A une époque où les distances sont réduites à leur plus simple expression entre la maison et le travail, les « futurs bacheliers » bénissent l’académie d’Alger de mettre à leur disposition toute une palette d’établissements, de la maternelle au lycée, minimisant de la sorte, les contraintes inhérentes à une poursuite sereine des études. Car en ce pays et en ce faubourg, le parcours scolaire ressemble à un tour de France cycliste abandonnant à chaque étape son lot de retardataires. Ni surdoué ni cancre, l’enfant de Bab El Oued, tout en reconnaissant les mérites de l’enseignement, préfère consacrer son temps à d’autres disciplines où le football, les filles et le cinéma jouent un grand rôle. « Taper cao », contraction de « faire manca oura », devient une véritable institution tout en caractérisant l’enfant qui ose, ainsi faire l’école buissonnière. Tout élève qui ne passe pas cette épreuve obligée apparaît aux yeux des autres camarades comme une « tapette », un « falso », une « gamate », un « mort de trouille ». A l’opposé, celui qui brave l’interdit se voit décerné le titre envié de « mac ». Son avis sera toujours perçu avec une certaine condescendance et son statut au sein de l’école et de la « rue » s’écrit dorénavant en lettres majuscules.
L’amour du métier d’instituteurs consciencieux accompagne la sévérité de leur enseignement qui prolonge les lois énoncées au sein des familles. La confiance des parents envers les détenteurs du savoir se vérifie au respect de leur jugement qui ne souffre aucune discussion. Jamais le désaveu d’une punition ne vient entamer l’autorité du Maître. Car nul n’ignore ici qu’il s’oblige à prolonger ses heures de présence à l’école ou à venir y passer son jeudi en consignant l’élève. Au contraire, il n’est pas rare de voir un père parachever la consigne par un châtiment corporel ou une privation de sortie.
Les anciennes générations du faubourg ne maîtrisent qu’approximativement l’enseignement dispensé dans les écoles du savoir de France. Aussi se privent-elles du plaisir de suivre les études de leurs enfants. Par contre, elles se pâment devant une démonstration arithmétique de leur rejeton qui en rajoute bien volontiers en la circonstance. Quoi de plus jouissif, en effet, d’étaler des connaissances ignorées d’autrui! Admirative, la maman fait, alors, partager sa fierté par tout le quartier à force de louanges répétées à l’envi. Un prix glané en fin d’année par un enfant entraîne une frénésie maternelle à la limite du raisonnable. Car la raison du cœur demeure le credo des femmes de ce faubourg où l’on claironne ce que d’autres chuchotent. Les distributions des prix sont prétextes à de belles représentations théâtrales ou de fêtes enfantines costumées suivies par des spectatrices en larmes ou en pâmoison devant le « talent d’artiste» du petit dernier. Ces récompenses surviennent toujours à l’aube des grandes vacances d’été qui durent trois mois pleins, du premier juillet au premier octobre. Aussi, lors des dernières récréations, les élèves libérés d’une discipline contraignante se défoulent en entonnant le chant du départ en vacances :
« Gai-gai l’écolier, c’est demain les vacances
Gai-gai l’écolier, c’est demain je m’en vais.
A bas les analyses, les verbes et les dictées
Tout çà c’est d’la bêtise, allons nous amuser! »
/////
CHAPITRE DEUXIEME
ACTIVITES INTELLECTUELLES
LA MEDECINE
Lorsque les Français posent le pied en Algérie, ils découvrent un pays insalubre. La brillante médecine du Moyen-Age est morte. D’autres avant eux le constatèrent, les Arabes soignent les épidémies de peste et de choléra, la tuberculose, le paludisme et la syphilis à l’aide de remèdes de guérisseurs. Chassés d’Espagne par l’inquisition médiévale de 1391, puis par la Reconquista en 1492, les médecins juifs renoncent très vite à utiliser leurs compétences savantes, confrontés à l’immobilisme et au fatalisme d’orient en vigueur sur cette terre d’Afrique. Simon Ben Sémah DURAN, éminent médecin à Barcelone et à Majorque, astronome, théologien et linguiste distingué, se voit, pour simple raison alimentaire, dans l’obligation d’accepter la charge de rabbin devant le peu d’empressement d’une clientèle indigène qui préfère les traditionnelles pointes de feu, les ventouses et les prières. A l’arrivée des français, la mortalité infantile atteint les 30 %.
Il est bien naturel de constater que les premiers médecins de la conquête sont des militaires. Si les soldats sont périodiquement victimes d’épidémies de variole et de fièvre typhoïde, c’est le paludisme qui commet le plus de ravages chez des individus peu immunisés contre les maladies du pays.
