mercredi 3 novembre 2010

LES MAHONNAIS EN ALGERIE.

Texte et article de rédaction de Jean-Jacques Jordi.
L'histoire des populations d'origine européenne en Algérie est chose récente et les premiers éléments dont
nous disposons permettent par delà l' opposition des historiographies « colonialiste » ou « anticolonialistes », d'affirmer que la population « française » d'Algérie est la résultante d'apports très divers et d'un mélange de populations qui donna le Pied-Noir.
Parmi ces apports, nous distinguons les migrations organisées par l'Etat Français, concernant l'Europe du Nord-Est principalement les Allemands et les Suisses, avec naturellement les populations métropolitaines :
Alsaciens-Lorrains, Parisiens, Languedociens, Corses et les migrations tolérées d'origine euro-méditerranéennes, c'est-à-dire les Espagnoles, les Italiens, et les Maltais qui débarquent en terre africaine sans être officiellement appelés par les autorités françaises.
Cependant ces derniers population échappe au système défini : Les " Mahonnais ".
Par "Mahonnais", nous entendons dans leur ensemble, les émigrants de l'île de Minorque, car tel était le terme générique que leur donnais les Français. Les conditions de la venue des Mahonnais en Algérie tient à un faisceau de facteurs parmi lesquels il convient d'en extraire trois principaux :
• L'île de Minorque est entrée dans une phase de dépression économique dès 1810, aggravée par des accidents climatiques et par une attitude royale espagnole désastreuse.
Misère et inoccupation sont les deux caractéristiques de l'île.
• L'entreprise française de 1830 en Algérie passe par les Baléares et surtout par Mahon.
En faisant de l'île de Minorque leur base d'intendance, leur hôpital pendant plusieurs années, les français relancent certes une économie insulaire importante, mais leur départ à la fin des années 1830 replonge l'île dans sa torpeur économique.
Cependant, les militaires français vont apprécier une population honnête et travailleuse, et se rendre compte du bénéfice que l'on peut tirer de sa venue en Algérie.
• Comme le dit justement E. Violard :
" Les Mahonnais furent attirés en Algérie au lendemain de la conquête".
Leur arrivée fut joyeusement saluée par l'armée d'occupation qui fut peu de temps après abondamment pourvue de légumes frais et variés ".
Pour autant, leur venue en terre africaine ne s'est pas faite de façon régulière et nous déterminons deux flux migratoires bien distincts :
• la migration "spontanée" entre 1830 et 1835.
• la migration organisée par le Baron de Vialar à partir de 1835 - 1836.


De 1830 à 1835, se produisent d'incessants échanges entre Minorque et Alger principalement.
Le Moniteur Algérien en souligne très régulièrement le trafique maritime, et en 1834, Alger possède sa rue de Mahon.
En règle générale, la migration comporte plus d'homme que de femmes les retours dans l'île sont fréquents. L'objectif est naturellement de trouver un travail pour quelques mois et repartir.
Ainsi en mars 1832, 2000 Mahonnais débarquent à Alger en quête d'un travail.
Le premier recensement des européens de la ville effectuer en 1833 fait apparaître : 689 Anglo-Maltais, 671 Italiens et 781 Mahonnais (et non pas Espagnols) !
Ces derniers travaillent essentiellement sur le port ou dans la reconstruction des bâtiments.

Le seconds chapitre qui s'ouvre aussitôt dès la fin de 1835, est fort différent.
C'est le réseau du Baron de Vialar. Rien ne destinait Antoine - Etienne Augustin de Vialar à tenter l'aventure en Algérie.
Quand la révolution de 1830 éclate, ce procureur du roi Charles X, et propriétaire terrien dans le Tarn, démissionne et décide de partir en Egypte.
Faisant escale à Alger en 1832, le jeune aristocrate est séduit par la nature algérienne et s'y établit.
Il se porte acquéreur de plusieurs propriétés et apparaît aux yeux de tous comme un véritable pionnier de la colonisation libre. En 1835, la Société Coloniale le charge de se rendre à Paris pour y défendre la colonisation "en gants blancs". Son bateau pris dans une tempête, fait route vers Mahon où il rencontre une ancienne connaissance, Don Costa secrétaire à la police du gouverneur de l'île. Ensemble, ils conçoivent l'idée d'une organisation d'un réseau d'émigration vers l'Algérie dans des modalités fort simples :
Amarrées sur la jetée nord, ces balancelles dont l'une portait le nom évocateur de " Espéranza ", assuraient de nombreuses rotations entre Alger et Minorque.
Don Costa se chargeait de recruter les familles et s'assurait que le gouvernement espagnol n'y mettrait aucune obstacle. De son coté Vialar s'occupait du transport et du travail. Le réseau fonctionna de suite, et dès mars 1836, nous constatons une nette accélération de mouvement migratoire "Mahonnais".
(les villages les plus touchés étaient Condadela, Mercadal, San-Luis, et Mahon ).
En septembre de la même année, Le Moniteur Algérien souligne que :
"Quant à l' accroissement de la population européenne, nous pouvons affirmer que le nombre des Mahonnais venus depuis peu dépasse à lui seul le chiffre de 1.600 personnes... Ni le travail, ni la terre ne sont près de leur manquer en Algérie".
Cette deuxième vague migratoire est essentiellement familiale, massive, encouragée, et destinée avant tout au travail de la terre. Ce faisant, elle devenait quasi définitive et l'accueil des familles fut généralement très chaleureux. Le réseau mis en place par de Vialar servit à d'autres colons comme de Tonnac, Lermercier, Saussure .... Et il fonctionna jusqu'à la fin des années 1840, date à laquelle la migration minorquine se tarit autant par un appel qui ne se fait plus :
• crise économique et financière en Algérie.
• fin de la colonisation en "gants blancs".
• frein mis à l'émigration minorquine par le gouvernement espagnol ( devant les risque de désertification de l'île).
Nous avons retrouvé des Mahonnais partout en Algérie, de Bône à Oran, mais ce sont les alentours d'Alger, zone de leur première installation, qui en accueillent le plus grand nombre avec Hussein-Dey et surtout Fort de l'Eau comme pépinière.
D'ailleurs, pour tout Pied-Noir, Fort de l'Eau et Mahonnais sont étroitement imbriqués au point que ça en devient une redondance.
Fort de l'Eau est un ancien site d'occupation humaine puisque son occupation débute en 1556.
En 1830, les terres alentours formant le domaine de la Rassauta sont propriétés de la tribu des Aribs.
Il faut dire que ce vaste domaine sur plus de 4.000 hectares comprenait cinq grandes fermes et plusieurs petites fermes, ce qui exita la convoitise de nombre de spéculateurs.
Le domaine fut attribué à un aristocrate polonais, le prince de Mir-Mirsky en juin 1835 qui n'en fit rien, puis à un espagnol, le comte del Valle de San Juan en 1844 qui ne fit pas mieux. Par deux fois la colonisation de ]a Rassauta par des intérêts privés se solda par l'échec. C'est alors que le ministère de la Guerre décida en avril 1846 la création d'un centre de population, et l'ayant appris, une cinquantaine de familles mahonnaises, placées sous la protection du baron de Vialar, adressait une requête afin d'obtenir les concessions du centre.
Elles reçurent une réponse très favorable du Ministère lui-même qui enjoignait Bugeaud à faire le nécessaire :
"Cette demande mérite une sérieuse considération : Les Mahonnais font généralement d'excellents colons. Ils sont très entendus dans la petite culture et leurs habitudes de travail, d'économie et de sobriété les font presque toujours réussir.
C'est une des populations les plus actives et les plus utiles d'Algérie : ce sont les Mahonnais qui ont cultivé presque tous les terrains du massif d'Alger et ils approvisionnent pour ainsi dire à eux seuls de légumes et de fruits les marchés de la ville".
Bugeaud admet le principe d'un village Mahonnais, le terme est officiel, Fort de l'Eau. Le 25 juillet 1849, le préfet d'Alger nous apprend, dans une lettre adressée au Gouverneur Géneral que 45 familles mahonnaises sous la direction de Mathieu Marques, Juan Fooelich et Juan Barbe, ont été installées dans leurs concessions sans subventions, crise économique oblige.

