jeudi 23 décembre 2010

LUCIEN JASSERON, LE "GRAND" DU R.U.A.

C'est Lucien JASSERON qui, succédant à Roger COUARD, va maintenant parler du RUA, de lui même, c'est à dire de son itinéraire d'enfant, d'homme et de sportif de classe internationale. Ce qu'il n'écrit pas, par pudeur et modestie, c'est que si sa carrière internationale, perturbée par les années de guerre, a été plus brève que sa classe ne le laissait prévoir, sa carrière d'entraîneur fut extrêmement brillante : au moins deux Coupes de France gagnées avec LE HAVRE, alors en 2ème Division, exploit jamais renouvellé depuis, avec LYON, accessions du Havre et de Bastia qu'il entraînait, de la deuxième à la première division.

Roger COUARD, Raymond COUARD, Lucien JASSERON, Paul BARNIER, Louis CUBILIER, on se sent tout petit même si l'on a partagé les mêmes vestiaires, les mêmes victoires, les mêmes défaites. Bien sur il y a eu d'autres ruaistes internationaux, BEN BOUALI, MIHOUBI, Jean-Claude SAMUEL, Jean BAEZA,
d'autre ruaistes de " grand format" PATAA, DUMAS etc... mais aucun ne m'a laissé un tel sentiment d'admiration que ces grands anciens.

Mais laissons la plume à Lucien JASSERON.

"Louis LAURENS a épousé ma mère, veuve, alors que j'étais tout enfant. Il était médecin de colonisation en Algérie. Je l'ai toujours considéré comme mon père. Je l'aimais et je l'admirais.
Sa fonction nous fit connaître quelques coins d'Algérie.
Dix ans à Batna et un an à Gounod dans le département de Constantine, un an à Aumale et de nombreuses années à Ain Bessem dans le département d'Alger.
Mon père était un homme universel. A quarante ans il passa, pour le plaisir, une licence de lettres. Il mourut pour avoir soigné tout un douar où s'était déclarée une épidémie de typhus.
Nous étions des colonialistes !

C'est sur ses conseils et grâce aux instituteurs de l'école communale de Batna que je fis connaissance avec
le sport.
Au cours d'un tournoi de tennis à Ain Bessem je liais connaissance avec Marcel LUCCHINI, ailier gauche du RUA et étudiant en médecine.
Un peu plus tard, il me présenta à son entraîneur, Maurice COTTENET. Tout à fait par hasard, je commençais une carrière de défenseur. Jusqu'alors j'avais toujours joué avant-centre.
A presque dix-huit ans je ne savais pas encore que le RUA, l'esprit du RUA et le football feraient partie de toute ma vie.
Je fis mes classes en équipe première. Dieu sait si j'avais à apprendre ! Les dirigeants me firent confiance, mes partenaires firent le reste.
Les dirigeants de cette époque : le Président Louis MILLOT, doyen de la Faculté de Droit (auquel succéda rapidement le Docteur BADAROUX), PERRIAU, BALAZARD, BIRABENT, FAUGERE dit "Bobette" qui s'occupait plus spécialement du journal "Le RUA", auquel collaborait épisodiquement Albert CAMUS.

Les joueurs, mes partenaires, COTTENET dans les buts, puis CUBILIER. En défense avec moi, Raymond COUARD, dit "La Mosquée" dont la présence était sécurisante. Une ligne de demis digne des plus grands clubs : PATAA, DUMAS, TAZAIRT. Une ligne d'avants efficace : BRANCA, MARIE, Roger COUARD, RAMAGE, LUCCHINI. Roger COUARD en était le leader incontesté : classe éblouissante et buteur.
La section football comptait de nombreuses autres équipes. Nous nous connaissions tous. Club omnisports, le RUA avait de nombreuses autres sections sportives qui vivaient en symbiose avec nous.
Cela donnait un club extraordinaire par sa réputation, son rayonnement et surtout son état d'esprit : confiance mutuelle, soutien moral en toutes circonstances, bonne humeur, joie de vivre et amitié. Jamais, ailleurs, je n'ai rencontré un tel esprit. Ailleurs l'état d'esprit était bon mais ce n'était pas le RUA.
Ailleurs ce fut le HAVRE ATHLETIQUE CLUB, où j'ai joué de 1936 à 1939, et où Roger COUARD vint me rejoindre en 1938.
Hélas, en septembre 1939, un nommé HITLER nous a ravi les plus belles années de notre vie sportive.
Après la "drôle de guerre" et la déroute de 1940, je me fis démobiliser en Algérie, pour rejoindre ma famille et aussi échapper au S.T.O.
Je revins donc au RUA de 1941 à 1942.

