dimanche 27 septembre 2009

* LE DESTIN FABULEUX DE LEON JUDA BEN DURAN "SIEUR DURAND D'ALGER"


EXTRAITS......
Les environs d'EL DJEZAÏR regorgeaient ainsi de ces sources rafraîchissantes qui s'intégraient harmonieusement dans le paysage grâce à une architecture orientale affirmée, enchâssée de mosaïque multicolore. Ces haltes bienfaisantes sur le pas du voyageur fatigué, héritaient d'un complexe fontaine-kouba café-abreuvoir dû à la générosité de riches donateurs dont le nom était immortalisé dans la pierre afin que lui soient adressés, de son vivant, mille et une louanges de la part des visiteurs. A sa mort, le mécène-bienfaiteur reposait à l'intérieur de la "kouba" et son âme rejoignait le paradis d'ALLAH.
Zone de passage obligée entre la ville et la campagne, distantes de quelques lieues, le faubourg BAB AZOUN étirait ses sentiers escarpés où se regroupaient activités nuisibles ou exigeant espace et aération. On y tannait les peaux, on y abattait les bêtes, on y entreposait le charbon de bois, on y trouvait toutes sortes de marchés aux abords des "fondouks", établissements à fonctions multiples, à la fois entrepôt, lieu d'échanges, d'hébergement et de négoce. La calèche s'ébranla en douceur, délaissant les commerces de nuisance pour le quartier noble et les rues couvertes d'EL DJEZAÏR. Elle franchit au pas la porte BAB AZOUN, l'une des six entrées qui reliaient entre elles les fortifications de la ville, sa citadelle, son port et le reste du pays.
David DURAN fit stopper la calèche devant l'échoppe de Jacob SERROR, l'orfèvre du quartier de la "JENINA".
Centre du pouvoir ottoman, résidence du Dey HASSAN PACHA et de tous les souverains qui s'étaient succédés avant lui, le Palais de la "JENINA" s'abritait à l'ombre d'un parc luxuriant, découvrant de mignons pavillons mauresques dévolus aux serviteurs de la Régence, aux activités commerciales et au harem. La maison du Sultan, "Dar el soltan", voisine du "Souk-el-kébir", place où tout se vendait et s’achetait, s’ouvrait sur une grande bâtisse de trois étages de style andalou rafraîchie par un petit jardin, "JENINA" en arabe. Pour accéder à la chambre forte où le Dey amassait le Trésor de la "Course", il fallait montrer patte blanche au garde noir qui veillait au grain dans sa guitoune verte, entrer dans la "skifa" par la lourde porte cloutée, accéder au bureau du Dey dont la vue plongeait sur les deux petites mosquées à l’intérieur de l’enceinte, traverser la grande salle de réunion du "Diwan" sous l’œil d’une cinquantaine de janissaires, garde rapprochée du Régent.
David DURAN s'y rendait parfois, prié par le Dey ou par quelque dignitaire du régime pour traduire textes et ordonnances transmis par les consuls étrangers ou bien, pour effectuer le change des multiples monnaies qui envahissaient le pays.
Le père de Léon Juda jouissait d'une grande considération au sein de la "JENINA". Son érudition, ses six langues parlées et écrites, ses connaissances mathématiques et le prestige associé au nom des DURAN depuis près de quatre siècles, lui valaient mille attentions de son entourage. D'autant qu'il restait l'un des rares banquiers de la Régence à maîtriser le change des innombrables moyens de paiement du pays confrontés aux ducats espagnols, à la lire italienne, à la livre sterling britannique ou au franc français.
Le Régent le savait et, à l'instar de quelques autres négociants israélites et musulmans, il ne pouvait se passer des services du "juif DURAN".............
.......L'échoppe de Jacob SERROR ne différait point des autres boutiques artisanales qui s'alignaient le long de la rue BAB AZOUN. Un escalier de cinquante centimètres invitait le client à demeurer sur le pas de la porte de l'antre minuscule où le vendeur, assis en tailleur, proposait sa marchandise créée devant le passant médusé de tant d'habileté et de savoir-faire.
Coiffées de voûtes à verrières, la rue BAB AZOUN déclinait en son milieu pour l'évacuation des eaux déversées par les commerçants pour rafraîchir cette étuve naturelle où se réalisaient de très nombreuses transactions dans un concert assourdissant de palabres, de cris et de vociférations.
David DURAN commanda à son ami une main de "fatmah" pour protéger son fils du "mauvais oeil" et un sautoir en or fin pour son épouse avant de se rendre au Temple SARFATI afin d'annoncer la naissance de son fils et inviter toute la communauté à la " milah " de Léon Juda BEN DURAN.........

