Avec Nicole, on a adopté Toututil mais pour s’isoler, c’est la croix et la bannière. A notre âge, c’est pas trop grave mais déjà, on pense à demain quand l’envie d’aller ensemble au cinéma ou se promener avenue de la Bouzaréah, elle sera là. Nicole, elle voit beaucoup plus loin. Moi, plus prosaïquement (ba ba ba) je pense simplement à profiter du plaisir d’être ensemble. Et ensemble, Toututil ou assis sur un banc, on est des enfants heu-reux.
--J’ai demandé à ma mère de dormir chez mon oncle rue Lestienne.
--Pourquoi ?
--Demain matin je descends au jardin !
Zarmah, elle me prévient. Des fois, je te jure ! On dirait que je suis un babao ! Y faut qu’on m’explique tout tellement je suis parote.
--Ah, d’accord !
Si c’était un autre que moi, je lui jette un verre d’eau à la figure pour le réveiller ! Ca y est j’ai compris ! Demain, on va se voir toute la journée.
--On ira à Pado ?
-- Tu es fou ! Tu crois que mon oncle y va me laisser aller à la plage. Ma tante elle peut pas bouger le petit doigt. Alors, moi, la fille de sa sœur, tu crois qu'il va me laisser aller à Padovani ! Mon oncle, il est jaloux comme un tigre !
La vérité, c'est jaloux un tigre?
-- Tu es fou ! Tu crois que mon oncle y va me laisser aller à la plage. Ma tante elle peut pas bouger le petit doigt. Alors, moi, la fille de sa sœur, tu crois qu'il va me laisser aller à Padovani ! Mon oncle, il est jaloux comme un tigre !
La vérité, c'est jaloux un tigre?
--Mais y parait que c’est le roi des tombeurs à Bab El Oued ?
--Lui, Il a tous les droits ! C’est un homme mais sa femme....
--C’est une femme ! Et tous deux de partir d’un grand éclat de rire.
--Comme elle dit ma mère, demain le bon dieu, il est grand !
Il est huit heures et, pour la première fois, je vais aller à un rendez vous galant. Purée, ma mère elle doit se douter de quelque chose.
--Tu es tombé du lit mon fils. Il est à peine huit heures. Tu es pas malade au moins ?Toujours elle a peur qu’une catastrophe elle lui tombe sur la tête.
--Non, je vais en ville avec les amis !
--Zbarlala? Tu peux pas profiter des vacances, non ! Regarde ton frère, le pauvre. Tu crois pas qu’il aimerait faire la grasse matinée !
C’est de ma faute si mon frère aîné Jacky y travaille ?
Ma mère, toujours elle nous fait la guerre pour qu’on lui débarrasse le plancher de bonne heure pour qu’elle puisse faire le ménage. Parce que, jamais, elle pourrait aller faire les commissions en laissant du désordre dans la maison. La honte, elle lui mangerait trop la figure. Mais, là, je me lève tôt, elle trouve quand même à redire ! Yaré, ma mère ! Je me lave sans trop me mouiller la figure, juste les yeux et les oreilles ! Je me coiffe en sortant la langue. Je m’applique pour me taper une raie bien droite sur le côté gauche et si je me mets pas du Vitapointe, c’est que Paulo, y préfère le cacher pour pas que je lui vide le tube. Les dents, je souris comme un babao devant ma glace pour voir si elles sont blanches mais quand même, je passe du bicarbonate pour les rendre plus propres, des fois que Nicole, elle me tape l’expédition des cordes vocales. Je brille comme un sou neuf quand je sors de la salle de bains, même que ma mère, elle peut pas s’empêcher de se complimenter d’avoir fait de si beaux garçons. Surtout moi ! Nicole, elle va tomber à la renverse quand je vais apparaître dans mon alligator noir. A savoir si elle va pas se trouver mal. Je vais mettre les BNCI blanches même qu’à Bab El Oued, c’est la grande mode. Zarmah, je suis un grand volleyeur. Sara, sara, je me regarde dans la glace de la salle à manger pour constater que ma mère elle a raison: je suis vraiment le plus beau du monde et des alentours. Ma mère, avec son sixième sens commun à toutes les mamans d’Algérie (Les autres, de Patosie ou du Nicaragua, la vérité, je connais pas !) elle semble se douter que, si son fils y se déguise comme ça, c’est pas pour Bouzouz, Bozambo ou Mani. Seulement, l’anguille sous roche, elle cherche, elle trouve pas. La pauvre, elle sait pas que son fils, c’est devenu l’amoureux transi du quartier.
--Quoi, vous savez pas c’qui est arrivé au petit du 4 rue Koechlin ?
--Quel petit ?
--Le grand ! Celui qui est si beau, si musclé et si intelligent ! (Tant qu’y a d’la gêne, y a pas d’plaisir !)
--Et bien ?
--Il est amoureux transi !
--De qui ?
--De la petite italienne du jardin Guillemin.
--Il a bon goût ce salopris ! Quel beau couple ! Et elle aussi, elle est transie ?
--Tu parles ! Il est tellement joli garçon ! (Je rajoute une couche des fois que la lectrice elle comprend pas ou qu’elle est truch).
Au moment de partir, je jette un dernier regard à la glace de la salle de bain, je remets de l’eau de Cologne à ma mère. Je dois puer ! Je descends tout doucement de peur de me décoiffer alors qu’habituellement, je dévale les escaliers quatre à quatre. Et dire que les fils à pèpe, y se comportent tout le temps comme ça ! Moi, j’en suis qu’au deuxième étage et déjà, j’ai des crampes de faire attention à tout. Ma concierge, elle me lance un drôle de regard. On dirait qu’elle a vu un martien. A mon avis, elle va monter voir ma mère pour lui demander qui c’est ce petit qui ressemble à son fils mais qui a un comportement inquiétant.