Et le prefet de conclure : "il est impossible d'établir un village dans des conditions plus économiques"
En effet, l'administration déboursa 7.000 francs pour le village mahonnais contre 40.000 à 45.000 francs pour les autres villages crées en même temps. C'est de Fort de l'Eau que partirent d'autres Mahonnais vers la partie orientale côtière d'Alger.
A Rouiba, Ain Taya, Réghaïa, l'Alma, le Fondouck, le Cap Matifou, Ain Béïda, etc., nous relevons un grand nombre de concessionnaires Mahonnais.
Les autorités françaises d'Algérie étaient fort satisfaites des Mahonnais. Regroupés, les Mahonnais paraissaient vouloir vivre une vie spécifiquement " mahonnaise" la conception de l'habitat, le Mahonnais construit de suite une maison propre et naturellement passée au lait de chaux , les coutumes, les marques de la vie sociale, l'endogamie, le code moral dont ils s'entourent.. La conception familiale et l'attachement à la terre étaient des éléments correspondant exactement à l'attente du gouvernement français pour l'Algérie.
Ce que la politique coloniale n'avais pas réussi à faire à cette époque avec les Français, elle le réussira avec les mahonnais.
Sobres, travailleurs efficaces et économes, habiles en agriculture, ne se mêlant pas de politique générale, dédaignant assistance et bienfaisance, ayant la réputation, sinon d'être avares, du moins prés de leurs modestes biens, les mahonnais entraient parfaitement dans le cades défini par la colonisation française.
Ce qui permis la venue des Mahonnais fut un travail sur et rémunéré. Ce qui rendit durable leur installation fut l'obtention de concessions modestes certes, mais suffisantes pour envisager une promotion sociale. Les Mahonnais furent d'emblée considérés comme des artisans de la colonisation reconnus de tous.
Leurs non renouvellement par de nouveaux apports de l'île (même si des Majorquins et des Ibiziens vinrent s'installer et les relayer quelque peu) en faisaient une communauté euro-algérienne et les liens avec la société d'origine s'étaient fort distendus. Nous pouvons parler d'une rapide insertion dans le monde colonial, d'une acculturation et d'une assimilation véritable dès la fin du XIX éme Siècle rendues possible par l'école française (ils y tenaient fermement), le coude à coude quotidien et la francisation des populations européennes par Paris en 1889.
En 1925-1926, E. Violard nous affirme que nous devons la merveilleuse colonisation, l'opulente culture qui s'étend de Mustapha jusqu'à la Régahaïa sur plus de 40 kilomètres aux Mahonnais. A cette époque, nous recensons dans les village de cette plaine orientale-côtière 3.660 Français d'origine mahonnaises et 30.180 Français d'autres origine !
Le 31 mai 1952, Fort de l'Eau fêtait son centenaire et invitait les personnalités de Minorque à participer aux festivités, mais dix ans plus tard, tous se disaient rapatriés en métropole française, ce qui sans doute correspondait à tous sentiments profonds et à la logique de l'histoire de la France en Algérie.
La place manque ici pour étudier les marques de la société mahonnaise et nous prions tous les : Pons, Sintès, Mercadal, Lorens, Ségui, Fedelich, Oliver, Gener, Juanéda, Tuduri, Alizina, Camps, Coll, Bertomeu, Bagur,
et bien d'autres encore, de nous excuser de ne pas le faire.

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