La
demi-journée elle est passée comme un avion à réaction. Malgré mes objections,
ma mère, elle a tenu à faire bruler de l’encens pour enlever le mauvais œil et jeter quelques pièces de monnaie dans les coins du salon pour attirer
l’argent selon une ancienne tradition judéo-arabe.
--Et surtout mon
fils, tu les ramasses pas pendant un mois.
Elle
voulait faire couler du sang de poisson bleu mais j’ai été intransigeant, j’ai
dit Basta !
--Manman, le
salon, y va puer pendant plusieurs jours !
A
qui tu parles ? Bien faire et laisser dire.
Ni
une, ni deux, elle ouvre son cabas, elle en sort un ruban rouge qu’elle attache
après la selle du cheval censé amadouer les petits récalcitrants.
--Le ruban,
c’est pas du sang mais c’est rouge ! Et ça portera chance.
Amman,
avec tous ses tours de passe-passe, si je fais pas fortune, je suis bon à jeter
à la mer.
Il
est midi et les copains y m’invitent à taper l’anisette comme si j’étais un tchitchepoune. Purée, si ma mère elle me
voit avec tous les kilos de la Grande
Brasserie, elle me fait un carnaval carabiné. La khémia, elle m’attire comme un aimant, pareil que le broumitche de mon oncle. Pour les oublades et les tchelbas. Amman, son mélange de pêcheur y puait, c’est rien de le dire. Les boules
puantes, presqu’elles sentent la rose à côté ! Mais, attention, hein, les
poissons y battaient le record du monde pour se le morfaler.
Je
tape la blanche anisette juste pour
faire plaisir aux amis. Quelques
tramousses et vite, je rentre à la maison où ma mère elle va se vexer si je
dévore pas sa salade de poivrons et sa loubia
que, ma parole d’honneur, elle est la meilleure du monde et des alentours. Les
chicaneurs je les entends d’ici.
--C’est ma mère
à moi, la meilleure cuisinière ! Lance un premier babao.
--Tu rigoles,
tch’as déjà goûté la paëlla de ma mère ? Riposte un
deuxième babao.
--Je me marre,
tu as même pas besoin de goûter celle de ma mère, rien que tu la sens, tu grossis ! Se glorifie un
troisième plus babao encore que les
deux autres.
Pour
un enfant, on monte, on descend, la cuisine de la mère c’est toujours la
meilleure du monde. Même si elle est brûlée !
--Alors, mon
fils, tu as bien travaillé ! Et avant que j’aie répondu, elle me tend ma
chaise.
--Assieds-toi,
mon fils ! Tu vas manger et, après, tu te reposeras sur la chaise longue !
Pour
ma mère, j’ai toujours huit ans. Presqu’elle me donne des fortifiants et j’ai
beau lui dire : manman j’ai plus dix
ans, inlassablement, elle me répond :
--Et alors, tu
es plus mon fils parce que tu es grand ! Pour une mère de chez nous, y a
pas d’âge ! Tu seras toujours mon bébé !
--Manman !
--Qu’est-ce tu
veux que je fasse comme ces souèdes qu’elles abandonnent leurs petits pour
aller faire la vie ?
--Allez
calme-toi ! Moi, je veux rien !
--Quand tu auras
une femme, je lui passerais le relais mais, regarde-moi, si elle te rend pas
heureux, je lui arrache les yeux ! Préviens-la, hein !
Elle
est comme ça, ma mère ! Heureusement, je prends tout mon temps pour
trouver chaussure à mon pied parce que ce jour-là, elle va passer
aux rayons X.
--Est-ce qu’elle
est juive ?........ Elle sait faire la cuisine, le ménage, le repassage,
tenir une maison ?........ Sa famille, c’est une famille bien comme il
faut ?......... C’est pas une souède au moins ?
--Manman !
C’est pas demain la veille que je marie ! Tu peux dormir tranquille.
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