--C’est votre fils !
--Oui madame Sitbon ! Mais le pauvre, il est amoureux transi !
--Ah bon, maintenant, je comprends. Y commence jeune, hein ?
--Je sais pas de qui y tire celui là !
Les amis, si y me voient, y font que rigoler. Bien faire et laisser dire, je deviens philosophe. Les philosophes, y sont tellement intelligents qu’ils sont tous siphonnés de la carafe. Y voient des choses que les gens même pas y pensent mais qu’au fond, mais alors vraiment au tréfond d’eux mêmes, en creusant bien, y voudraient dire. Allez va à fangoule, va ! Putain, je pue ! On dirait Gina Lollobrigida avec les tétés en moins ! Je suis tiré à quatre épingles et y faut pas que réfléchisse trop sans ça, je prend mes jambes à mon cou, je me change en voyou, je me roule parterre pour reprendre des couleurs et surtout pour plus sentir la gonzesse. Mais aouah, je suis une gonzesse, une gamate, un falso mais j’ai une excuse, être amoureux transi, ça rend babao. Nicole, pourvu qu’elle me tape pas un lapin. Ma parole, je tombe raide mort ! Alors, tout ça j’ai fait pour rien. Seul au jardin, je dois ressembler à un couillon de la lune (celui qui a inventé cette expression, à mon avis, c’était aussi un amoureux transi parce que si quelqu’un y peut m’expliquer le sens profond de couillon de la lune, je suis preneur) Nicole, peut être qu’elle me préfère avec les genoux sales, les cheveux qui me mangent la figure et la chemise toute débraillée. Aouah, je rêve. A chaque rendez vous, y va falloir que je me parfume, que je me mette de la gomina et peut être de la brillantine Roja net comme Capo quand y croit être Elvis. Nicole, elle traverse le jardin Guillemin pour venir vers moi. Elle a mis une jupe et un chemisier à rayure bleue et rose. Elle est naturelle et décontractée contrairement à moi qui semble avoir avalé un balai. Elle me sourit et tout redevient facile.
--Comme tch’es beau !
La seule chose à pas dire, elle le dit. Ca veut dire qu’elle me préfère sur mon 31 que sur mon 21. Marque dommage ! Le jardin, il est à nous tout seuls ! Le manège, il est fermé, le marchand d’oubli, il est aux oubliettes et le gardien y garde les chèvres.
--Comme tch’es beau !
La seule chose à pas dire, elle le dit. Ca veut dire qu’elle me préfère sur mon 31 que sur mon 21. Marque dommage ! Le jardin, il est à nous tout seuls ! Le manège, il est fermé, le marchand d’oubli, il est aux oubliettes et le gardien y garde les chèvres.
--Tu peux sortir du quartier ?
Elle me regarde comme si j’étais un autre.
Elle me regarde comme si j’étais un autre.
--Oui, pourquoi ?
A savoir ce qu’elle s’est imaginé !
--Pour aller se balader boulevard front de mer jusqu’au stade Cerdan.
Elle a l’air soulagée ! On commence la promenade sans témoin, seulement la mer qui nous regarde droit dans les yeux. Je lui prend la main. On a l’impression d’être grands surtout que de temps en temps, je l’embrasse comme si on était seuls au monde. Il est vrai que l’avenue Malakoff elle est plus fréquentée que le bord de mer qui reste désert. Les cheveux bien coiffés, les dents blanches, l’eau de Cologne, l’allure d’une tapette d’accord mais, la vérité, ça en vaut la peine. Surtout que je me passe la main dans les cheveux pour me décoiffer. Nicole, elle a l’air d’être aux anges. Moi aussi ! Appuyés au parapet face à la mer, on dit plus rien. On regarde le paysage qui s’envole vers Notre Dame d’Afrique. Les oiseaux de mer, y nous tapent la sérénade à Magali et nous, on joue à Paul et Virginie. Nicole elle brise le silence.
--Quand on sera grands, je me rappellerais toujours de cette promenade près du bain des chevaux !
Les filles, elles sont plus romantiques que les garçons mais nous, zarmah, on est des durs, des James Cagney à la petite semaine, des Humphrey Bogart de pacotille. Total, si une fille elle nous sourit, on devient tous des amoureux transis. Et si on était pas des gamates, on serait tous des Tyrone Power, je t’aime et compagnie. Au lieu de ça, pour nous tirer un mot gentil de la bouche, y faut avoir tué son père et sa mère. A Nicole, je lui fais pas de grandes déclarations en chantant à la Luis Mariano mais elle sait que, elle et moi, on a fait tilt. Je peux parler pour rien dire pendant des heures comme les femmes du jardin Guillemin mais, à mon âge, qui c’est le garçon qui joue pas le bel indifférent même quand il est vilain? On est deux bouznikas que la vie elle a pris par la main pour les emmener au bout d’une route qu’on sait même pas où c’est le terminus. Elle me mange des yeux et moi je joue le bel indifférent mais aouah, c’est pas une parota, elle doit bien se rendre compte que je feinte, je biaise, je tape zbérote pour taire mes sentiments. Zarmah, je suis James Cagney total quand je l’ai embrassée pour la première fois, mes jambes elles jouaient des castagnettes comme Carmen Sevilla. On rentre au stade Marcel Cerdan. C’est pas très romantique mais au moins là, on va s’en donner à bouche que veux tu. Après mille et un baisers, on est rentrés par le boulevard Front de mer, le nez dans le vent et la tête dans les étoiles. On retrouve les amis assis sur un banc, sages comme des images.
A SUIVRE......
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire