Des synagogues en nombre insuffisant
Toutefois, sur l’ensemble du territoire, le manque de synagogues est un phénomène constant durant toute la période. Les difficultés financières sont certainement l’obstacle majeur à l’édification de temples assez vastes pour accueillir tous les fidèles. En effet, à la différence de la métropole, aucun budget spécifique n’est prévu pour les synagogues. Les consistoires, de leur côté, redistribuent aux indigents la plus grande partie de leurs recettes, et la location de maisons à des Juifs permet d’obtenir des lieux de prière, en attendant mieux. À cela s’ajoute, à partir des années 1880, le développement de l’antisémitisme, qui pousse les communautés à se replier sur elles-mêmes. L’administration coloniale admet le déficit de lieux de culte, et tend à accepter des procédures héritées de la tradition, qui ont pour effet de conforter la position dominante de certains notables dans la communauté : dons et ouvertures de temples privés. En 1891, Chaloum Lebhar cède au consistoire d’Alger un terrain de 180 mètres carrés à Bal-el-Oued (commune d’Alger), rue de Dijon, pour qu’une synagogue y soit construite.
En échange, il obtient l’inscription de son nom sur la façade et à l’intérieur du temple, ainsi que l’institution de certaines prières à perpétuité en son honneur et en celui de ses proches. Le préfet qui donne l’autorisation de bâtir l’explique par l’urgence de la situation.28 On peut penser, en définitive, que la belle idéologie qui présidait à la rédaction de l’ordonnance du 9 novembre 1845 ne signifie plus grand chose pour l’administration coloniale, à la fin du XIXe siècle.
Les consistoires et les oratoires privés
Cinquante ans après la promulgation de l’ordonnance du 9 novembre 1845, les consistoires contrôlent-ils le budget et régissent-ils le rituel des synagogues de la colonie ?
Les consistoires d’Algérie, dont on a souligné à juste titre qu’ils étaient en décalage avec les réalités et les attentes du judaïsme algérien, ont également fait preuve de prudence et parfois même d’ambiguïté sur le terrain, lorsqu’il s’est agi d’appliquer l’ordonnance de 1845.
Un rapport établi à l’intention du Gouvernement général de l’Algérie en juin 1848 par le Consistoire algérien décrit les premières mesures de cette administration : après avoir dressé la liste des synagogues et établi « un règlement d’ordre et de police pour les temples et assemblées de prière » qui « renfermait les conditions auxquelles les propriétaires pouvaient être autorisés à ouvrir des synagogues », le consistoire décide de différer l’application de l’ordonnance organique pour trois raisons.
La première, c’est que la plupart des synagogues rentrent à peine dans leurs frais ; seul un petit nombre d’entre elles pourrait assurer quelque revenu si elles étaient rattachées au consistoire. Le deuxième motif invoqué est la volonté de ne pas créer de rupture dans l’organisation de la communauté : les rabbins qui officiaient jusque-là sont généralement maintenus, et la gestion des lieux de culte est laissée aux anciens administrateurs. Les membres de la nouvelle institution, qui ont tout de suite perçu l’hostilité des propriétaires de synagogues, ne veulent pas s’aliéner les personnages les plus influents de la population juive algéroise.
Enfin, le consistoire attend la construction d’une nouvelle synagogue à Alger, promise aux Juifs par l’administration coloniale depuis plusieurs années. Il ne souhaite pas faire nommer officiellement par le ministre de la Guerre une pléiade de rabbins et de ministres-officiants qui deviendront inutiles lorsque les lieux de culte traditionnels seront fermés. Cette situation provisoire est appelée à durer : le grand temple consistorial de la place Randon n’est achevé, rappelons-le, qu’en 1865.
Par conséquent, le consistoire, qui dépend à la fois de la bonne volonté du ministère de la Guerre et de la collaboration des propriétaires de synagogues, se trouve enfermé dans un cercle vicieux : tant qu’il ne contrôle pas le budget des temples existants, il ne dispose pas de fonds pour édifier de nouvelles synagogues. La question financière le met en difficulté et le rend incapable de réformer le culte israélite, au moment même où il doit imposer sa légitimité non seulement auprès des Juifs indigènes, mais aussi de l’administration française.
Mais la bataille des synagogues se réduit-elle à une lutte entre les consistoires et les propriétaires d’oratoires ? Alors que les consistoires ont vocation à représenter en Algérie le judaïsme régénéré, la plupart de leurs membres laïques sont originaires d’Afrique du Nord et une partie d’entre eux sont précisément propriétaires des oratoires dont la fermeture est prévue par l’ordonnance de 1845, comme Mardochée Darmon, Abraham Benhaïm ou Jacob Lasry à Oran. Ces notables, chargés, en vertu de leurs fonctions consistoriales, de favoriser la régénération du culte juif, adoptent généralement une position bien différente de celle des rabbins et grands rabbins consistoriaux avec lesquels ils sont censés collaborer. Bien plus, à Oran en particulier, ils utilisent de toute évidence le prestige de la nouvelle institution dont ils sont les représentants pour perpétuer de traditionnelles luttes de clans. C’est ainsi qu’une synagogue achetée par l’ancien membre consistorial Abraham Benhaïm se trouve interdite en 1856 sur dénonciation du nouveau consistoire : le président, Jacob Lasry, règle ainsi ses comptes avec ses ennemis, Abraham Benichou et son allié Benhaïm, qu’il a contraints à quitter cette institution.
A SUIVRE...................
Toutefois, sur l’ensemble du territoire, le manque de synagogues est un phénomène constant durant toute la période. Les difficultés financières sont certainement l’obstacle majeur à l’édification de temples assez vastes pour accueillir tous les fidèles. En effet, à la différence de la métropole, aucun budget spécifique n’est prévu pour les synagogues. Les consistoires, de leur côté, redistribuent aux indigents la plus grande partie de leurs recettes, et la location de maisons à des Juifs permet d’obtenir des lieux de prière, en attendant mieux. À cela s’ajoute, à partir des années 1880, le développement de l’antisémitisme, qui pousse les communautés à se replier sur elles-mêmes. L’administration coloniale admet le déficit de lieux de culte, et tend à accepter des procédures héritées de la tradition, qui ont pour effet de conforter la position dominante de certains notables dans la communauté : dons et ouvertures de temples privés. En 1891, Chaloum Lebhar cède au consistoire d’Alger un terrain de 180 mètres carrés à Bal-el-Oued (commune d’Alger), rue de Dijon, pour qu’une synagogue y soit construite.
En échange, il obtient l’inscription de son nom sur la façade et à l’intérieur du temple, ainsi que l’institution de certaines prières à perpétuité en son honneur et en celui de ses proches. Le préfet qui donne l’autorisation de bâtir l’explique par l’urgence de la situation.28 On peut penser, en définitive, que la belle idéologie qui présidait à la rédaction de l’ordonnance du 9 novembre 1845 ne signifie plus grand chose pour l’administration coloniale, à la fin du XIXe siècle.
Les consistoires et les oratoires privés
Cinquante ans après la promulgation de l’ordonnance du 9 novembre 1845, les consistoires contrôlent-ils le budget et régissent-ils le rituel des synagogues de la colonie ?
Les consistoires d’Algérie, dont on a souligné à juste titre qu’ils étaient en décalage avec les réalités et les attentes du judaïsme algérien, ont également fait preuve de prudence et parfois même d’ambiguïté sur le terrain, lorsqu’il s’est agi d’appliquer l’ordonnance de 1845.
Un rapport établi à l’intention du Gouvernement général de l’Algérie en juin 1848 par le Consistoire algérien décrit les premières mesures de cette administration : après avoir dressé la liste des synagogues et établi « un règlement d’ordre et de police pour les temples et assemblées de prière » qui « renfermait les conditions auxquelles les propriétaires pouvaient être autorisés à ouvrir des synagogues », le consistoire décide de différer l’application de l’ordonnance organique pour trois raisons.
La première, c’est que la plupart des synagogues rentrent à peine dans leurs frais ; seul un petit nombre d’entre elles pourrait assurer quelque revenu si elles étaient rattachées au consistoire. Le deuxième motif invoqué est la volonté de ne pas créer de rupture dans l’organisation de la communauté : les rabbins qui officiaient jusque-là sont généralement maintenus, et la gestion des lieux de culte est laissée aux anciens administrateurs. Les membres de la nouvelle institution, qui ont tout de suite perçu l’hostilité des propriétaires de synagogues, ne veulent pas s’aliéner les personnages les plus influents de la population juive algéroise.
Enfin, le consistoire attend la construction d’une nouvelle synagogue à Alger, promise aux Juifs par l’administration coloniale depuis plusieurs années. Il ne souhaite pas faire nommer officiellement par le ministre de la Guerre une pléiade de rabbins et de ministres-officiants qui deviendront inutiles lorsque les lieux de culte traditionnels seront fermés. Cette situation provisoire est appelée à durer : le grand temple consistorial de la place Randon n’est achevé, rappelons-le, qu’en 1865.
Par conséquent, le consistoire, qui dépend à la fois de la bonne volonté du ministère de la Guerre et de la collaboration des propriétaires de synagogues, se trouve enfermé dans un cercle vicieux : tant qu’il ne contrôle pas le budget des temples existants, il ne dispose pas de fonds pour édifier de nouvelles synagogues. La question financière le met en difficulté et le rend incapable de réformer le culte israélite, au moment même où il doit imposer sa légitimité non seulement auprès des Juifs indigènes, mais aussi de l’administration française.
Mais la bataille des synagogues se réduit-elle à une lutte entre les consistoires et les propriétaires d’oratoires ? Alors que les consistoires ont vocation à représenter en Algérie le judaïsme régénéré, la plupart de leurs membres laïques sont originaires d’Afrique du Nord et une partie d’entre eux sont précisément propriétaires des oratoires dont la fermeture est prévue par l’ordonnance de 1845, comme Mardochée Darmon, Abraham Benhaïm ou Jacob Lasry à Oran. Ces notables, chargés, en vertu de leurs fonctions consistoriales, de favoriser la régénération du culte juif, adoptent généralement une position bien différente de celle des rabbins et grands rabbins consistoriaux avec lesquels ils sont censés collaborer. Bien plus, à Oran en particulier, ils utilisent de toute évidence le prestige de la nouvelle institution dont ils sont les représentants pour perpétuer de traditionnelles luttes de clans. C’est ainsi qu’une synagogue achetée par l’ancien membre consistorial Abraham Benhaïm se trouve interdite en 1856 sur dénonciation du nouveau consistoire : le président, Jacob Lasry, règle ainsi ses comptes avec ses ennemis, Abraham Benichou et son allié Benhaïm, qu’il a contraints à quitter cette institution.
A SUIVRE...................
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