lundi 6 septembre 2010

UNE VIE DE PIED NOIR, TOUT SIMPLEMENT

Voici, mon cher Hubert, un résumé de ma vie en Algérie, une banale mais dramatique histoire d'une modeste famille pied-noire.
Je suis né clinique Lavernhe, avenue Pasteur, le 19 Janvier 1942, d'Eugène Mathieu originaire de Bordj-R'dir et de Germaine Moraguès originaire de Sétif, venus chercher fortune à Alger en 1940, avant que Papa parte pour libérer la France, et j'habitais Impasse Danton, entre les Facs et le Telemly, au quartier "d'Isly" s'appelait-il, rien à voir avec la rue du même nom.
J’ai fait l’école Daguerre puis le lycée Gautier, j’ai fréquenté le RUA (natation et water-polo, avec honneur, de 1959 à 61), la rue Michelet et l'Otom, les bouffas, mais aussi je n’ai pas manqué une manif, du départ de Soustelle au Putsh, en passant par les tomates à Guy Mollet et surtout le 13 Mai où j'ai été une des premiers à entrer au GG, j'ai même eu une photo sur Paris-Match... j’ai été victime entre autre d'un attentat FLN à la voiture piégée en pleine rue d'Isly devant le magasin "Carnaval de Venise" en fin d'après midi du 24 Décembre 1959 (bon Noël messieurs du FLN !!!), et puis les parents, les copains, les copines, blessés, morts, enlevés et retrouvés vidés de leur sang ou disparus à jamais, 36 en tout, l'horreur dans l'insouciance de notre jeunesse, le drame dans le bonheur de vivre en cette superbe ville !
Et le 1er Juin 1962 la fuite, caché dans un avion militaire jusqu’à Villacoublay, après avoir été pourchassé par les forces gaullistes au point de vivre après le 26 Mars où j'ai perdu ma petite fiancée, Jacqueline Cazayous, en fugitif, loin de chez moi, dormant n’importe où comme un chien errant.
Mon père a perdu le bras gauche dans un autre attentat FLN sur un chantier en Mitidja, alors qu'à Alger un fil d'espoir renaissait avec le Putsch, le 20 Avril 1961.
Après mon Bac à Gautier je suis rentré dans l'enseignement car Maman y était déjà (instit d'école maternelle), et ainsi à l'âge de 19 ans j'ai été nommé au Clos-Salembier, et deux fois par jour je devais passer trois barrages : celui de l'OAS, celui des CRS et celui du FLN...
Durant ces presque deux années j'en ai vu de toutes les couleurs, comme les personnes abattues devant moi en descendant du bus, une fois par l'OAS (un jeune arabe) et une fois par le FLN (une jeune européenne) à l'arrêt où ils ont construit par la suite leur monument à Diar-Es-Saada, ou comme mon arrivée en Janvier 1962 sur la place du Clos-Salembier en pleine manifestation FLN, et le début de mon lynchage par la foule déchaînée, mais sauvé in-extremis par toute ma classe de petits arabes, avertis de ma situation et venus à mon secours "le chir, non, le chir, non" criaient-ils en m'emmenant à l'abri de l'école : c'était aussi cela notre Algérie.
Mon père, vice-président de la section algéroise de Rhin et Danube, qui a défilé sur les Champs-Élysées le 14 Juillet 1958, fier comme Artaban, territoriale aux barricades, militant actif de toutes les luttes jusqu'à la fin, mais dégoûté à jamais par la trahison de la France, n'a pas voulu se rapatrier comme nous tous: il a mis une strounga à notre modeste maison de l'Impasse Danton fin Juin 62 et il a continué à travailler pour une Sté de Bordeaux sur des chantiers de travaux publics dans le bled, après l'Indépendance (il parlait couramment l'arabe) alors que Maman naviguait entre la France et Alger.
Seule ma soeur Marie-Jeanne, ma cadette de 3 ans, née à Bordj-bou-Arrérridj (département de Sétif - petite Kabylie, à l'époque 25.000 âmes dont grande partie de ma famille, aujourd'hui 650.000 habitants !!!), réfugiée en Juin 1962 à Toulon (ville chère à notre coeur car nous y venions chaque année à faire trempette au Mourillon ou aux Sablettes) chez mon oncle paternel qui avait une boulangerie rue Larmodieu (c'était alors Chicago et ses bars à matafs), puis devenue parisienne, mais depuis 20 ans revenue dans le Midi où elle vit à Martigues, a eu le courage de retourner quelques fois à Alger durant les années 70, visitant toute l'Algérie en toute quiétude... avec mes parents elle allait pique-niquer dans les gorges de Palestro (village dont provenait ma grand-mère paternelle), pense un peu !!!
Mais au début 1987 mon père est mort d'infarctus à Alger et nous avons dû organiser ses obsèques au Sacré-Coeur puis à Saint-Eugène (il s'appelait Eugène lui aussi...) et après 25 ans j'ai donc retrouvé Alger où, malgré la triste circonstance, nous avons passé 15 jours de rêve, entourés, dorlotés, portés à droite et à gauche, par des dizaines d'amis algériens de mes parents qui se bagarraient pour nous avoir chez eux et nous ont comblé de cadeaux à notre départ (j'ai même rapporté un cuissot de sanglier des Aurès !), sans jamais rien demander en échange, plus tard, et je maintiens avec affection ces amitiés algéroises sur Internet.
De partout, les passants, les commerçants, les chauffeurs de taxi, les garçons de la Cafétéria de la rue Michelet (l'Otom était fermé à l'époque) et jusqu'aux douaniers qui n'ont pas voulu fouiller nos bagages alors qu'ils maltraitaient tous les autres passagers, ont été d'une gentillesse incroyable, souvent ils pleuraient (le fleuriste de la rue Debussy, un vieux marchand de légumes au marché Clauzel, et pas mal d'autres, je vous l'assure), et tous posaient la même question «Mais pourquoi êtes-vous partis ?»... cynisme, hypocrisie, sadisme, ou sincère incompréhension de la situation d'alors, ou encore spontané soutien à notre drame... je pense que nous ne le saurons jamais, je pense un peu à tout cela réuni... c'est humain...
Pour ma part, je n'ai jamais haï les arabes, chacun a fait sa part et Dieu ou Allah saura reconnaître les siens, mais je hais encore aujourd'hui qui nous a trompés, trahis, abandonnés, combattus, condamnés, et je n'arrive pas à oublier ce qui nous a été fait et encore moins à pardonner qui nous a bafoués.
Ma devise serait "Sans haine ni rancoeur, mais sans oubli ni pardon non plus".
Il n'y avait pas chez nous "d'apartheid", ni de domaines réservés, en dehors de la religion, de la famille ou des coutumes.
Nous ne vivions pas «ensemble» cependant, mais nous vivions «à côté», ce qui n'empêchait ni les rapports, ni les échanges, ni les amitiés.
J'aime cette phrase qui sait expliquer en quelques mots les vrais rapports qui nous unissaient, chacun respectant les règles de l'autre, au contraire d'aujourd'hui en France où ils sont en train de nous dominer, de nous coloniser.
Toutefois les technocrates, parachutés par le pouvoir de Paris en ces 130 ans de «colonisation» n'y ont jamais rien compris et ont été la cause de notre malheur.
La fraternisation se serait faite envers et contre tout.
Il fallait seulement du temps.
Je sais aussi qu'aujourd'hui un grand nombre d'Algériens le pensent également et souhaiteraient notre présence comme autrefois, mais personne le dira ouvertement car l’Histoire ne se refait pas, malheureusement.
Et je n'ai pas peur de dire à qui veut bien m'entendre que quand l'Algérie souffre, je souffre, je souffre dans ma chair, même si parfois je ricane car l'Histoire se répète, pour ne pas dire "se venge" ou mieux "nous venge", «Mon pays me fait mal» comme écrivait Robert Brasillach, alors que je suis totalement contraire à l'invasion maghrébine et à l'arabisation de la France, de l'Europe, qui semble irrémédiable et ne déranger personne, ou presque....
En Algérie, j'étais moitié un citadin, à Alger, mais aussi moitié un campagnard, avec ma grand-mère paternelle et une nombreuse famille à Bordj-Bou-Arrérridj, où nous allions au moins deux fois par an jusqu'en 56, et puis surtout ma famille avait une petite exploitation à Saint-Pierre-Saint-Paul, dans la Mitidja, à 7 km de La Réghaïa et 30 km d'Alger par la Route Moutonnière, un paradis entre figues de Barbarie et mûres, à courir la campagne avec plus de copains arabes qu'européens, avec nos taouetttes à la chasse aux pigeons.
Mais la tragédie du terrorisme nous a atteint en 1959 avec la mort à Tiaret de mon cousin le plus proche et 6 mois après, jour pour jour, mon attentat de la rue d'Isly, et ainsi nous avons cessé de nous réunir en famille dans le bled, la dernière fois fut à l'occasion du Noël 1960, le plus triste Noël de ma vie après celui de mon attentat avec un Réveillon passé à Mustapha dans le sang entre blessés et agonisants, et qui plus est, ce jour là, sur le chemin du retour, nous avons échappé à un barrage FLN par miracle, grâce au sang-froid de mon père.
Je regrette seulement de ne pas avoir eu le temps d'apprendre l'arabe, alors que Maman et Papa le parlaien couramment, utilisant cette langue entre eux quand ils voulaient parler "en douce" sans se faire comprendre de nous...
Mon affection pour Bab-el-Oued vient du fait que jusqu'à le fin je traînais pas mal du côté de la rue du Roussillon, entre 3 horloges et hôpital Maillot, la première rue à gauche, après la pâtisserie La Princesse, en descendant du tram (ou plus tard du trolley) où j'avais de la famille chère à mon coeur, et j'adorais la calentita qui se dégustait toute chaude face à l'entrée principale du marché couvert... et puis j'avais aussi une tante qui tenait une petite épicerie juste plus bas que le commissariat de Notre-Dame d'Afrique.