Parmi ces militaires dont l’œuvre scientifique s’écrit en lettres d’or dans l’histoire de la médecine française figure le Médecin-Major MAILLOT qui réussit à sauver la vie du corps expéditionnaire français embourbé dans les marais de la plaine de Bône. Il impose la quinine à forte dose aux soldats qu’il juge atteints de paludisme alors que ses confrères songeaient à la fièvre typhoïde. La mortalité tombe alors de 23% à 5%.
Ancien hôpital du Dey, l’hôpital MAILLOT occupe depuis 1832 une maison de style hispano-mauresque bâtie par le Dey ABA HASSAN (1751-1797). De somptueux jardins agrémentent la beauté du site et même si les visiteurs ne se trouvent pas dans les meilleures dispositions pour apprécier le lieu, il n’en est pas moins vrai que ce décor apaise le malade.
En 1939, la Croix Rouge française demande à l’une de ses sociétés de réaliser un dispensaire à l’intérieur de l’hôpital Maillot. Ainsi naît l’hôpital BARBIER-HUGO qui longe le cimetière de Saint-Eugène, à l’angle de la rue Cardinal Verdier et du boulevard de Flandres. A la suite du débarquement américain, les autorités militaires réquisitionnent ce bâtiment pour le détourner de sa fonction première et en disposer comme centre de neurochirurgie. Ainsi furent soignés les blessés des abords méditerranéens (Tunisie, Elbe, Italie…..) Sous la direction du Professeur GOINARD, le centre est conservé après la guerre pour les malades civils atteints de tumeurs cérébrales. Une clinique privée s’y rattache au deuxième étage, des habitations pour la direction et les infirmières sont réservées au palier supérieur.
Lorsque éclate la guerre d’Algérie, le centre BARBIER-HUGO dispense son savoir-faire aux quelques 2000 gravement blessés cranio-cérébraux dont les deux tiers s’en sortent avec un minimum de séquelles. Comme toutes les réalisations françaises, l’hôpital-clinique BARBIER-HUGO met la clé sous la porte en 1962.
L’une des célébrités du faubourg appartient aux frères CHICHE.
Située Avenue DURANDO, à quelques encablures des Messageries, cette clinique d’accouchement dépoussière les habitudes ancestrales de ce pays et à travers lui de toutes les contrées méditerranéennes qui veut que les femmes donnent la vie au sein de leur chambre à coucher. Bien sur, les cliniques ROSETTI dans la rue du même nom, FERRARI à l’angle des rues Léon ROCHES et FOURCHAULT ainsi que celle de la rue de Nancy lui emboîtent le pas mais c’est DURANDO qui institue l’accouchement à la clinique. Inutile de dire combien fut long et douloureux l’Abandon des anciennes traditions dans un pays où chaque geste puise à la source du passé l’écriture de son avenir. Le téléphone arabe fonctionnant à merveille auprès des femmes, les nouveau-nés ouvrent, à présent, les yeux dans des établissements spécialement prévus. Certaines irréductibles résistent à ce grand pas vers la modernité, encouragées par des accoucheuses à l’ancienne.
Le Centre Villeneuve construit sur « le champ », un terrain vague où la jeunesse de la basseta s’adonne avec volupté aux jeux de l’enfance, ouvre ses portes en 1955, offrant ainsi à Bab El Oued, le dispensaire moderne digne d’une grande cité. Les médecins attachés au centre qui consultent gratuitement la veuve et l’orphelin, soignent, accompagnent, guérissent pour une somme modique, tout ce que le faubourg compte de souffrances.
L’essor de la médecine, voie dans laquelle s’engouffrent majoritairement les étudiants juifs, encourage les vocations. De nombreuses officines contribuent à la modernité de la médication même si les anciens remèdes, enveloppements d’alcool, ventouses, cataplasmes à la moutarde et au chou, massages à base d’huile chaude ou d’anisette, cuillerées de foie de morue, badigeons au henné résistent dans les mémoires de grands-mères.
La médecine gagne la partie. Les praticiens s’imprègnent totalement de la mentalité du faubourg dont ils sont originaires. La liste de ces hommes de bien qui visitaient parfois tout un immeuble, le téléphone arabe ayant fait son office sur la présence du docteur dans les parages, serait trop longue à énumérer mais ils méritent tous la reconnaissance de Bab El Oued.
H.Z. A SUIVRE........
C'est dans la clinique DURANDO que je suis né en 1949,je me souvient très bien de cette clinique ,je passais souvent devant quand j'allais au cinéma le MARIGNAN,que de souvenir.
RépondreSupprimer