HOMMAGE A GERALD HAIG ,
TUE DANS LE TREMBLEMENT DE TERRE A HAITI
TUE DANS LE TREMBLEMENT DE TERRE A HAITI
Chaque dimanche, surtout les jours de match au stade de Saint-Eugène, je mangeais chez mon oncle Léon, le frère de ma mère. Plus gentil, ya pas ! Ne cherchez pas, ça existe pas ! Tant qu’on y est, meilleur tailleur y’a personne, à part son frère William.
Tonton Léon y m’avait promis ainsi qu’à ses deux fils de nous emmener au stade où le match du siècle A.S.S.E-M.C.A (chez nous, tous les dimanches, le match du siècle il avait lieu.).
Y faut dire que pour ceux qui z’en connaissent pas une en football, le Mouloudia Club Algérois, c’était le club des musulmans avec l’Olympique Musulman de Saint Eugène. Alors, obligé, ce derby, il attirait tous les Algérois. Ca sentait la poudre et rien à voir avec la poudre de pinlerpinpin, c’est moi qui vous le dis.
Tonton Léon, il était pas tranquille parce que même, si les tribunes elles se faisaient face. Rappelez vous, « quoiqu’on dise, quoiqu’on fasse, on est mieux ici qu’en face ! » En face, c’était les cimetières. Les musulmans d’un côté, les européens de l’autre, des risques de bagarres, elles nous pendaient au nez et les botchas, les calbotes et les coups de tête empoisonnés, elles risquaient de pleuvoir à la moindre occasion. Alors, mon oncle y nous tape une olive maousse en nous invitant à monter à Notre Dame d’Afrique pour voir le match. Qué voir le match !
Les joueurs, plus nains que des lilliputiens, on va les voir ! Et encore, si on les voit ! Parce que tonton Léon, zarmah, y nous rassure en sortant des jumelles qu’elles avaient sans doute fait la guerre de 14-18. J’exagère un chouïa mais y a de quoi !
Nous autres, mes cousins et moi, on est désappointés au possible mais, à la guerre comme à la guerre.
Tata Rose, c’est l’épouse de mon oncle, obligé sans ça, je l’appellerais pas tata (c’est subtil comme réflexion hein ?) elle nous prépare une tonne de sandwiches, de l’eau et surtout, les jumelles de la guerre 14-18 et en avant nous autres pour la conquête à pied de Notre Dame d’Afrique. On dit bonjour aux membres de la campagne Oualid qui sont de la famille et on grimpe comme des fous en pleine chaleur. Y faut avoir tué son père et sa mère pour s’attaquer à la montée de Notre Dame d’Afrique par cette chaleur que ma mère elle qualifie de grosse s’ranah. C’est vrai que les mots en arabe y z’ont plus de sens que les mots en français. Va savoir si c’est un sens giratoire, unique ou interdit. Toujours est-il que je remporte aisément notre Galibier à nous, on remet que dalle au vainqueur mais le stade de Saint Eugène, même pour des lilliputiens, c’est la suprême récompense. On trouve deux pelés et trois tordus qui suivent le match des réserves. On se demande d’ailleurs comment y savent que c’est des réserves, y ressemble plutôt à des playmobiles avant l’heure tellement y sont mesquinettes.
L’image, elle est pas terrible mais le son il est souâ-souâ ! Les clameurs du stade, elles montent dans le ciel comme une envolée de ballons. Chacun y prend sa place. L’A.S.S.E en rouge, le Mouloudia en vert, châ châ ! Déjà, on tape les sandwiches, la vérité, la montée du Galibier elle nous a creusé l’estomac, c’est rien de le dire. Tonton Léon, y règle les jumelles mais rien y voit. Elles sont fantaisistes pace que l’œil droit y marche mais l’œil gauche, rien qu’y clignote ! Le mauvais sang pour un perfectionniste comme lui ! Nous autres, avec mes cousins, sans jumelles, on voit bien mais en petit. En tout petit ! Alors, on se rattrape sur la boustifaille. Tata Rose, elle est championne du monde du sandwich à la sardine à l’huile. On s’en met partout mais comme elle se rassure : « C’est plein de fer ! ». Le match des réserves, y se termine. Tonton Léon, raïeb, il est toujours en train de bricoler ses jumelles, y fait beau sur Notre Dame d’Afrique, on mange, on boit, on va voir des lilliputiens jouer le match du siècle, elle est pas belle la vie !
Le soleil y tape sur le ciboulot. On se fabrique des chapeaux de pirates avec du papier journal. Les joueurs y z’entrent sur le terrain en tuf, les tribunes , elles applaudissent à se casser les mains et l’arbitre Janvier Attanasio y donne le coup d’envoi. Ba ba ba, qu’est ce qu’on rate ! Les vociférations du public elles doivent gêner nos morts qui tapent la sieste sagement dans les cimetières en face du stade. Rappelez vous l’inscription dans le café-buvette du stade : « Quoiqu’on dise, quoiqu’on fasse, on est mieux ici qu’en face »
Tonton y voit que dalle ! Nous non plus d’ailleurs mais a savoir si j’avais vingt à chaque œil au lieu de dix, toujours est il que l’ASSE, y z’obtiennent un corner. Le corner il est tiré. Reprise de la tête d’un saint-eugènois ! But ! Ouahou ! Illié ! Illié ! Le bruit, la fureur, la folie qui monte vers nous autres à Notre Dame d’Afrique ! Mes cousins y se tournent vert tonton Léon pour lui demander qui avait marqué. Moi, j’avais une petite idée mais je laisse la parole aux grands comme on me l’a toujours appris.
--« Qué j’en sais avec ses jumelles de malheur. » y répond mon oncle, vert de rage.
Je tente un : « C’est Haig ! ». Bou ! Qu’est ce j’ai pas dis. Tonton Léon que d’habitude comme elle disent toutes les femmes de la famille : « Léon, c’est un pate ! » y rentre dans une rage folle. Les jumelles de la dernière guerre, ça lui va pas à mon oncle. Je rentre dans ma coquille et je dis plus un mot.
Le match y s’étire et l’ASSE elle marque un deuxième but. A peine si j’exprime ma joie des fois que Tonton Léon y pique une nouvelle crise d’apoplexie. Mais, y se tourne vers moi et, narquois, y me dit : « C’est pas Haig qui a marqué par hasard ? ». Et puis, pris par le remord, il ajoute : « je plaisante, mon fils ! »
Comme acte de contrition, on fait pas mieux.
Le lendemain, j’eus la confirmation que j’avais des yeux de lynx parce qu’en première page sportive de l’Echo d’Alger, on voyait HAIG marquer, de la tête, le premier but de l’ASSE.
Mon oncle, il en revient pas encore. Qui c’est le plus fort !
FIN
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