jeudi 7 octobre 2010

Oran : La Rue des Juifs : Texte de Roger Alfonsi

Oran n'aurait jamais été Oran sans sa Rue des Juifs. Qui pouvait imaginer notre bonne ville sans ce quartier tour à tour secret et attachant mais la Rue des Juifs n'était en fait qu'une contraction qui désignait tout un quartier. N'ayant pas acquis durant mon court passage à Ardaillon une formation d'historien ou d'anthropologue, c'est avec votre amicale indulgence que je vous invite à une promenade au travers des rues de ce monde un peu particulier. Comme vous allez m'accompagner dans cette promenade et rêver que nous sommes dans les années 1930-1940, vous sachant imaginatifs cela ne posera pas problème. Ralliement devant notre Mairie mais n'ayez crainte les lions qui gardent son entrée, je les connais, ils n'ont jamais dévoré personne, ils se contentent de regarder la Place d'Armes, Sidi Brahim, et plus loin le Cercle Militaire mais je ne crois pas qu'il voient le Port.

Une chemisette et des espadrilles feront l'affaire et pour ceux qui n'en ont pas nous irons en acheter chez Darmon. En face de nous le Théâtre Municipal véritable bonbonnière, mais nous le visiterons une autre fois, à côté la pharmacie Sainton une des plus importantes de la ville et probablement parmi les plus anciennes, mitoyenne la salle de culture physique Benamou; je vais dire un mot à son sujet. Mr Benamou, que nous risquons de rencontrer, est facilement identifiable; il n'est plus très jeune, toujours en chemisette car il aime beaucoup montrer sa musculature, bref il porte encore beau et si vous assistez au défilé du 14 Juillet vous ne le manquerez pas, il est toujours à la tête des gymnastes de la Concorde.

Là le magasin que vous apercevez avec l'inscription Maison Darmon, il y aura un jour des magasins qui s'appelleront Tati, je le pressens, entrons donc... Au rez-de-chaussée toutes les "liquettes", hommes femmes enfants, à l'entresol les tissus, la mode, la confection. Il est encore tôt mais cet après midi il y aura foule et vous pourrez croiser les plus modestes mais aussi la gentry féminine de la ville. Chez Darmon c'est surtout les petites culottes Petit Bateau, les caleçons molletonnés pour l'aguelito, les tricots marins pour ceux de la Marine, et même les charentaises dont raffole Fanny la vendeuse des billets de loterie qui vous fait toucher ses gros nichons... paraît-il qu'ils portent bonheur.
Une confidence: peut être que ma petite maman est déjà là avec son inséparable amie Mémé Maurice; elles iront ensuite faire des emplettes à l'intérieur du quartier, en payant 50 pour-cent moins cher ce qu'elles pourraient trouver à Michelet. A l'intersection de la Rue de la Révolution et de l'étroite Rue de Naples, c'est le Luculus d'un autre Benamou; nous allons simplement lui demander de nous réserver une table pour midi et nous préparer le barbouche dont il a le secret, c'est bourratif, mais nous en aurons besoin. Dans la Rue de la Révolution, tout se vend, tout s'achète, des commerces de tous ordres et même une petite école hébraïque, voyez ces enfants avec leurs petites calottes, certains portent des tresses..! Papillotes...
C'est précisément dans cette rue que j'ai fait l'achat il y à peu de temps encore du fameux blouson à soufflets US que je porte et le stylo Sheffer, à moins que ce soit le Parker, la lampe torche coudée vient aussi d'ici; les soldats des States venaient fréquemment avec leurs Jeep déverser des marchandises dérobées et cela leur permettait de s'offrir des virées Rue de l'Aqueduc, passons.... La Rue de Naples, on peut presque serrer la main de son balcon à son vis à vis tellement elle est étroite, mais c'est surtout en fin d'année qu'il faut la voir; ici l'un contre l'autre les marchands de nougats, le véritable jijone, fabriqué Boulevard des Chasseurs par mon voisin Mr Pérez, réfugié espagnol, et ses collègues disséminés aux quatre coins de la cité se donnent rendez vous. Ce qui est remarquable ici en fin d'année ce sont les nombreuses loupiotes au carbure fixées aux étals des confiseurs et les petites flammes bleutées qui dansent sous la brise.

Comme nous allons croiser et rencontrer du monde, autant savoir qui sont les gens qui habitent le quartier; je crois, mais sans garantie, qu'ils sont venus à partir du XVème siècle d'Espagne chassés par la Reconquista, mais au préalable ils se sont établis à Tanger, Ceuta et Melilla au Maroc avant d'entreprendre une migration vers l'Est; Tlemcen, compte parmi les villes d'établissement d'importantes colonies juives. Très religieux, hermétiques aux influences extérieures, ils perpétuent les rites qui soudent la communauté; le samedi, le quartier sera quasiment fermé au commerce et ceux qui portent tablier aujourd'hui revêtiront leurs costumes de fêtes et iront prier à la synagogue, que nous verrons tout a l'heure.

Un conseil, si quelque chose vous attire n'hésitez pas à discuter ou à affichez une forme de désintérêt pour l'objet convoité ou alors feignez de partir, il y à tout à parier que le prix subira une sérieuse décote. Bonne chance... Rue d'Austerlitz, à mon avis c'est l'épine dorsale du quartier juif. Perpendiculaire à la Rue de Naples, elle va se prolonger jusque après Saint Antoine; c'est vraiment là le quartier marchand de tout, des épiceries, de la vaisselle; c'est même dans l'épicerie que je vous montre qu'enfant je venais avec mon paternel acheter le fromage pourri avec des vers, pour la pêche. Les sargues aimaient bien la mixture pain rassis fromage; malins ils ne se laissaient pas prendre facilement, un coup de queue sur la boulette et l'hameçon remontait "nickel" et le sargue se régalait sans dire merci ..!

Remontons lentement la rue... A droite le marché aux fruits et légumes Blandon, des volailles mais vivantes, admirez les chapelets de nioras, les rutilants poivrons rouges, verts, ces brevas violacées et mures à souhait; nous pourrions en acheter quelques unes et les déguster chemin faisant, ne jetez pas la peau, c'est le meilleur, c'est sucré... Je connais un peu Mme Sarah à moins que ce ne soit Esther; là son petit commerce vous propose les tétas de vacas, ne cherchez pas ce sont les énormes meringues que vous voyez, mais peut être préférerez vous emporter les petits pains au lait. Pour les fêtes il est de tradition d'offrir des petits pains au lait tressés, et même avec les initiales de ceux qui les reçoivent. Touchant n'est ce pas...

Rue de Ratisbonne, rue de Vienne, âmes sensibles regardez les nuages s'il y en a, car à même le sol officie le sacrificateur du rabbin et les volailles en provenance du marché Blandon finissent leurs jours le cou tranché, dans une rigole de sang. Savez vous qu'il est d'usage de sacrifier autant de volailles qu'il y a de membres de personnes dans le foyer; cherchez si vous le pouvez à vous faire inviter un jour, c'est gai convivial et sans doute la tfina trônera en bonne place, il y aura aussi des fleurs et des danses endiablées. Boulevard Joffre, là en face la Compagnie Lebon, c'est le distributeur exclusif du gaz et de l'électricité; c'est ici que l'on s'abonne et que l'on règle périodiquement ses factures.

A côté le grossiste en vaisselles mais il y en a encore d'autres plus haut; j'en connais un, Mr Benzimra, son fils est le play boy du boulevard et du Clichy. Inutile de vous le dire, vous aurez constaté que nous avons changé d'univers, nos narines sont flattées, ou saturées comme vous voudrez, par les effluves qui s'échappent de tous ces magasins, c'est le négoce en gros de l'épice, une véritable dynastie en détient l'exclusivité. Commerçants établis, de renom, bref les aristos du quartier juif. La synagogue, je préfère que vous la visitiez un jour de mariage, c'est à voir; les hommes occupent le bas et participent à l'office, les femmes en haut à l'étage ne font qu'assister. Vous écouterez les chants qui vous saisiront et le marié sous le dais écrasera sous ses pieds un verre en cristal; des annés plus tard je n'en connais toujours pas la signification.

Maintenant que notre promenade touche à sa fin je vous invite au Tantonville, juste en face nous dégusterons la majia, ou si vous préférez un Gras, ou une Phénix, accompagné des fèves chaudes au cumin et bougrement poivrées . Quelques pas et nous revoilà chez Mr Benamou au Luculus. Comme prévu notre table est dressée et le barbouche lentement mijoté et fumant excite notre appétit; Mr Benamou nous proposera un Mascara de chez son cousin en nous affirmant qu'il s'agit d'un vin cashere. Il est temps hélas de nous quitter et comme il y a plein de coins à visiter dans notre ville, nous n'aurons que l'embarras du choix dans nos prochaines promenades mais quelque chose me dit que vous reviendrez musarder et chiner et les Darmon compteront un client de plus. A plus tard peut être mais je ne veux pas vous quitter sans saluer Suzon, petite fille de Mémé Maurice et de Suzana, fille des Pérez confiseurs de mon célébrissime Boulevard des Chasseurs qui auront envie j'en suis sur d'y retourner .

4 commentaires:

  1. (et le marié sous le dais écrasera sous ses pieds un verre en cristal; des annés plus tard je n'en connais toujours pas la signification.)

    Voilà la signification:

    Ce geste rappelle qu'aucune joie ne sera totale, depuis la destruction du Temple de Jérusalem, et rappelle en même temps l'appartenance du couple au peuple juif et à son histoire. Avant de casser le verre, le jeune marié prononce ces versets : « Si je t'oublie Jérusalem, que ma main droite m'oublie. Que ma langue se colle à mon palais si je n'évoque pas ton souvenir, si je ne place Jérusalem au sommet de ma joie

    Le bris de verre marque la fin de la cérémonie. Les invités félicitent les mariés de leurs « Mazel Tov »."

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  2. Bonjour ,

    j'ai quitte Oran en l'année 1955 pour la france.
    J'habitai au n°4 de la rue de l'acqueduc et 33 rue des jardins.
    C'est affligeant de voir la manière dont a évolué le quartier ,tout a été démoli et abandonné (canastel, martinez etcc)
    Je reste nostalgique d'un Oran a jamais changé .

    cordialement à tous les oranais

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  3. bonjour francine vous etes la bienvenue a oran ainsi qu'a tout les juif d'algerie et les chretien d'algerie

    amicalement jamel

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  4. prosper Fryda31/12/13 11:24

    Née le 6 juillet 1929,mon père avait boutique de tailleur sur mesure "Mr Hirch "face au marché Karguenta. On habitait 3 bis rue de la fonderie;cette rue commençait rue d'Alsace Lorraine,et montait traversant rue de la bastille, d'Arsew,Pélicier,Fondouk...Actuellement, je vis à Paris.mon tél:0660194241....J'aimerai refaire un séjour à Oran...Revoir tout çà..ET surtout monter à Santa Cruz," Belle horizon " et toutes ces vues, la ville d'Oran, le fort, La montagne des Lions (au loin)..& derrière Mers-El-Kébir, à ses pieds.....

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