN, Lucien JASSERON ou Roger COUARD, ceux du toubib plus angoissé et plus pâle que jamais, le départ vers le terrain accompagné par le crissement des crampons sur le ciment de ce long tunnel qui n'en finissait pas, enfin le terrain presque toujours ensoleillé, la course sur le tuf, le salut à la foule et le regard oblique vers l'adversaire qui à cet instant était déjà un ennemi. Oh ! Gallia, ASSE, OHD, BOUFARIK, BLIDA et tous les autres, comme je regrette ce regard et ce sentiment là !
A SUIVRE......

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