samedi 11 septembre 2010

CAGAYOUS : AUGUSTE ROBINET

Cagayous, « le roi des salaouetches », originaires de Bablouete (Bab el Oued), et sa petite bande de chenapans malicieux et turbulents parcouraient toutes les rues d'Alger où se déroulaient les cocasses péripéties de leurs exploits hebdomadaires. Une vie intense « d'en haut la cantera à en bas la mer ».
Cagayous avait son langage, extraordinaire et typique. C'était du pataouète moderne... ou du « cagaoussien ». Les étymologistes en recherchèrent les origines aux sources diverses, espagnoles à Bab-el-Oued, italiennes dans le quartier de la Marine, arabes à la casbah et françaises un peu partout ailleurs.
Cagayous savait ce qu'il voulait et se faisait comprendre : « Aucun, qu'il soit civil ou militaire, il m'empêchera à moi Cagayous que je chante ma chanson quand le soleil y me dit bonjour ! »
- Aux bains de mer, « ousqu'iy a Matarèse » avec un « caneçon garibalde » il faisait des « souprieux » (sauts périlleux).
- A l'épicerie, il exigeait « des anchois bonnes, celles-là qu'elles sont aplaties dedans le baril ».
- A la pêche : « y se sortait que des oublades grandes comme des savates ».
- En visite à l'Exposition de Paris, flanqué de ses acolytes : Embrouilloun, Bacora et la « Calotte jaune », il répondit, outré, à la question : - Vous êtes français ? - d'un quidam étonné par l'accent du quatuor : « Algériens nous sommes ... que ! »



Ce terme n'était revendiqué à l'époque, que par ceux qu'on appellera plus tard les « Pieds Noirs » (Voir sur ce sujet l'ouvrage récent de Pierre Dimech : « La désinformation autour de la culture Pieds Noirs » Editions l'Etoile du Berger.)
Grand sentimental, sous une apparence « macho », le « pôvre » Cagayous eut des déboires matrimoniaux l'obligeant à « casser la carte » en conclusion de torrides « baroufas ».
Musette le « mobilisa » en 1914 et il dut quitter Alger «ousque le sang il est chaud plus milleur qu'en France » pour rejoindre le front. « Cagayous Poilu », paru en 1920 à Alger, fut la dernière de ses 15 grandes épopées.
L'étonnante « humanité » de Cagayous, c'était le petit monde qui l'entourait :
- Chicanelle : Sa sœur ; la fille-mère qui fait des monès (brioches au sucre)
- Scaragolète : Le petit à sa sœur ; « un foura-chaux de petit bâtard qui reste bourricot pourquoi y vas pas à l'école », était un bébé baveur « comme un scargot » d'où son surnom.
- Mademoiselle Theresine : « Qu'elle en pinçait pour lui » et qui deviendra, brièvement, son épouse. « Elle se tient le certificat d'études et l'épicerie de sa mère. »
- Madame Solano : Sa belle-mère « Qu'après 35 ans à Alger pas même elle parle français » !
- Mecieu Hoc : Facteur en retraite... « qu'il aime bien parler dessur les autres »
- Boumatraque : Le Commissaire Central... « qu'un jour y s'a reçu un asting qui s'y a fermé l'œil ». (coup asséné par Cagayous...)
- Calcidone : Maltais « pêcheur des oursins que toujours y marche pieds nus ».
- Embrouilloun : Un naturalisé... « qui vous sort des saloperies en apolitain quant il perd la figure et qui s'a fait peler en jouant les cartes espagnoles vec les arabes ».
- Hachomoc : Le chevrier... « le petit à çuilà qui fait des fromadjos ».
- Mallard : « Qu'il a un cabanon à Sidi Ferruch »... et « que toutes les bêtes bonnes à manger qu'elles passent à côté elles viennent pas vieilles... »
- Le docteur : Ecrivain public... « y travaille la lettre alonyme pour les femmes... en cachette ».
- Zéro franc : « Pourquoi jamais il a le rond pour payer quand y vient son tour ».
- Caporal : Un fourachaux... « que jamais y s'attrape le bouchon en mangeant les figues de Barbarie pourquoi y connaît un truc : à chaque douzaine y s'enfile une boule de savon arabe ».
- Mateptache : « Soigisseur des pommes de terre »
- Tape à l'œil : « Mesloute » (dénué)
- Felisque : « Le fort ténor léger qui chante à le Café de la placette en face le marchand de loubia » et « qu'il est gentil... »
- Mecieu Lelaitier : «Avocat. Pour qui la justice elle est battel (gratis) mais ceuss là qui travaillent avec elle y marchent pas à l'œil... »
- Kouider : « Qu'il a fait agent de poulice et que maintenant y fabrique la koukra ».
- Cuila qu'il a la calotte jaune : Rentier endé-pendant ... lieutenant de Cagayous et un peu son rival...
- Gasparette : « Qu'un jour elle s'a ensauvé par en haut le jardin Marengo »
- Ugène le Louette : « Faiseur des commissions »
- Ramonette : « Escafandrier dedans le port... qui se répond plus des dettes qu'elle poudrait faire sa femme, ensauvée vec un oualliounne »
- Tonico : « Qu'à sa sœur y s'y a venu un enfant sans qu'on sait comment... et qui faut qu'on attend que le petit y se ressemble à quelqu'un pour s'arrêter le type et qui se marie ».
- Six-Dix : Garçon de café « Qui s'en est chia-dé de la fille à la Smina » (La grosse).
A cette brochette de « pas tristes » on peut ajouter : Zigolatche, Ouacco, Bacora, Boulitche, Coimbra, Facanal, Camalion, Pimiento, Mariquita, Fartasse, Fatoutche, Zamoun, Micalette, Cucurollo, Taouloun patron du battibatte, etc. qui apparaissent au gré des épisodes.

Auguste Robinet, à l'instar de son héros Cagayous avait du caractère. Amateur de belles voitures, membre fondateur de « l'Automobile Club d'Alger », il eut sa superbe Salmson réquisitionnée au début de la guerre ; circulant en tramway, il reconnut un jour son véhicule en stationnement et s'empressa d'aller s'informer dans une boutique voisine ; il apprit ainsi que l'attributaire ne s'en servait que pour un aller- retour quotidien. Robinet s'installa illico au volant, fonça à la Préfecture et avisa l'autorité qu'il reprenait possession de son bien. « Son service des enfants assistés étant plus important que les commodités d'un employé statique ». L'affaire n'eut aucune suite. Robinet fut un des promoteurs de la Maternité de l'Hôpital de Mustapha.
Frappé d'hémiplégie, il s'éteignit le 1er septembre 1930. Selon sa volonté, il n'eut que le cortège de ses trois enfants pour l'accompagner au cimetière du Boulevard Bru.

John FRANKLIN

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