Après le débarquement de l'armée des U.S.A. en Afrique du Nord, l'armée GIRAUD remobilisa tous
les "pieds noirs" de 18 à 60 ans.
Me revoila de nouveau militaire. J'étais jeune marié et ma première fille venait de naître.
J'eus plus de chance que de nombreux "pieds noirs" qui restèrent sur les champs de bataille de Tunisie et d'Europe.
Mais de vingt à trente ans, y compris mon service militaire, j'ai donné à la France, en trois fois, plus de cinq ans de ma vie.

Revenu au RUA après un bref séjour au R.C. PARIS, en 1944/45, je devins entraîneur après avoir suivi un stage et passé l'examen final.
Je connus alors des générations de ruaïstes, beaucoup plus jeunes que moi et que j'ai, sans doute, marqués
par la rigueur que je voulais donner à leur éducation sportive. Qu'ils me pardonnent mon intransigeance !

Le Docteur BADAROUX était toujours à la tête du RUA. Nul ruaïste ne l'oubliera. Il était secondé par Monsieur DUHEM, Félix POIZAT, René PLASSARD et René ROSELLO. Avec eux je me suis identifié au RUA. Cela dura de 1945 à 1953. Minimes, cadets, juniors défilèrent dans notre club et devenus seniors, ils avaient l'âme ruaïste.

A partir de 1946, la F.F.F. me demanda de servir de cadre dans les stages d'entraîneur qu'elle organisait.
C'est ainsi que je connus Gabriel HANOT, journaliste à 1"'EQUIPE", esprit didactique et humaniste.
Cet homme, qui a formé des générations d'entraîneurs français et étrangers, connaissait le football sur le bout des doigts. Tous ceux qui l'ont connu le gardent dans leur mémoire, sans oublier qu'il fut le créateur des Coupes d'Europe de football.

Dans les stages de football de la F.F.F. j'ai toujours appris quelque chose. J'y retrouvais beaucoup de camarades entraîneurs et un ami qui m'est cher, Georges BOULOGNE. Il a marqué son passage à la Direction Technique Nationale de façon indélébile.
En 1953 sur un quiproquo, je partis du RUA. Pendant deux saisons j'ai entraîné l'A.S. BOUFARIK et pendant une saison le F.C. BLIDA.
Les événements d'Algérie me ramenèrent en France où l'on se souciait de l'Algérie et des pieds noirs comme d'une guigne.

Gabriel HANOT me fit engager par le HAVRE ATHLETIQUE CLUB. J'y passais 6 saisons. Ensuite
j'entrainais l'OLYMPIQUE LYONNAIS pendant 4 ans et enfin le S.C.E. BASTIA pendant 3 ans.
Après ces années où j'obtins quelques succès comme entraîneur, j'étais plutôt déçu par les dirigeants de
clubs du football français.
Je signais alors un contrat avec le Ministre français de la Coopération en Afrique. Je devins " conseiller sportif et pédagogique itinérant".
J'ai résidé neuf ans à Bamako au Mali. Parcourant toute l'Afrique d'expression française et toujours accueilli avec beaucoup d'hospitalité, j'ai de bons souvenirs de cette attachante et malheureuse Afrique, qui, depuis la décolonisation, ne connait pas toujours le bonheur. C'est le moins qu'on puisse dire.
Les footballeurs africains sont doués. Mais le goût de la formation et de l'organisation n'est pas le point fort des gens qui dirigent le football là-bas.

J'ai pris ma retraite en 1978, à soixante six ans, car on m'avait demandé de rester un an de plus.
Depuis j'essaie de me rendre utile au football. Il m'a tant donné que je lui dois bien un peu de mon temps.
Je participe aux travaux de la commission technique et de la commission de discipline de la ligue Rhône-Alpes de football.
J'ai aussi un jardin, tout petit. Comme "Candide", j'y cultive quelques mètres carrés.
Je pense toujours au RUA et aux Ruaïstes. Je leur dis merci de toute mon âme. Ils m'ont enseigné beaucoup de choses précieuses. Ils m'ont permis de vivre des périodes sportives captivantes et enrichissantes.

Périodes pleines d'ineffaçables souvenirs. Quand j'ai le bonheur de les rencontrer, mon coeur fond de joie et de reconnaissance.

Lucien JASSERON

Villeurbanne - Mars 1990

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