........Abandonnant la voie maritime après les avaries causées au brick de Nathan MIGUERES par le bombardement d'EL DJEZAIR, Léon Juda prit la route côtière, familière à tous les marchands et colporteurs du pays. Sous l'aurore apaisante d'un ciel en feu, la caravane s'ébranla au milieu d'un charivari commun à tous les départs, des cris du maître chamelier aux insultes du meneur de mulets têtus qui refusaient d'avancer, des disputes entre cavaliers et bergers, des hennissements des chevaux qui piaffaient d'impatience sous le harnais aux meuglements des bêtes à cornes, toute la ville résonnait de ce brouhaha.
Depuis son plus jeune âge, Léon Juda aimait les premières lueurs de l'aube, quand le chant des oiseaux troublait le silence assourdissant d'une nuit d'été. Quand le corps engourdi de sommeil s'invitait aux noces d'une brise légère qui véhiculait les parfums de la mer et de la campagne humide avec un lever de soleil tourmenté qui hésitait à sortir de son lit sauvage aux milliers de reflets argentés.. Quand, un verre de "kawah" à la main, les pieds nus sur un sol frais et le regard perdu vers des souvenirs égarés dans les étroites dédales de l'existence, il humait son pays, ses essences de jasmin et de menthe sauvage, d'eucalyptus et d'orangers en fleurs, de figuiers de barbarie et de fleurs d'anis. Quand sa mère, Aïcha, sa grand- mère, la petite mémé, sans un mot et sans un bruit, lui jetaient un cafetan sur ses épaules nues dans un geste protecteur et délicieux pour elles et pour lui.
David DURAN, son père, lui avait appris au-delà des connaissances écrites, le savoir avec un S majuscule. Le savoir- regarder et le savoir-écouter, le savoir-aimer et le savoir-être aimé, le savoir-donner et le savoir-recevoir, réunis en un immense chapelet de petits bonheurs qui cadençaient les sentiments de Léon Juda au rythme de sa vie.
Après une halte au port d'ARZEW pour l'approvisionnement d'une frégate en partance pour GIBRALTAR, Léon Juda longea la route intérieure de la Macta en direction de MASCARA, chargeant son jeune frère Haïm de négocier la vente de plumes d'autruches avec le représentant du Sultan du MAROC.
Ces ornements de turbans et autres tenues d'apparat des sultans, beys, aghas, caïds ou aristocrates civils et militaires du Maghreb attisaient la convoitise de ces dignitaires soucieux de renforcer leur prestige par de magnifiques artifices vestimentaires.
La maison de Chérif MAHI ED DINE, nimbée de cette lumière bleutée si particulière à la chaux blanche qui en recouvrait les murs, se baignait dans un délicat coucher de soleil orangé, offrant l'illusion d'une demeure imaginaire des mille et une nuits que lui décrivaient, jadis, les récits de sa mère et de la petite mémé.
Il souleva l'épais "haïk" brun rayé de blanc, de rouge et de noir qui filtrait l'air frais de cette fin de journée et retenait, au dehors, la chaleur étouffante du soleil à son zénith.
ABD EL KADER étudiait à la lueur bleuâtre d'une lampe à huile dont l'ombre portée donnait, à la pièce, l'apparence d'un bateau ivre.
L'enfant leva son regard bleu vers le protégé de son père.
-"Salam, Léon! Sois le bienvenu dans la maison de MAHI ED DINE!"
--"Shalom, ABD EL! Je bénis, et ALLAH avec moi, la demeure de ton père!"
--"En son absence, je suis chargé de t'accueillir et de t'offrir l'hospitalité!"
Ce cérémonial fit sourire Léon Juda.
--"Le voyageur harassé qui se tient devant toi te remercie et demande à son hôte si le Marabout de la GUETNA sera présent demain à mon réveil ?"
L'enfant referma son livre de prières et invita l'ami de son père à le suivre jusqu'à l' "outak", grande tente recouverte de peaux de bêtes réservée aux visiteurs de marque.
ABD EL KADER et Léon Juda se livrèrent une grande partie de la nuit aux commentaires conjugués et comparés des versets sacrés du CORAN et des commandements de l'ANCIEN TESTAMENT, constatant, dans un dernier bâillement, la similitude de pensée des deux religions.
C'est avec grande déférence que Léon Juda accueillit le père d'ABD EL KADER sous sa tente où trônait le chandelier à sept branches qui ne le quittait jamais depuis sa majorité religieuse. L'entretien se déroula dans une atmosphère de franche complicité oscillant entre la relation amicale et la négociation commerciale.
Devant le sérieux et l'efficacité de son interlocuteur, le seigneur des "hachem" avoua sa satisfaction de voir honorer une parole si difficile à respecter dans ce pays où la prévarication tenait lieu de respiration.
La confortable commission versée par le jeune chef de la Maison DURAN à MAHI ED DINE scella définitivement leur collaboration.........
........L'aube, prétendument salvatrice, lui annonça la déchirure. Sa mère, sa douce, son adorée, sa joie, l'objet de toutes ses pensées, qui ne vivait que pour le bonheur de ses enfants, s'était envolée pour le jardin de l'éternité. Elle avait quitté sa terre, sa maison, ses enfants, sa famille comme elle avait vécu. Sans un bruit, sans une plainte. Sur son visage, le masque de la douleur avait disparu pour restituer l'infinie douceur de sa vie.
Comme tout homme qui perd sa mère, Léon Juda déposa dans sa dernière demeure, ses oripeaux d'adolescence. Il mit en terre l'ultime souvenir de son enfance, son bien le plus précieux, aux pieds de l'Eternel.
La petite mémé, brisée de chagrin, entoura son petit-fils de toute l'attention dont elle était capable, renonçant au chagrin en sa présence, se réservant la nuit pour pleurer en cachette devant l'injustice de voir sa fille la devancer dans le convoi crépusculaire du voyage au pays de nulle part.........