Pour la première fois de ma vie j'ai participé à un rassemblement pied-noir en France, l'inauguration du Mur des Disparus à Perpignan, et l'émotion a été grande de retrouver intacte l'unanimité de notre peuple à réagir pareillement, sa solidarité envers ceux qui ont eu les leurs arrachés d'une façon comme d'une autre à leur affection, 36 entre famille et ami(e)s, pour mon compte.
Résumant le reste de ma vie, j'ai vécu 10 ans à Paris (un premier mariage avec une parigote du 16ème, et un fils Fabrice né le 31 Décembre 1967, aujourd'hui médecin au Québec), prof de Lettres en une banlieue qui commençait à s'arabiser, l'Académie me propose un poste en Italie, en Sardaigne, et j'accepte - le soleil, la mer, les palmiers - ayant à peine divorcé.
3 ans de Sardaigne où je retrouve presque notre paradis perdu, mais je ne supporte plus les sardes et avant d'en massacrer un, je me fais transférer à Milan au Lycée Français.
En 1976 je rencontre Franca grâce à nos chiens et c'est le coup de foudre absolu, l'amour de ma vie, un amour profond qui dure depuis dans un bonheur ininterrompu, comme au premier jour... après 34 ans... seule la mort nous séparera et celui qui restera vivra en enfer...
En 1980 j'ai réussi à me faire nommer à Trieste, ville d'origine de Franca, joli port de la côte adriatique qui me rappelle un peu notre belle Alger, étagée comme elle, pas trop loin de Venise, à la frontière avec l'ex-Yougoslavie, avec des habitants qui sont peu "italiens" après 5 siècles de domination autrichienne (ma femme a les yeux verts, clairs comme l'eau de la Pointe-Pescade, mon frère, et la peau blanche qui craint le soleil), les barbares n'y sont pas encore arrivés et nous vivons en-dehors de toutes les contradictions de l'Italie, beau pays pour faire du tourisme, mais y vivre est bien difficile, sans compter la bouffe qui laisse vraiment à désirer, quoique vous en pensiez en France... un exemple : le mouton est introuvable ici, seuls de tous petits agneaux le jour de Pâques, et encore, seulement dans le Sud, alors que je suis dans l'extrême Nord (latitude de Lyon, pas de palmiers ou de figues de Barbarie ici), sans parler de la charcuterie qui est bien peu variée, pas de pâtés, de boudins, de rillettes, d'andouilles ou d'andouillettes, que du jambon cru et de la mortadelle ou autres babioles semblables, c'est tout ce que passe le couvent, peu de variétés de fromages, celui de chèvre sous toutes ses formes est totalement inconnu, pas de navets, et pas tant d'autre chose... c'est dur pour un franco-algérien...
Heureusement, ma femme cuisine fort bien "à la française" et ses blanquettes ou sa loubia sont excellentes, elle a été à l'école de ma mère, quand à moi trouvant depuis toujours, je ne sais par quel miracle, du "vrai" couscous Ferrero dans mon super-marché, je prépare un couscous "comme ma mère", mon fils, à la constantinoise avec la marga rouge, à se lécher les babines !!!
Depuis plus de 2 ans je suis à la retraite, je viens depuis toujours au moins une fois par an à Martigues et à Bormes-les Mimosas, mais la vieillesse commence à se faire sentir... pas dans la tête, heureusement, mais c'est le corps qui ne suit plus... bientôt 70 piges...

4 commentaires:

  1. Pierre de Theux (Guyotville)27/3/12 09:57

    Merci pour ces quelques lignes qui rappellent de bon souvenirs

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  2. Je m'intéresse à l'arbre généalogique de la famille Mathieu

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  3. Je m'intéresse à la généalogie de la famille Mathieu. Êtes-vous lié à ceux de Bône?

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  4. Je suis algérienne née en1953 à Aïn-Bessem où j'ai vêcu avec des enfants de mon âge français pieds-noirs jusqu'à notre déchirante séparation.Zouka et Setti juives étaient des amies de ma mère.Ce que vous avez écrit m'a tellement ému que les larmes coulent à flot.Vous m'avez plongée dans un rêve sans fin.Grand merci à vous ainsi qu'à Mr Hubert . Fadila.

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