mercredi 2 février 2011

Couscous à la conquête du monde d'après José-Alain Fralon

Au début du XXe siècle, le couscous est pratiquement inconnu en France, sinon dans quelques gargottes fréquentées par des ouvriers nord-africains. Les amateurs de grand large fréquentent, eux, des restaurants classés dans la rubrique "cuisine exotique" des guides touristiques. Durant l'Occupation, les autorités françaises font imprimer des tickets de rationnement spéciaux, marqués d'un croissant, pour les "indigènes" voulant se procurer de la graine de couscous.

La guerre se termine, l'économie française a besoin de bras. Venus d'Algérie, alors département français, des milliers de travailleurs arrivent en France..
En 1956, débarquent aussi des juifs venant de Tunisie. Parmi eux, Andrée Zana-Murat. Elle raconte : " Comme d'habitude nous avons fait profil bas pour nous intégrer. Mes parents avaient pris une petite épicerie. Ma mère a bien entendu continué à faire le couscous. Les clients étaient attirés par les bonnes odeurs qui sortaient de la cuisine. Ils demandaient ce que c'était et maman, pour leur faire plaisir, leur en offrait". Et Andrée, qui écrit maintenant des livres de cuisine, d'évoquer le couscous au poisson "si léger, avec le poisson cuit à la dernière minute" ou encore le couscous du shabbat, "avec la menthe et toutes ces herbes qui lui donnent une légère couleur verte".

L'arrivée, à l'été 1962, de plusieurs centaines de milliers de rapatriés d'Algérie marque le vrai début de l'implantation du couscous en "métropole". Les pieds- noirs commencent à ouvrir des restaurants. Mimi de Guyotville, Chez Ficelle, Chichois : les enseignes, à elles seules, apportent un parfum nouveau. Le plus célèbre reste Charly de Bab El Oued. Une figure, Charly. Cent kilos, une faconde inimitable. Les photographes l'ont immortalisé, en janvier 1960, en train de préparer les repas pour les insurgés des barricades d'Alger. Charly recrée l'ambiance de la ville blanche. Au comptoir, les habitués peuvent, avec l'anisette, manger des brochettes et des merguez, dont la recette "ancestrale" a été transmise à Charly par Bonniche, le boucher de Bab El Oued. Le menu précise que le bol de Loubia (des haricots) est "offert aux Algérois et parfois aux Oranais et aux Tunisiens". La réputation de Charly va vite dépasser la communauté pied-noir. Les Français-de-France, séduits par l'ambiance et la qualité de la nourriture, commencent à affluer.
La "couscousmania" s'empare de la France. Le mouvement va être amplifié par l'arrivée de plus en plus massive de travailleurs originaires d'Algérie mais aussi du Maroc et de Tunisie. D'autant, qu'à partir de 1975, les dispositions sur le regroupement familial vont leur permettre de faire venir leurs familles. Les gargotes deviennent de "vrais" (petits) restaurants, avec pignon sur rue, et accueillent désormais une clientèle cosmopolite, où se mélangent allégrement l'étudiant fauché, le travailleur immigré ou le cadre en goguette. Progressivement, le couscous va concurrencer les plats traditionnels. Les restaurants le proposent comme plat du jour. On le voit aussi arriver dans les cantines, plébiscité par les enfants des écoles..
Aujourd'hui, selon un sondage, publié dans le numéro de juin d'Elle à table, le couscous arrive en quatrième position sur la liste des plats préférés des Français, tout près des moules marinières, de la blanquette de veau, et du pot au feu mais loin devant la choucroute, le steak frites ou la ratatouille. Les Français consommeraient environ 75 000 tonnes de couscous par an.
Pourquoi le couscous s'est-il aussi bien implanté en France ? Claude Driguès, qui a pris la succession de son oncle Charly et préside maintenant aux destinées de deux restaurants Chez Charly et le Sud, boulevard Gouvion-Saint-Cyr, dans le 17e arrondissement de Paris, ne cherche pas longtemps la réponse. "Pourquoi ? Mais parce que c'est bon !". Il ajoute : " c'est aussi un plat festif, qui a fière allure. Et c'est enfin un plat complet, avec ses trois composantes immuables : semoule, légumes et viande"
Mais pour tous, le meilleur, voire "le seul" couscous, est d'abord celui de sa grand-mère, voire de sa mère. Un plat de femme, en tout cas.!
L'industrie a vite compris l'intérêt qu'elle pourrait tirer de cet engouement. Là encore, les pieds noirs ont donné le la. Fondée en 1853 à Blida (Algérie), la maison Ricci imagine la première de sécher par une ventilation artificielle une graine toujours roulée et tamisée à la main. Créée en 1907 par Jean-Baptiste et Anaïs Ferrero, la maison du même nom met au point, en 1953, la première rouleuse mécanique de la graine. En 1973, les deux entreprises, rejointes par une autre maison d'Algérie, Cauchy, fusionnent et donnent naissance à Ferico. Le groupe produit aujourd'hui dix tonnes de couscous à l'heure, et exporte dans plus de 45 pays. Récemment, les dirigeants de Ferico, pour la première fois depuis 1962, se sont rendus en Algérie où ils espèrent bien exporter un jour. Voilà même que, pour être au goût du jour, l'entreprise a mis sur le marché un couscous au "blé complet biologique".

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