jeudi 17 mars 2011

SQUARE GUILLEMIN - 8 - de hubert zakine

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Nicole, je sais pas mais ça m’étonnerait qu’elle fréquente Stendahl. Comme toutes les filles du quartier, elle préfère lire « Jeunesse Cinéma » et jouer à la marelle ! A moins que ce soit une fille à faire du chiqué mais je crois pas. Sinon, elle se serait pas intéressée à mon regard de velours.

Mon regard de laouère, oui ! Nicole elle est en train de me taper un de ces lapins ! (Un lapin, n’importe quoi! Quelqu’un peut me dire le pourquoi et comment elle est née, cette expression ! Taper un lapin ! Pourquoi pas un hippopotame ou un marsupilami ?)


 Je suis comme sœur Anne, je vois rien venir. Et surtout pas ma petite blondinette. Remarque, elle habite rue des Consuls au quartier de la marine, alors il lui faut le temps d’arriver au jardin Guillemin. Tain d’impatience, dé. Mani guette du coin de l’œil sa petite brunette. Mais comme Nicole, elle joue avec notre impatience comme des smata. « Attends moi, j’viens pas ! », ça doit être leur leitmotiv. Voilà qu’je parle russe maintenant ! En plus, cette odeur de vanille qui sort de la bonbonnière, ça nous donne un de ces goustos !

Aille sa mère, voila ma petite blondinette avec sa sœur, son petit frère, sa mère et des femmes qui rient, des enfants qui gesticulent et des vieilles qui parlent en Italien. Purée, dès qu’elle me voit, elle me tape un sourire, l’air de dire : « toute la journée, j’ai attendu ce moment ». Je suis tout chlagadof (Chof, je parle russe) Chlagadof ça veut dire chlagada ! A savoir, si c’est du russe ou du martien !

Y a pas à dire hein, les filles ça rend vraiment cucu la praline. Et les copains y meurent de jalousie. « Pain, Amour et Jalousie » c’est au square Guillemin qui se déroule. Vittorio De Sica et Gina Lollobrigida au secours ! Les copains, c’est à celui qui me mettra les plus gros yeux. Et grâce à D.ieu, les yeux balala, c’est pas ce qui manque dans le quartier ! Ma parole, s’ils pouvaient me défier aux tchap’s, à la belote ou aux billes, y le feraient pour me voler ma petite blondinette Pendant que je me fais du cinéma, Nicole, elle me dévore des yeux. C’est bon de rêver surtout quand on a douze ans ! Tous les copains essayent de la dégoûter de moi en me dénigrant. Zarmah, je suis un badjok sans vergogne, je lève d’autres filles dès qu’elle a le dos tourné, je suis un profiteur parce que Capo me paye le cinéma, enfin tous les moyens sont bons pour qu’elle se détourne de moi. Mais, à savoir ce qu’elle me trouve, y a rien à faire, elle me mange dans la main. Comme moi aussi, je lui mange dans la main, à tous les deux, on risque une bonne indigestion. Ma petite blondinette, toujours elle veut rester au jardin alors que moi, je voudrais être sur une île déserte avec elle. Remarque, je suis pas du genre à lui conter fleurette ! Bardah, on est trop petits. Mais, la vérité, sa mère chaque fois que son regard y croise le mien, j’oublie que c’est un canus et j’ai la hantise qu’elle me fasse les gros yeux.
--Attention, ma fille hein ! C’est une fille bien comme y faut ! C’est la petite chérie à son père et si y te voit, y te tue. Alors, mieux y te voit pas.
Je me vois lui répondre
--Mais m’sieu, votre fille moi aussi c’est ma mazozé ! Mazozé ça veut dire préféré en judéo-arabe ! Oui, m’sieu ! J’suis juif mais j’ai le temps pour que ma mère elle lui dise « akobin la marror »

Aouah, mieux je me tais parce que son père y va rien comprendre à mon langage fleuri à la mode de Constantinople. Sa mère, elle me fait pas les gros yeux. Elle est trop occupée à discuter avec les unes, avec les autres, avec Pasquale de la bonbonnière, avec son frère Gaétan qui drague tout ce qui bouge et même ce qui bouge pas, avec une vieille dame qui enguirlande en italien le petit frère de Nicole, enfin, sa mère, elle est trop occupée pour nous surveiller. Mais impossible de s’isoler pour se dire des mots doux avec tous ces cataplasmes ambulants qui se collent à nous. Des mots bleus, des mots de toutes les couleurs, des mots qu’on connaît que de vue parce qu’on les a entendus au cinéma et que zarmah, on a l’habitude de les employer. Des mots à lire dans Confidences ou Nous Deux mais qui m’ouvriraient tout droit les portes de Roubi, l’asile de fous d’Alger. Alors, mieux je me contente de laisser opérer mon charme oriental et de faire des jaloux auprès des bouliloutch du jardin. Et des bouliloutch au square Guillemin, c’est pas ce qui manque, hein ! D’abord, à tout seigneur tout honneur, un grand gigot surnommé Toutoune qui se mesure à des petits de cinq ou six ans alors qu’il a déjà les jambes toutes poilues, un gentil garçon qui a les yeux qui se croisent les bras et qui se prend pour James Dean, Simplet, un autre copain qui court aussi vite que son esprit est lent, ce qui fait le désespoir de ses parents, Fildefer, aussi maigre qu’il est bon footballeur, King Kong, Courgette, Négro, Cacahuète, Bornouna et tant d’autres qui ont hérité ces surnoms momentanés ou définitifs. Mais tous ces bovos je peux les vilipender (ouaou, ce mot) parce que, je sais qu’à la moindre occasion, y manqueront pas de  se venger!

A SUIVRE LE CHAPITRE 9.........

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