Féerie inespérée et qui ravit l'esprit! Alger a passé mes attentes. Qu'elle est jolie, la ville de neige sous l'éblouissante lumière! Une immense terrasse longe le port, soutenue par des arcades élégantes. Au-dessus s'élèvent de grands hôtels européens et le quartier français, au-dessus encore s'échelonne la ville arabe, amoncellement de petites maisons blanches, bizarres, enchevêtrées les unes dans les autres, séparées par des rues qui ressemblent à des souterrains clairs. L'étage supérieur est supporté par des suites de bâtons peints en blanc; les toits se touchent. Il y a des descentes brusques en des trous habités, des escaliers mystérieux vers des demeures qui semblent des terriers pleins de grouillantes familles arabes. Une femme passe, grave et voilée, les chevilles nues, des chevilles peu troublantes, noires des poussières accumulées sur les sueurs.
De la pointe de la jetée le coup d'oeil sur la ville est merveilleux. On regarde, extasié, cette cascade éclatante de maisons dégringolant les unes sur les autres du haut de la montagne jusqu'à la mer. On dirait une écume de torrent, une écume d'une blancheur folle; et, de place en place, comme un bouillonnement plus gros, une mosquée éclatante luit sous le soleil.
GUY DE MAUPASSANT
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"Le lecteur ne trouvera pas ici une vue d'ensemble, un portrait de ville. On a réuni seulement quelques images d'Alger.
Encore datent-elles de plusieurs années, et les améliorations constantes apportées à cette capitale rendent-elles certains de nos tableaux - entre autres celui du square Bresson et celui de Bab-el-Oued - singulièrement périmés.
Sur les sept ans et six mois que j'ai passés hors de France entre 1925 et aujourd'hui, j'ai passé trois ans et dix mois à Alger. Comme je n'y étais pas forcé, il faut croire que cette ville m'agréait. Le ton de ces petites esquisses, écrites pour la plupart entre 1928 et 1931..."
..."Il y a encore des paradis. Ne rougissons pas d'eux, surtout quand c'est notre pays qui nous les donne"... (extrait de l'avant-propos datant de 1933).
"Les Français de France qui connaissent Alger sont plutôt durs pour cette ville. Ils s'étonnent que je m'y sois fixé. Ils ne comprennent pas ma préférence. Je voudrais tenter d'en donner en bref, sans développements ni ornements, des raisons positives et précises.
Quelles sont ces raisons ? En premier lieu, bien entendu, la chaleur;
Puis : c'est une grande ville, avec ce que cela comporte à la fois de solitude (on peut vivre très longtemps inconnu à Alger ; ce n'est pas une ville « province »), et de ressources, humaines et autres (notamment de celles qui sont nécessaires à un écrivain : par exemple, des bibliothèques publiques) ;
Un port, avec ce renouvellement continu d'êtres, et cette allure délurée de l'esprit et du caractère, qu'on ne rencontre que dans les ports ;
La présence des indigènes, et ce qu'elle apporte de facilités d'ordre pratique, de pittoresque et de vitalité. Plus vifs d'esprit et plus virils que les Tunisiens, plus proches du Français que les Marocains.... les indigènes algériens sont les plus sympathiques, à mon goût, des Musulmans de l'Afrique du Nord. Étant aussi ceux qui ont le plus souffert de nous, ils sont les plus dignes d'intérêt ;
Une grande ville où il y a côte à côte un élément nature très virulent et les commodités d'un équipement moderne ; une grande ville construite sur une pente, c'est-à-dire où, dans vos logis comme dans vos randonnées, votre regard trouve fréquemment à s'étendre ;
Une grande ville innocente. Sensuelle certes, mais pas de stupéfiants, pas de « vices », etc. Le monde musulman, si réservé sur ce chapitre, a donné le ton aux Européens en Afrique du Nord, où la rue est décente ;
L'atmosphère de jeunesse. Si l'on songe que Marseille est la ville la plus « jeune » de France, et que Marseille cependant, quand on y débarque en venant d'Alger, vous frappe non seulement par sa vétusté comme ville, mais par l'absence de jeunesse dans sa population (ah! Marseille est déjà bien la France, quoi qu'on dise!), on percevra mieux le ton de jeunesse d'Alger. Aucune autre grande ville de l'Afrique du Nord n'est aussi jeune.
Un peu plus loin Montherlant dira de la jeunesse de Bab-el-Oued :
"Tout est net, fin et frais. Si net, si fin, si frais, que l'idée ne viendrait pas d'appeler ces gens des "prolétaires". Et jeune, surtout, tout est jeune. Où sont les vieux ? On dirait qu'ils ont été dévorés par tant de jeunesse. La nuit et la clarté, violemment disjointes, font plus purs les teints mats et pâles, des femmes aux face de songe, des hommes aux traits bien dessinés.
Six visages sur dix sont ravissants. Comme c'est agréable, que la plus jolie race que je connaisse soit -tant bien que mal- française!..."
Après s'être attardé auprès des jeunes filles d'Alger, l'auteur enchaine les descriptions de quelques quartiers de la ville, le Square Bresson, Bab-el-Oued, le Jardin d'Essai... et enfin nous rapporte des scènes de rue, de bistro... utilisant le "parler" pied-noir et retient quelques anecdotes de ses propres conversations, comme par exemple :
"- C'est drôle, j'ai toujours le mal de mer quand je reviens de France, et jamais quand j'y vais.
- C'est que quand vous allez, vous avez du sang d'Algérie, qui est de la force. Tandis que, quand vous revenez, vous avez du sang de France."
Henry de Montherlant, "Il y a encore des paradis...images d'Alger 1928-1931".
je termine la rédaction d'un livre, le second chapitre s'intitulant "la question coloniale chez Montherlant et Camus, " rares sont les personnes qui ont pris la peine de lire tout Montherlant au sujet de l'Afrique du Nord, vous avez eu raison de donner ces pages
RépondreSupprimerMaurice Mauviel