Ayant permis aux artistes de toucher du doigt l’universalité des drames humains transposés dans des cadres différents, l’Afrique du Nord les a ramenés vers la seule grande logique immuable de l’Art : la substance profonde d’une oeuvre vaut mieux que la musique toujours artificielle de l’interprétation. » Jean Brune
La parution en 1893 du Journal de Delacroix et, de l’ouvrage de Signac De Delacroix au néo-impressionnisme fait de l’Afrique du Nord le lieu de conjonction de la peinture moderne et du luminisme lyrique. Léonce Bénédite, président de la Société des peintres orientalistes, cherche à institutionnaliser le pèlerinage en « Barbarie » dont Delacroix avait été le héros.
L’Afrique française devient alors populaire. Le coup d’envoi d’une propagande artistique est donné en 1906 par l’Exposition coloniale, des bourses de voyages sont instituées par le ministère des Colonies.
L’idée d’acclimater l’art sur place, d’enraciner son enseignement s’impose en Algérie. Le pays se structure et la vie artistique s’organise, un nombre non négligeable d’artistes viennent le visiter, le voyage en Algérie s’est substitué au voyage en Italie. Les artistes vont devoir s’adapter à ce pays, confronter leur talent avec la réalité des paysages et des hommes
La villa Abd-el-Tif, institution à part entière naît en 1907,elle va jouer un rôle déterminant dans la vie artistique de l’Algérie. Léonce Bénédite, conservateur du musée du Luxembourg, et Charles Jonnart,
gouverneur général de l’Algérie, président désormais aux destinées artistiques du pays. La bourse d’étude pour la villa Abd-el-Tif est décernée après un concours auquel l’artiste se porte candidat, comme pour les prix de Rome, et non à titre de récompense à l’instar des bourses de voyage et prix du Salon.
À un orientalisme de voyageur succède une peinture de résident. Le lieu de résidence des artistes est une villa mauresque enfoncée dans une magnifique verdure, à quelques minutes du jardin d’Essai d’Alger qui est pour
l’Algérie un « parc national ». En 1907, Charles Jonnart a l’idée d’offrir aux artistes métropolitains cette belle résidence. On la surnomme volontiers « la villa Médicis algérienne ».
Il n’y a cependant pas une grande analogie entre la fondation romaine, vieille de presque trois siècles et celle d’Alger, à peine sortie de l’adolescence. La villa Médicis comprend toute une organisation administrative, et elle reste fidèle à sa tradition. À la villa Abd-el-Tif il n’y aucune direction et, c’est ce qui en fait l’originalité ; les pensionnaires sont leurs maîtres et ne sont soumis à aucune discipline. Se trouvant brusquement devant une nature entièrement nouvelle, devant des types physiques dont ils ne soupçonnaient pas l’étrange beauté, ils ne se sentent prisonniers d’aucune formule, ni d’aucune technique. Les pensionnaires sont choisis avec le plus grand éclectisme dans les Salons officiels : le Salon des artistes français, le Salon d’automne, le Salon des Tuileries. Ils obtiennent une bourse d’une durée de deux ans. Plusieurs anciens pensionnaires de la villa Abd-el-Tif s’installent définitivement à Alger : Léon Cauvy, Ludovic Pineau, Marius de Buzon, Léon Carré, Maurice Bouviolle, Jean Désiré Bascoulès, Georges Halbout du Taney, Camille Leroy. Les autres y reviennent à plusieurs occasions.
Le jury se compose du président et des membres de la Société des peintres orientalistes français, du directeur du musée des Beaux-Arts d’Alger Jean Alazard, et des artistes choisis en dehors de ce groupement, le plus souvent d’anciens pensionnaires de la villa Abd-el-Tif.
Un centre d’art vivant est ainsi créé, qui ouvre des perspectives nouvelles et va concourir à l’évolution de l’art français. Il convient d’ajouter, dans le cadre de l’organisation de la villa Abd-el-Tif, que plus tard, en 1952, le gouverneur général Roger Léonard accordera une bourse annuelle d’études et de voyage en Algérie de cent vingt-cinq mille francs, destiné à d’anciens pensionnaires de la villa Abd-el-Tif et à des artistes renommés afin qu’ils découvrent la belle province d’Afrique du Nord.
Un studio d’accueil est créé à Tipasa, un des plus jolis endroits de la côte algérienne, il offre d’agréables conditions de séjour aux pensionnaires. Le peintre Pierre Pruvost en est le premier bénéficiaire.
Si le contact avec l’Algérie est des plus heureux pour les Abd-el-Tif, c’est grâce à l’action du mécénat privé qui vient soutenir avantageusement la politique engagée et minutieusement préparée par Charles Jonnart et Léonce Bénédite. Deux collections, parmi les plus importantes de l’art français, appartenant Louis Meley et
Fréderic Lung, se sont constituées en Algérie au début du siècle.
D’une manière générale l’Algérie est devenue une terre familière aux artistes français. Une vie intellectuelle et artistique s’affirme sous l’impulsion donnée par les pensionnaires de la villa Abd-el-Tif. Peintres et sculpteurs, dans la pleine possession de leurs moyens, ont su profiter de la leçon de la lumière que leur donnait l’Afrique
pour élargir encore leur vision.
Témoins d’une histoire algérienne portant en elle ses contradictions, les Abd-el-Tif en donnent une vision sincère. Servis par une maîtrise de leur métier et une sobriété d’expression acquise dans les ateliers de la métropole, ils débarrassent la peinture algérienne du bric-à-brac romantique, de l’orientalisme de bazar, encore sensibles chez quelques retardataires. La fondation de la villa a importé les principes de bons sens et la conscience de l’Art vrai. La graine a germé .
La Villa Abd-el-Tif ferme ses portes au moment de l’indépendance du pays en 1962,
elle n’aura pas de prolongement artistique.
Élisabeth CAZENAVE
Présidente de l’Association Les Abd-el-Tif
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