Après
le diner, tout le monde, on se retrouve sur la terrasse. Marathon de
rami pour les uns, belote pour les autres, discussions pour certains
et fous-rires pour tous. La jeunesse, elle tape la promenade à la
fraîche, destination Pointe Pescade ou Bains Romains.
Colette
et moi, on tape la chaîne devant le cinéma de Valenza,
l’homme-orchestre des Horizons Bleus. Cafetier le jour et
restaurateur le soir, il organise des après midi dansantes et des
soirées cinématographiques pour le plus grand bonheur des
cabanoniers.
Ce
soir, Clark Gable y va me faire concurrence dans « L’esclave
libre » mais Yvonne de Carlo elle va tellement lui pourrir la
vie que même pas y va remarquer Colette.
La
terrasse de Valenza, elle s’est faite toute belle avec des chaises
partout comme une vraie salle de cinéma sauf que les étoiles elles
brillent au dessus de nos têtes, c’est normal pour un cinéma
plein air elle dirait la Palisse.
Sitôt passé l’entrée, je prends la main de Colette et je pars à
l’assaut des meilleures places, au fond de la salle. Tel Samson
contre les philistins, je fais le vide autour de moi. Cuilà qui
approche, j’lui fais les gros yeux ! Voilà, cà y est. On est
installés au seul endroit mal éclairé mais tant recherché par
tous les gobieux accompagnés d’une fille. Adieu les mains qui
s’égarent dans l’obscurité. Bonjour les baffes, ouais !
Soudain,
y me vient l’angoisse. Et si Ramsès y sort de son sarcophage pour
taper le film aux Horizons Bleus ? Y peut pas rester chez lui,
ce cataplasme ambulant, non ? Mes yeux y se transforment en
gyrophares, mes oreilles elles deviennent radars. Colette elle se
doute de quelque chose alors elle s’inquiète. Obligé, la pauvre !
Le garçon qui la sort partout y regarde sauf dans sa direction.
--«
Je guette le char de Pharaon ! »
Si
je m’étais métamorphosé en girafe, ma petite chinoise, elle
aurait été moins étonnée, raïeben ! Alors, je précise.
--« Pharaon,
c’est Ramsés, ton copain des Groupes Laïques ! »
--«
Pourquoi veux-tu qu’il vienne ? »
--«
Pour rien au monde, je veux qu’y vient. Moins je le vois et mieux,
j’me porte ! »
Colette,
ma parole, l’intelligence, j’vous dis pas ! Ou sinon, elle
veut vraiment marcher avec moi, qu’elle peut plus se passer de moi
et tout et tout.
--« Ramsès,
comme tu l’appelles, il est blond et je préfère les bruns ! »
Aille
sa mère ! Ca qu’elle vient de dire c’est pire qu’une
déclaration d’amour en trois exemplaires signés par le maire des
Horizons Bleus. Y faut dire que ma tignasse qu’elle me mange toute
la figure comme elle dit ma mère quand je veux pas aller chez le
coiffeur, plus noire y’a pas. Plus rousse, plus blonde, plus
chauve, ça se trouve mais plus noire, que nenni !
--«
Comme moi ? » j’enfonce le clou en faisant attention à
pas me taper sur les doigts comme Papa Vals qu’il a fait le
bricoleur avec un marteau et depuis, y peut plus tenir ses cartes
pour taper la belote. Y’en a j’vous jure !
--«
Comme toi ! » elle précise celle que j’épouse demain
matin de bonne heure si elle me le demande. Mais aouah, même si
Ramsés y peut retourner dans son sarcophage ou au kassour,
comme y veut y choise, même si c’est pas une barre que j’ai avec
Colette mais l’obélisque de la Concorde, ch’uis réaliste et
demain le bon dieu y sera grand pace que moi ch’uis encore trop
petit. Pour le moment, le roi c’est plus mon cousin, c’est moi et
moi seul. Pourtant je cogite un maximum pour connaître le moment
propice où je vais tenter de l’embrasser sans que tous les copains
qui me surveillent comme le lait sur le feu quelques fauteuils plus
loin ( je dis fauteuils parce que çà fait mieux total c’est des
vulgaires chaises en bois) y me tapent pas le carnaval en
applaudissant, en criant , en vociférant ou en sifflant comme
dans les tribunes de Saint Eugène quand l’arbitre y refuse un but
à l’A.S.S.E. Gamate
comme
je suis, ch’uis capable de me faire tout petit pareil à l’école
quand le maître y tape l’interrogation orale et que je prie le bon
dieu pour qu’il oublie que je suis dans sa classe. Le lendemain,
obligé de rentrer à Alger tellement rouge de confusion je serais.
Les femmes du quartier elles voudront me faire le soleil et tout et
tout.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire