samedi 4 septembre 2010

BAB EL OUED PAR JEAN BRUNE (suite)

La Place Lelièvre où bat peut-être le coeur de Bab-El-Oued
Voici la place Lelièvre… Chaque fois que j’y reviens, je ne peux pas m’empêcher de penser à mes amis les animateurs de l’Amicale des anciens élèves de l’école dont le dévouement est à la fois un symbole et un réconfortant exemple. Je revois le visage de M. Landais, des frères Félicié, de M. Solivérès dont j’aime beaucoup le talent de chansonnier, et de M.Chartier pour qui donner est un sacerdoce.
La place Lelièvre, c’est un des hauts lieux de Bab-El-Oued … Mais l’Amicale des anciens élèves, qui réunit trois générations d’enfants du faubourg, c’est beaucoup mieux encore. C’est l’un des plus hauts lieux de la générosité et du dévouement.
On connaît en général et l’on s’amuse volontiers de la gaieté de Bab-El-Oued. On ne sait pas assez que derrière cette gaieté se cache une sensibilité aiguisée par une longue habitude des difficultés et des misères de la vie. La gaieté, c’est une sorte de pudeur des gens qui savent que si l’on veut aider efficacement ses semblables, il ne faut pas les plaindre mais les aider à réintégrer la joie de vivre. C’est une délicatesse raffinée que les Barbares ne comprendront jamais, mais que les humbles connaissent comme une vertu familière.
Et parce que l’Amicale des Anciens Elèves de la Place Lelièvre m’a appris à mieux entrer dans le secret de ce miracle, je lui garde une affectueuse reconnaissance que je veux lui offrir aujourd’hui… comme un hommage.
Cour de récréation du faubourg…
L’Armée aime à comparer ses enfants comme des animaux héroïques ou débonnaires. Les anciens Zouaves furent, dit-on, des chacals en Afrique et des lions à Verdun…. Et parce que, un jour, les bataillons d’Afrique du capitaine Lelièvre résistèrent victorieusement dans la redoute de Sidi Brahim contre un ennemi cent fois supérieur en nombre, la légende s’empara de leur héroïsme à travers un calembour. On baptisa ces braves « les lapins du capitaine Lelièvre ».
Depuis le temps a passé… O combien vite ! – comme disaient les chansonniers du Chat Noir – les soldats français ont été appelés à d’autres exploits. Rien n’est plus éphémère que le souvenir de l’héroïsme… Il ne reste aujourd’hui de cette époque oubliée qu’un nom sur une plaque : Place Lelièvre.
Mais il me plait de penser que cette place et ce nom sont magnifiquement associés. La place Lelièvre c’est aussi une redoute … un bastion… l’un des derniers carrés ou survit un reflet du Bab-El-Oued des premiers âges. Et quel que soit l’assaut formidable des années nouvelles, il ne parvient pas à réduire entre ces murs inspirés, le souvenir du passé.
La place Lelièvre, c’est avec la Cantera, la Basetta et la Pompe, l’une des marraines du vieux faubourg… une marraine magnifiquement vivante, qui fait pendant à ces parrains disparus qui s’appellent le Moulin, le Pont, l’Oued et le Bain des familles…
Autrefois elle n’était qu’un terrain vague. Puis au bord de cette lande on construisit une église et une école. Elles existent toujours. Dans l’église Saint Joseph, Cagayous s’est marié, et sur les bancs de l’école sont passées non pas seulement toutes les générations d’enfants du faubourg, mais bien d’autres garnements qui dont allés aux quatre coins du monde français jeter un témoignage de la qualité de l’enseignement qui leur avait été dispensé sur cette nouvelle « colline inspirée ».
Il n'y avait alors autour de l'école et l'église que de petites maisons basses... et naturellement aucune clôture ne délimitait la place. Dans la partie la plus basse il y avait des acacias et une fontaine. Quand Pépina venait donner un représentation on logeait les « artistes » dans le local voisin qui avait été une synagogue. Pépina, c’était un embryon de cirque. Mais ce n’était pas la seule attraction offerte à l’avidité des gosses. Le dimanche on faisait jouer le « cinématographe ». On disposait des toiles autour des bancs alignés… et l’on faisait payer cinq sous l’entrée de ce paradis de l’illusion.
- « C’était assez une fois par semaine, m’a dit M. Carrio qui habite la place Lelièvre depuis 65 ans… On ne pouvait jeter cinq sous tous les jours ! »
Une fois par an, quand les conscrits revenaient du conseil de révision, on donnait un bal. Le reste des jours, les jeunes jouaient aux billes et les adultes jouaient aux boules, ce qui est une autre forme du jeu de billes.
Cependant, il n’est pas de partie de boule digne de ce nom sans la sanction de la tournée d’apéritif. Alors s’ouvrit le premier café, le café du et Ramon qui occupait l’emplacement de l’actuel Bar des sports. Il fut vendu deux mille francs à une époque où l’anisette valait un sous.
Enfin la place Lelièvre accéda à la dignité de square quand le maire d’Alger, M. Brunel, lui offrit un kiosque qui décorait jusque-là le square Bresson que les algérois ne veulent pas se décider à appeler Briand.
Il ne restait plus qu’à habiller la place dans le corset d’une clôture et à partager le centre entre les joueurs de boules et les joueurs de billes.
Ainsi la vieille place est-elle devenue en même temps un stade et une annexe de la cour de récréation. Mais la clôture a mal résisté à la turbulence des gosses du faubourg...
« Ce sont des diables » m’adit M.Carrio, le doyen de la place Lelièvre, « ils ont cassé la barricade »
Puis il ajouta, à travers un sourire !
« Il faut dire que de notre temps nous faisions comme eux ! »

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