mardi 1 mars 2011

IL ETAIT UNE FOIS BAB EL OUED -19- hubert zakine

CHAPITRE QUATRIEME
LES COMMUNAUTES
LES JUIFS

Maltraitée sous le joug d’une régence orgueilleuse et barbare, la communauté israélite passe en 1830 d’une condition quasi esclavagiste qui la cantonnait dans le quartier insalubre de la « hara » à l’éblouissante lumière de l’égalité.
Victimes de toutes les avanies, coupables sans jugement aux yeux de l’Ottoman, objets de toutes les vexations et de tous les interdits, les juifs voient dans la présence française un moyen de sortir de l’obscurantisme imposé par les 18 Deys qui se succédèrent à la Régence.
Au-delà de la ceinture de pierre formée par les six portes d’EL DJEZAÏR, se tient, hors la porte de Bab El Oued, la Place des suppliciés juifs où tant de membres de la communauté connurent la pendaison, la décapitation, l’écartèlement et d’autres mises à mort pour avoir enfreint l’une des douze règles de la charte dite d’OMAR, du nom du successeur de MAHOMET, calife de son état, qui rédigea cette loi interdisant à un juif de parler, commenter ou critiquer le Coran, le Prophète ou l’Islam. Un vaste cimetière confessionnel bordant ce lieu de torture, les familles enterrent leurs morts sitôt la macabre besogne du bourreau achevée.

La présence des juifs dans le pays remonte, selon certaines sources, aux temps immémoriaux. Quelques notables vivent à côté du pouvoir grâce à leurs multiples compétences dans les domaines aussi variés que la finance, le négoce, la linguistique, la médecine, la philosophie, l’astronomie ou la théologie. Le Dey entérine ou infirme le choix des trois chefs de la nation juive élus par un comité des sages. Ils servent tout à la fois leur communauté et la régence, sont autorisés à porter des vêtements européens contrairement à leurs coreligionnaires contraints de se vêtir selon des normes dégradantes, habitent de belles « djénans » dans la campagne environnante, et grands négociants devant l’Eternel, commercent avec les comptoirs de Méditerranée et d’ailleurs. Eminence grise du pouvoir, ils en sont la cheville ouvrière.
Mais la majeure partie de la communauté survit dans la « hara », quartier insalubre où la promiscuité engendre une épidémiologie considérable. Chaque jeudi soir avant le « shabbat1», les chefs de la nation juive versent la dîme pour droit de vie et de culte en terre musulmane au Régent selon une règle établie et respectée de tous.

Les juifs voient dans l’arrivée des français une formidable occasion de tutoyer l’égalité avec les autres habitants du pays au premier rang desquels figurent les musulmans, arabes, ottomans ou maures. Pour la liberté de culte, une proclamation du Commandant en chef des forces armées françaises rassure les religieux. Forts de leurs prérogatives auprès du pouvoir turc, les notables israélites maîtrisent parfaitement tous les rouages du pays. Aussi nul ne s’étonne de les voir proposer leurs services à une France ignorante des us et coutumes des hommes de ce pays, du change des nombreuses monnaies qui circulent de la Méditerranée au Sahara, de la topographie des lieux et du climat. Grâce à leur concours, la France pénètre peu à peu l’âme musulmane et son installation en terre d’Islam en est grandement facilitée. L’apport de la communauté sera reconnu par la nomination de plusieurs de ses membres aux affaires indigènes et aux postes d’adjoint de mairie. L’un d’entre eux, Léon Juda BEN DURAN sera l’ambassadeur du Comte DROUET D’ERLON, premier Gouverneur Général des Possessions Françaises d’Afrique du Nord. Il négociera le traité DESMICHELS auprès de son ami, l’Emir ABD EL KADER et sera l’éminence grise du Gouverneur au grand désappointement des notables et politiques français qui virent d’un mauvais œil un juif jouir de privilèges dont ils étaient exclus. Pour couper court à toute médisance, les autorités françaises lui proposent alors le patronyme DURAND pour…… « commodités administratives ». Ce choix est aussitôt entériné par l’intéressé. Dorénavant, « Sieur DURAND » remplace « juif DURAN » sur tous les documents officiels et sur les lèvres des dirigeants français.

