Les écrivains algérianistes et leurs modèles
Avec cette anthologie de la vie quotidienne des Français d'Algérie, Pierre Dimech nous fait ici, un cadeau précieux en nous faisant profiter de sa parfaite connaissance des écrivains algérianistes. A partir de pages choisies de leurs oeuvres, il redonne vie à ces hommes et ces femmes, pauvres le plus souvent mais courageux, « enragés de travail » comme l'écrivait Louis Bertrand, qui greffèrent un bourgeon de société occidentale sur une terre où tout était à faire.
Recueil de textes les plus significatifs, souvent truculents, fruit d'une recherche passionnée d'ouvrages devenus rares, ces « reportages », volontairement oubliés, aujourd'hui, ont été le miroir d'une vie bouillonnante d'immigrants venus de la Méditerranée mais aussi de toute l'Europe. Nos premiers algérianistes ont tissé la vie d'une époque disparue avec le ressenti de l'observateur face au comportement d'acteurs alors exotiques, peints sans artifices et pas toujours ménagés.
Ils y ont ajouté leur talent: plume affûtée des Lecoq, Randau, Achard... ou poétique de Jean Pomier. Ces ouvriers espagnols, chevriers maltais, pêcheurs siciliens, cultivateurs mahonnais, provençaux ou alsaciens, vont subir des drames combien nombreux mais goûter aux mêmes joies prodiguées par la mer et le soleil: les bains de mer, le cabanon. Tous vont apprécier l'anisette, la calentica, les brochettes ou les caldis...
Ils « cassent » la mouna à la plage pour Pâques. Leurs pratiques religieuses naïves, essentiellement catholiques, sont parfois tournées en dérision par une Lucienne Favre ou transformées en fêtes païennes par Jean Pomier dans son ode à la Pentecôte. On entend les éclats des baroufas dans les rues mais ils aiment le chant et les théâtres font très tôt leur apparition. Au cinéma, ils vont se trouver des liens avec les héros de
western. Les parades militaires de leurs chers zouaves, spahis, chasseurs d'Afrique les enchanteront toujours. Bien sûr, la France va leur donner l'avantage de les reconnaître en devenant de bons soldats (le conseil de révision conté par Paul Achard est un moment privilégié).
Enfin, l'école et même plus tard l'école normale fera d'eux des français élaborés. Plus que d'autres, ils vont connaître la mort personnifiée par le fameux
Moloch terrifiante divinité qui ne cessera de peser sur leur destin. Ce recueil a l'avantage de montrer avec saveur, et érudition, les particularités de ces différents groupes humains ne parlant pas la même langue au début mais venus au français par le contact quotidien, qui vont se frotter avec rudesse parfois, apprendre à se connaître, goûter les mêmes bonheurs, se fondre en un monde qu'un siècle plus tard, on va tenter de supprimer « à tout prix ».
M.-J. G.
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