CHAPITRE 3
INEPUISABLES FRAGRANCES
Alger, c’était encore le Jardin d’Essai, chef d’oeuvre luxuriant d’une végétation exceptionnelle, aux arômes multiples et variés, quintessence, chair de l’eucalyptus, rapsodies de végétaux suintant leurs substances sous les petites morsures subtiles des rayons trop ardents… terre inoubliable d'où montaient d'innombrables senteurs. J'étais caressée, entourée, enveloppée, dans ces ailes embaumées. Tendre humus dont je suis née? Ma Terre, j'embrasse ton sol. Que ne te devrais-je pas pour toutes ces forces puisées en ton sein ! Les effluves sans pareils montant de tes jardins et ceux de tous ces fruits à la chair incroyablement sucrée, petites nèfles charnues, abricots à la saveur étrange, minuscules bananes confites par le soleil…
Moi, petite Rosalind, je te rends grâce, mon pays, ma chère patrie, ma mère, Oh ! Toi, Alger, tu m’as permis de croître, de consolider jour après jour, le petit édifice de mon corps grâce aux rayons triomphants de l'astre étincelant.
Alger, ton soleil partout et mon enfance candide sous des averses de soleil... et comme nulle part ailleurs !
! Où sont ces rues zigzagantes et tournantes, ces grandes portes anciennes, fermant mal où ma curiosité de petite fille intrépide me poussait à regarder ? A travers les fentes, j'entrevoyais des charrettes couvertes de foin ou de chanvre, ou bien encor d’autres végétaux dont, hélas, je n'ais pas su le nom…
Mais surtout, au passage, je happais, en plein vol, leurs odeurs vigoureuses. Tout autour de moi me communiquant la force d’être, celle, qui vous fait aimer la vie dans toute sa sensorialité ! En toi, Alger, j'ai puisé à mon insu le goût vital du bonheur, le goût suave de tous mes sens en éveil dans un présent à saveur d'éternité...
Tes embruns montent, en voletant, les escaliers, vers tes hauteurs imprenables, ta mer omniprésente où que l’on soit, même cachée au coin d’une rue…la tête dans les songes…, tes senteurs auxquelles se mêlaient, exotiques,celles des grands sables roux, odeurs d'un Sahara de rêve, odeurs de l’Atlantide, me portaient doucement et lentement sur leurs chariots parfumés…et même, insensiblement me parlant d'ailleurs, m’invitèrent à partir sur les ailes de mes songes, vers les contrées lointaines, les oasis fantômes, peuplés de ces grands animaux arrogants et bossus dont le poil aux âcres relents accentuait encore l’exotisme ambiant !
Toi, Alger, vieille dame aux cheveux blancs, tu m’as tant bercée, balancée, chantée, serrée contre ton coeur, toi qui a tant souffert, meurtrie dans ta chair par la bêtise des hommes! Je sais que tu n’as pas oublié ton enfant, toi qui m’as fécondée, portée, vu éclore comme une petite nymphe étonnée, toi à qui je dédie ces lignes pour te rendre un hommage mérité. Prends mon coeu malheureux, et serre-le contre ton flanc blessé. Je suis toujours ton enfant, j’ai tant besoin de toi, de tes merveilleux paysages, de tes côtes marines, de tes
parfums innombrables comme autant de coeurs secrets…
Oh ! Mon Alger, ma douce, ma belle, mon paradis perdu, que ne puis-je poser ma tête dans ton giron maternel et sentir, encore une fois, sur mon front lassé, tes baisers aimants.
Non, je ne t’ai pas oubliée, la petite fille que je fus, est toujours là, en moi, quelque part. Et, tu le sais, aussi vais-je te rendre justice, évoquer ton visage, tes peuples, tes bonheurs.
Mais comment ne pas évoquer, simultanément, ces horribles déchirures qui sont tiennes aussi, les pleurs de mes parents, ceux de, mon grand-père sur le bateau. Je t’ai confié la tombe de mon arrière-grand-mère anglaise, et d’autres parents, d’autres sépultures…
Oui, j’entends encor leurs sanglots, pourquoi, mais pourquoi….. ? Adoucis mon chagrin de m’être éloignée de toi, mon pays d’amour, toi, ma seconde mère ! Je t’aime !...
N’ont-ils pas honte ceux qui ont traité mes parents de Français à part entière tout en leur refusant cette part entière : LE DROIT DU SOL.
Eux qui venaient ou étaient nés en Algérie de génération en génération !
Eux qui, d’origine alsacienne, lorraine, avaient fui ces régions pour ne pas être allemands, eux qui ont combattu pour la France et retrouvé pour y planter leurs racines, outre Méditerranée, un sol français !
Eux qui ont enrichi plus qu’investi ce sol, eux qui ont travaillé durant toute leur vie pour le mettre en valeur. Croyiez-vous, pauvres sots, que nous étions tous des colons ? Merci de consulter le « Larousse » : au véritable sens du terme, les colons se trouvaient sur des terres agricoles et plus souvent encore à Paris. Algérois, nous vivions et habitions à Alger. Et mes parents comme leurs amis n'abusaient pas plus que ceux qui nous déconsidèrent, et peut-être moins, de ceux qu’ils employaient, quelque soit leur origine ! Si les
droits civils n’étaient pas les mêmes pour tous, allez faire vos réclamations auprès des autorités françaises de cette époque-là, donc du gouvernement en place, auteur éminent de décrets abusifs et discriminatoires.
Contrairement à tous les racontars, nous vivions côte à côte, sans conflits notables. Du reste, les diverses communautés algéroises ne désiraient pas nécessairement, se fondre les unes dans les autres : elles n'étaient que trop fières de leurs différences et de leurs spécificités ! Pourtant que de sornettes a-ton pu raconter à ce sujet !…Donc, nous vivions, les uns à côté des autres, bord à bord, dans une proximité normale, à l'époque, chez les habitants des grandes villes. Nous nous rencontrions quotidiennement sur des marchés colorés, comme le marché de la Lyre dans un bruissement attrayant. Ces échanges commerciaux revêtaient toutes les modes possibles, bavardages et palabres tant du côté des marchands arabes que des marchands français…
J’accompagnais très souvent mes grands-mères sur ces marchés, croquant du fenouil fraîchement cueilli ou me délectant de succulents feuilletés au fromage, roulés comme des flûtes, après avoir rissolé dans de grandes poêles d’huile bouillante… Les beignets arabes faisaient aussi mes délices. Enfin sur ces marchés existait une telle forme de vie, pleine d’entrain, qu'à mes yeux d’enfant, c’était moins un lieu de commerce qu’une véritable fête agraire, une joyeuse et souveraine fête collective, chacun se réjouissant autant des échanges conviviaux que de l'abondance des denrées et autres agrumes croulant les uns sur les autre. C’était à celui qui crierait le plus fort, pour faire l’éloge de ses légumes rares, de ses plantes, de ses poule s: c’était un tohu-bohu humain, admirable, étonnant, disparate, et, en même temps, toute une harmonie de gestes et d’attitudes, tout un concert de sons ensoleillées autour d'une activité d'échanges vitaux !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire