dimanche 27 juin 2010

la nationalité francaise, ça se mérite!!

Je soussigné Drucker Abraham, docteur en médecine de l'Université de Paris, m'engage à ne pas exercer la profession de médecin en France. » Lui si poli dans tous ses autres courriers n'a cette fois pas mis les formes. Une phrase seulement mais tout y est : l'absurdité et l'humiliation. Abraham, depuis son adolescence, n'a qu'une ambition : devenir médecin français. Pour cela, il a quitté sans regret la Roumanie et sa famille. Première étape, l'Autriche. A Vienne, il tombe amoureux de Lola Schafler, une jolie élève infirmière, juive comme lui, qui le suit en France ! Le voilà à Grenoble en octobre 1925. Il apprend la médecine. Ses professeurs le décrivent comme un jeune interne «pénétré des devoirs qui lui incombent ». Il joint leurs témoignages au dossier de naturalisation qu'il dépose dès 1930 à la préfecture du Morbihan. Car une fois acquis tous ses diplômes, Abraham n'a accompli que la moitié de son destin : pour être « médecin français » lui manque encore la nationalité.



Mauvais point : il n'a pas son baccalauréat français. Sa demande est ajournée «pour protéger les étudiants de qui on exige ce diplôme ». Il ne fait pas bon être avocat, médecin ou dentiste lorsque l'on est étranger dans les années 1930. Le lobbying des professions libérales, mâtiné d'antisémitisme, est extrêmement puissant. Les syndicats médicaux obtiennent d'être consultés avant toute naturalisation et que l'exercice de la médecine soit réservé aux nationaux. Ce n'est pas assez. Les carabins, qui veulent restreindre l'accès à l'emploi pour les naturalisés, se mettent en grève. Une étudiante en médecine juive est lynchée lors d'une manifestation .Abraham ne baisse pas les bras. En 1935, il écrit à nouveau au ministère : «Je vous serais très reconnaissant de bien vouloir favorablement examiner la présente nouvelle requête, tenant à vous faire connaître que je serais désireux d'être incorporé dans la grande famille française, voulant ainsi essayer de m' acquitter de la dette de reconnaissance que j'ai contractée envers le pays qui m'a si largement ouvert les portes. » Des professeurs de médecine vantent son professionnalisme et sa francophilie. Le maire de Vannes et le préfet du Morbihan émettent des avis favorables. En vain.



En 1936, Abraham tente d'amadouer la chancellerie avec un nouvel argument : «Je réside en France depuis onze ans sans interruption. Ma première demande date de 1930 alors que j'avais 26 ans. Je me suis marié et je m 'engage sur l'honneur en cas de naturalisation d'aller résider aux colonies. » J'irai loin s'il le faut, mais faites-moi français ! Or ce n'est pas son lieu de résidence qui pose problème à l'administration, mais son métier. Il se résigne. S'il doit choisir entre la médecine et la France, Abraham sacrifie la médecine. Il s'engage à ne pas exercer son métier. Consulté, le président du syndicat des médecins de la Seine, P. Tissier, reste sceptique. «Sa candidature au point de vue professionnel médical n'offre pas d'intérêt et sa situation ambiguë ne pourrait qu'aggraver les inconvénients de l'encombrement actuel de la profession médicale en France», écrit-il au chef du bureau des Naturalisations. Le préfet de police est satisfait, lui, par le renoncement officiel de Drucker. Le 5 juillet 1937, Abraham verse 637,50 francs de droits du sceau.
 Il est officiellement français le 17 juillet 1937. Il s'installe à Vire, en Normandie, comme médecin de campagne. Les autorités ferment les yeux sur son engagement non tenu. La famille souffle. Pas longtemps : dénoncé, Abraham est arrêté en 1942 et emprisonné à Com-piègne, puis à Drancy Les juifs exerçant des professions médicales sont mis à contribution par les autorités. Simulacre de médecine. Le docteur Drucker réussit à faire sortir quel-ques internés de Drancy. Assiste, impuissant, aux départs des convois. Toute sa vie, comme tous les rescapés de la Shoah, il tentera d'oublier cette obsédante culpabilité. Celle d'avoir lui, et pas un autre, « échappé aux wagons plombés ».
« On travaille et on dit merci »
Lorsque la future icône de la télévision française naît en 1942, ses parents ne sont français que depuis cinq ans. Aujourd'hui, grâce au « Nouvel Obs. », il découvre avec émotion leur dossier de naturalisation. « On s'est souvent moqué de ma politesse, mon côté coulis de framboise. En lisant ces documents que vous me montrez, je comprends enfin d'où cela vient : mes parents se sentaient redevables. Ils nous martelaient trois choses : on se fait discret, on travaille et on dit merci. Pour que la France n'ait pas à regretter de les avoir accueillis, nous avions l'obligation de devenir des Français brillants Mon frère Jean a fait l'ENA, Jacques est un grand médecin, et moi qui étais le cancre, le vilain petit canard, je crois avoir exercé mon métier sérieusement. Mes parents pensaient qu'être les meilleurs nous protègerait en cas de coup dur. Ils n'avaient de cesse de découdre l'étoile jaune qu'on leur avait imposée pendant la guerre. »

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