mercredi 16 février 2011

IL ETAIT UNE FOIS BAB EL OUED -18- HZ

CHAPITRE QUATRIEME
LES COMMUNAUTES
LES ITALIENS

Le quartier de la Marine, situé à la frontière de Bab El Oued respire, chante, pleure et prie en italien. Ces exilés des temps modernes partis de Sorrente, Procida, Torre Del Gréco, Cufalo embarqués sur des balancelles transformées en chalands, appartenant à l’armateur Jacques Schiaffino, écument les eaux poissonneuses de ce paradis vierge de Méditerranée où seuls les juifs se nourrissent du fruit de la pêche avant l’arrivée des français, les musulmans préférant le mouton.

La petite Italie vit par la mer et pour la mer. Tous les métiers maritimes sont l’apanage de ces pêcheurs, fils de pêcheurs, petits-fils de pêcheurs. Leurs habitations exhalent de leurs cuisines ouvertes aux quatre vents mille et uns parfums de sardines ou de bonites grillées. Sur le seuil de sa porte, le vieux loup de mer au visage buriné par le soleil, le sel et les embruns, la casquette de matelot rivé à sa chevelure nuageuse, oublie son inactivité imposée par la houle du temps et voyage au pays de la mémoire.

Repense t-il aux Royaumes de Naples et de Sardaigne qu’il servit avant 1830 lorsqu’il écumait le littoral de Nemours à Béjaïa, transportant dans ses soutes des gens de mauvaise éducation se livrant à la contrebande et à la prostitution ou bien maquille t-il ses récits de pêche miraculeuse à une bande de « gualiones1 », forçant une admiration que mérite, en tout état de cause, une vie âpre et douloureuse de combattant de la mer?

La conquête a vu débarquer du pays de Dante un fort pourcentage d’hommes de la mer mais aussi des architectes qui œuvrent à désorientaliser El Djézaïr. Parodi, Citati, Gambini, Martinelli bâtissent Bab El Oued et le centre-ville. Bab El Oued qui ressemble de plus en plus à un quartier de Naples ou de Tolède. Les Italiens se regroupent à la Marine où le linge sèche aux balcons, les « mammas » entonnent le parler haut et fort et les chansons napolitaines préfigurent le devenir du paysage visuel et sonore du quartier.
Les italiens sont des pêcheurs et de sacrés pêcheurs! Pourquoi laisser à d’autres le soin de cuisiner sardines, bonites, rougets, merlans et de les proposer à une clientèle affamée et friande des produits de la mer? Poser la question c’est y trouver la réponse. Aussi voit-on de nombreuses gargotes napolitaines faire la nique aux restaurants espagnols.

Le quartier de la Marine est habité par une forte colonie transalpine. Mais paradoxalement, de nombreux commerces « étrangers » jettent leur dévolu sur ce petit morceau d’Italie. Ainsi voit-on les hôtels de Malte, d’Alicante et d’Europe ouvrir leurs chambres aux touristes en mal d’exotisme venus s’extasier sur ce morceau d’Afrique. A côté de boutiques dont le chic offre l’élégance aux parisiennes de passage, des gargotes mal famées, des échoppes douteuses, des bazars de fortune se disputent la palme du mauvais goût. Parmi ces nombreux commerçants, un épicier mozabite, « moutchou » en pataouète, désirant agrandir son magasin ne s’embarrasse pas du plan d’occupation des sols. Un pilier le gêne, il l’abat et avec lui tout l’immeuble qui dégringole sur sa tête. Il a seulement oublié qu’il existait des piliers porteurs. Nous sommes en 1927. Les autorités constatant la vétusté des lieux et l’insalubrité des immeubles décident de détruire la Marine. Les habitants sont relogés par la Régie foncière dans les Habitations Bon Marché au Ruisseau, au Champ de Manœuvre et à Bab El Oued, aux Messageries et rue Léon Roches. Exit le quartier de la Marine. Vive Bab El Oued !
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L’Italien d’Algérie désire voir ses enfants emprunter le chemin fleuri de la connaissance et du savoir. Etre pêcheur c’est bien mais un docteur gagne mieux sa vie. Pourtant, nombreux sont les enfants qui naviguent dans le sillage du lamparo de leur pères. Entre eux et la mer, c’est une histoire d’amour qui dure depuis des générations et ils ne désirent pas couper le cordon ombilical de leur famille avec la Méditerranée, cette mère nourricière si généreuse sur sa rive africaine. Les vieux restés fidèles au pull col roulé sous l’uniforme bleu de chine, la casquette rivée sur une tignasse enfarinée, voyagent par procuration, le regard collé à l’horizon de leur jeunesse.
Des petits métiers se dessinent pourtant à l’horizon. On voit tel garçon de Procida parcourir les rues et les places de Bab El Oued, une plaque sur l’épaule, vendre des berlingots, puis s’installer glacier ambulant avant d’ouvrir le nec plus ultra en matière de glaces artisanales et devenir célèbre dans tout Alger où la seule enseigne de son magasin attire la clientèle la plus huppée. Qui n’a pas dégusté le fameux « créponné de GROSOLI à Alger ?

Du reste, les glaciers italiens sont nombreux dans le faubourg. De BARERI à ROMA GLACES en passant par DI MEGLIO. Le climat est évidemment pour quelque chose dans le choix de ces commerces et les cornets défilent à la vitesse grand V dès que les prémices de l’été annoncent le retour de la canicule.

Les Italiens excellent aussi dans la coiffure pour hommes. Ils ouvrent des salons parfois minuscules après avoir coupé les cheveux en quatre au pied d’un immeuble, sur une terrasse ou plus prosaïquement à l’intérieur de leur appartement. La clientèle se recrute auprès des amis, des voisins et des compatriotes qui ne font confiance qu’au ciseau napolitain.

Les enfants de la deuxième génération s’ancrent viscéralement à Bab El Oued, recréant la petite Italie au cœur du faubourg dans le populeux quartier des messageries, lieu mythique d’où partaient sous la Régence les coursiers du Dey puis les rouliers ancêtres des diligences apparues sous l’autorité française. Un peu plus loin, à la frontière de Bab El Oued et de la banlieue de Saint-Eugène, la Consolation marque les esprits par son appartenance à la communauté italienne. On parle volontiers napolitain chez les anciens mais la jeunesse se laisse séduire par la langue de Voltaire, déracinant peu à peu l’arbre de vie familial pour mieux l’ancrer dans le sol algérien. A l’instar des autres écoles de Bab El Oued, celles de la rue de Dijon et de la rue des lavandières, future école SIGWALT encouragent l’irréversibilité de l’assimilation du quartier des Messageries. L’Italien creuse ainsi le sillon qui va le définir comme un européen d’Algérie. On le voit épouser l’Espagne au cours de noces qui fleurent bon la nostalgie des deux pays. Les parents francisent les prénoms de leurs nouveau-nés. Georges supplante Giorgio, Vincent chasse Vicenzo et Louis évince Luigi.
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Musée de tarentelle, de comédia dell’arte et de chants napolitains, de gazadiel, de pastière et de paste fazoule, les Messageries demeurent, malgré tout, le champ clos de la mémoire italienne des humbles gens qui « résident » dans ce petit royaume de Naples.

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