L’année 1960 elle
est morte. Et tout de suite, je passe au putsch des généraux en Avril 61.
Salan, Challe, Jouhaud et Zeller y croient en la parle donnée. Et en la parole
d’honneur ! La ville elle en rougit de plaisir. La grande Zohra, elle l’a
dans l’os. Un deuxième 13 mai au forum et nous autres, on croit dur comme fer
que la France elle s’est réveillée. Tu parles ! La France, elle préfère
taper la sieste. L’armée, elle s’est dégonflée comme une baudruche. C’est la
fin des cacahuètes. La Bérézina, c’est pas en Russie, c’est en France. Mon
oncle qui savait tout avant tout le monde, y va de son speech.
--Les enfants, il faut se préparer à partir.
Et après nous le déluge car, la France, elle est foutue. En Algérie mais
ensuite, en métropole. Les pathos, ils vont le payer cher, c’est moi qui vous
le dis.
Raïbah, ma mère,
presqu’elle prépare les valises. Jacky il essaie de la rassurer mais le cœur
n’y est plus.
La vérité, si la
grande Zohra elle nous tape une olive maousse, pour moi, la France c’est
r’lass. Je serai plus qu’un français de culture, un français non pratiquant. Ya
encore trois ans, il criait Algérie Française à Mostaganem.
Déjà, trois de
mes amis, ils partent à Paris. Je suis orphelin d’amitié. L’été, même pas on va
au cabanon. Rien qu’on débat sur la destination que la famille elle doit
prendre.
--Nadine, elle a un hôtel à Paris !
--Vivre à Paris ou en Sibérie, c’est blanc
bonnet et bonnet blanc.
--Autant mourir tout de suite !
--Et Israël ?
--On parle pas un mot d’hébreu !
--Eh bien, on apprend
--Oui, pour vous c’est facile vous êtes
jeunes mais pour nous ?
-- Quand ce sera le moment, on verra bien et si on doit partir, on redeviendra des
juifs errants !
Ma tante, elle s’emporte.
--Hou, tia pas un autre destin à nous
proposer ?
Ma mère,
elle voit pas plus loin que Roch Hachana
et Yom Kippour. Nous, à Alger, on est français alors on parle français, on fait
pas Yom Kippour mais Grand Pardon.
Français larzèze. Si l’Algérie française elle existe plus, la France sans
l’Algérie, j’en veux pas ! Paris, c’est pas mon pays. Alors, Jacky, pourquoi
on part pas en Israël ?
--Raouède et
radaouèd !
Et pourtant, ma
mère elle parle l’arabe, mais l’école de Jules Ferry, elle nous a obligé à
parler le français. Bien que le langage de la rue soit teinté de pataouète, les
pieds noirs qu’ils soient descendants d’Italiens, d’espagnols, de juifs ou d’ailleurs, y parlent
exclusivement la langue de Molière. C’est dire l’attachement de nos ancêtres à
la France lorsqu’elle était grande, belle et généreuse. Aujourd’hui, elle est
rétrécie, laide et mesquine. Ca y est, je re-philosophe !
Si les adultes y
font des projets de départ, nous, les jeunes on vit au jour le jour. Entre le
football, la plage et les filles, on a de quoi faire. Mon club, l’ASSE, il
devient champion de France amateur groupe Algérie sans savoir que l’année 62,
elle se terminera en eau de boudin. Ma copine, son père, il nous met des bâtons
dans les roues à cause des enlèvements (la vérité, la langue française, quelles
roues et quels bâtons !) Toujours est-il qu’on a de plus en plus de
difficultés pour se voir. Trois de mes meilleurs amis à Paris, ma copine aux
abonnés absents, Paulo qui part à l’armée, qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu
pour mériter ça ? Je parle comme ma mère, la pauvre.
L’été 61, y nous
fait tout oublier même si mes amis y sont plus là. Plus de cabanon, plus de
fiesta bohémienne aux Horizons bleus, on se contente de Padovani, Pointe
Pescade ou Bains Romains. Ma copine, elle a disparu, à savoir où elle
est ? J’ai pas le cœur à draguer une autre fille. Les copains (vous
remarquez que je parle plus d’amis mais de copains) y se moquent de moi. Ma
mère, même pas elle remarque mon désoeuvrement (bababa, ce mot), elle est trop
occupée à penser au rapatriement et à toutes ses conséquences. C’est que ma
tante, la parisienne, elle lui a dressé un portrait de Paris à se taper la tête
contre les murs.
--Les parisiens, rien qu’ils courent. Ils ont
des têtes d’enterrement, leurs portes elles restent toujours fermées, c’est un
monde de constipés, etc….etc….
Alors, obligé,
elle se pose trente six mille questions. Mais, oh, on est pas encore partis. A
savoir si la grande Zohra elle va pas casser sa pipe cette année. Putain de z’yeux
que je lui mets !
Quand je regarde
Bab El Oued se pavaner avenue de la bouzaréah, je me dis que plus insouciant
que les enfants du faubourg, ça existe pas. Ils se bidonnent comme si le Fln n’existe
pas, que De Gaulle, jamais il a été rappelé en mai 58, que les petits
bourricots du square Bresson y continuent à faire la ronde pour le plaisir des
enfants, que ma mère elle chante dans sa cuisine, que…….que…..
Seulement, ma
mère, l’insouciance, elle connait pas.
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