.......La peste avait sévi dans la maison de Léon Juda. Elle poursuivit son oeuvre funeste avec la complicité malheureuse de l'insalubrité manifeste de la ville blanche désertée de ses habitants, calfeutrés à l'intérieur de leurs maisons.
Toutes les couches de la population furent la proie de la noire épidémie qui s'attaqua au matin du septième jour à la plus haute autorité du pays, le Dey ALI KHODJA. Le Régent consulta trois savants ottomans de la cour qu'il fit exécuter devant l'inanité de leurs traitements. Epuisé par trois jours de lutte, il fit dépêcher le juif Ephraïm JAÏS, reconnu comme la plus grande sommité médicale de la communauté israélite.
--" Sa seigneurie est atteinte de la peste, Monseigneur! Cela est mon diagnostic et ne souffre aucune discussion! Je connais le sort que tu as réservé à tes médecins. Ce n'est pas en me livrant à tes bourreaux que je pourrais te soigner!"
ALI KHODJA agita son éventail à plumes d'autruches dont il ne séparait jamais, posa son regard perçant sur le juif et ordonna:
--"Ne me soignes pas! Guéris moi!"
Plus de cinq mille algérois, dont les deux tiers habitant le vieux quartier empruntèrent le convoi de la mort affrété par la peste noire.
Léon juda perdit sa mère et EL DJEZAIR son Dey.........
..........Le Maréchal VALEE n'en tint aucun compte. Au contraire, il demanda à Léon Juda de conseiller la patience à ABD EL KADER.
Le 17 novembre, "Sieur DURAND" parvînt à MEDEAH où se tenait une réunion extraordinaire sous la présidence du Prince des Croyants. La lettre du Gouverneur fût reçue comme un camouflet par une assistance médusée de tant d' assurance. Léon Juda prit alors la parole pour tenter de calmer les esprits surchauffés qui criaient à la "djihad", affirmant avec un certaine inconscience, que la traversée du pays par les Français ressemblait fort à une petite promenade à cheval.
--".....La France est un pays puissant et, vous le savez, son armée est brave et fort instruite des choses de la guerre.......vous succomberez......"
Comme toujours après une assemblée décisive, ABD EL KADER resta seul avec son "oukil". Léon Juda savait que le temps travaillait pour la France. Son armée semblait invincible et tout valait mieux qu'un affrontement suicidaire..
--" Tout cela je le sais, mais les khalifas veulent la guerre, et le pays me traite d'infidèle parce qu'elle n'est pas commencée!"
Puis, sur le ton de la confidence, il ouvrit son coeur à son ami de toujours:
--"Tu avais raison de te méfier d'Omar Ould ROUCH. Il s'appelait, en réalité, Léon ROCHES! C'était un INFIDELE! Un "ROUMI" ! J'ai longtemps hésité entre lui donner la mort et lui accorder ma grâce. Le souvenir de mon père a chassé la colère de mon coeur et je lui ai offert de retrouver les siens!"
Amère victoire de Léon Juda et de Miloud BEN ARRACH qui s'étaient toujours opposés à sa présence auprès de l'Emir.
Après avoir salué son ami musulman, Léon Juda repartit pour ALGER, porteur d'un message au Gouverneur.
--"Salut sur ceux qui suivent le chemin de la vérité. Vos premières et dernières lettres nous sont parvenues. Nous les avons lues et bien comprises. Je vous ai déjà écrit que tous les arabes, depuis OULHASSA jusqu'au KEF sont d'accord pour faire la guerre sainte. J'ai fait ce que j'ai pu pour combattre leur dessein , mais ils ont persisté. Personne ne veut plus la paix, chacun se dispose à la guerre. Il faut que je me range à l'opinion générale pour obéir à notre sainte loi. Je me suis conduit loyalement avec vous et vous ai averti de ce qui se passe. Renvoyez mon Consul qui est à ORAN afin qu'il rentre dans sa famille......."

Ce sera la dernière mission de Léon Juda BEN DURAN
" SIEUR DURAND D'ALGER".