LE SQUARE NELSON
L’intégration, certains parlent d’assimilation, du judaïsme algérien se fait dans la douleur. Certes, La France exerce une irrésistible attirance sur la nation juive mais, consciente de sa spécificité séfarade, la communauté craint une perte identitaire. L’enseignement de ses rabbanim, grands hommes devant l’Eternel, vaut bien celui dispensé sous d’autres latitudes et en d’autres synagogues. Jaloux de ses prérogatives, le judaïsme oriental entre, alors, en conflit avec son frère occidental qui désire adopter cet enfant turbulent si éloigné des principes énoncés à Paris. Par doses homéopathiques, grâce au concours de certains notables qui argumentent sur l’émancipation totale et donnent l’exemple en envoyant leurs garçons user leurs culottes sur les bancs de l’école française ouverte par Genty de Bussy, le judaïsme d’Algérie se place sous la tutelle du Consistoire Central tout en conservant son authenticité et son originalité.

BEO l’espagnole, BEO l’italienne, BEO la française porte la « kippa » le jour de « Yom Kippour ». Par mimétisme ou pour marquer leur appartenance au drapeau bleu-blanc-rouge, les enfants de Moïse abandonnent l’appellation hébraïque pour le nom français de « Grand Pardon ».

LES JARDINS GUILLEMIN EN 1930
Bab El Oued tire profit de cette communauté qui œuvre dans le commerce, la médecine, le notariat, le droit et l’enseignement. Mais contrairement aux autres groupes de populations, en particulier les Espagnols avec la Cantère et les Italiens avec les Messageries ou la Consolation, il n’existe pas à proprement parler de quartier spécifiquement juif. La raison majeure peut apparaître à l’ombre de toutes les humiliations subies sous l’empire ottoman qui limitait ses déplacements à quelques rues de la casbah. La liberté de s’installer partout et n’importe où les essaime aux quatre coins de Bab El Oued. Mais le naturel revient au triple galop et les familles se reconstituent principalement autour de l’axe central de l’avenue de la Bouzaréah, des squares Guillemin et de l’esplanade Nelson. Les commerçants juifs suivent l’évolution. Si les anciens tels les « meubles DURAND », descendants du grand Rabbin, Simon Ben Semah DURAN, qui réunifia le judaïsme algérien demeurent dans la basse casbah, rue de Chartres, rue Randon, rue de la Lyre, rue Bab Azoun et rue Bab El Oued, la nouvelle génération « descend » dans le faubourg. Ainsi MOATTI le drapier, BITON et sa fabrique de pains azymes, « JAM’S » le fourreur, COHEN et sa charcuterie « cachir », « JULES » le chemisier, « MOYEL » et « MACHTOU », les pharmaciens, « DRIGUEZ », le droguiste, « SIARI » les opticiens et beaucoup d’autres membres de la communauté s’installent à Bab El Oued. Les professions libérales de la médecine, de la justice , de la petite industrie et du cinéma avec en particulier les familles SIARI et HANNOUN les imitent créant une dynamique structure professionnelle au sein de Bab El Oued.
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Malgré les avatars des lois de Vichy qui priva les enfants juifs de Bab El Oued de fréquenter l’école de France pour laquelle la communauté avait abandonné la loi patriarcale de l’école hébraïque, malgré l’interdiction faite aux enseignants de faire leur métier dans le cadre de la loi française, malgré le renvoi ses fonctionnaires et la fermeture de nombreux magasins, les israélites du faubourg comme ceux de l’Algérie toute entière conserveront de solides liens d’amitié et de bon voisinage avec leur entourage.
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A SUIVRE.......

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