MA MERE, LA PAUVRE……….
Chez moi, c’était la maison du bon dieu. Du bon
dieu et de ma mère ! Ma mère la pauvre ! La pauvre ou raïbah dans le
langage judéo-arabe de ma mère et de toutes les femmes de la famille.
Elle était pas du genre à s’arracher la figure
mais presque. Y faut dire que la vie
elle l’avait pas gâtée. Veuve à 36 ans avec trois chitanes en bas âge !
Alors, obligé, elle a été mon père et ma mère.
Ma mere la pauvre !
Chez moi, c’était pas grand mais vous allez pas
me faire dire ce que je veux pas dire, c’était quand même pas mesquinette.
Trois pièces, cuisine, salle de bain avec douche s’il vous plait, un grand
couloir et un balcon. Purée, j’ai trouvé ma voie, agent immobilier, je serai
quand je serai grand !
A Bab El Oued, c’était pas tous les
appartements qui avaient une salle de bain avec la douche et tout ! Chez
moi, la douche, elle servait à rien parce que, ma mère, la pauvre, chaque sou,
c’étai un sou. Alors, macache, la douche quand on a la mer méditerranée qui
était en bas la maison. Et ouais, il faut pas exagérer, quand même. Ma mère, la
pauvre, elle s’escrimait pour qu’on mange à notre faim tous les trois (à ouais,
elle avait trois morfals à la maison) alors, le gaspillage très peu pour nous.
C’était pas les deux orphelines mais on en étaient pas loin.
Ouais, alors où j’en étais ? Un autre que
moi, il aurait écrit « où en étais-je ? ». Zarmah, je suis un
écrivain genre Voltaire et Rousseau. Total, même pas je sais qui c’est ces deux
zigotos dont il parle Serge Reggiani dans ses chansons ! Qué, où en
étais-je ? Aouah, c’est pas mon genre de faire zbérote, cinéma en relief
et tutti quanti ! En plus, c’est plus facile d’écrire comme je parle sans
faire des tournures de phrases qu’après je sais plus si je dois tourner à
droite ou à gauche, allez va, laissez-moi mon libre arbitre ( là, je joue à çuila qui parle comme une tapette).
Chez
moi, bon dieu ou pas bon dieu, c’était à Bab El Oued, juste à la
frontière de l’esplanade et du jardin guillemin, là où elle commence l’avenue
de la Bouzaréah. Cette avenue d’la Bouzaréah, combien de fois , j’ai tapé
l’andar et venir jusqu’aux trois horloges, amman ! Ma mère la pauvre, rien
qu’elle allait chez sa sœur, tata Nadine qu’elle habitait au 2 rue Suffren,
juste en tournant l’avenue de la Bouzaréah. Elle allait aussi chez ses autres sœurs
dans la casbah, rue Marengo où c’est là qu’elle est née. Le 31 rue Marengo, c’était
un p’tit appartement où s’entassaient six frères et sœurs, plus mon grand père
et ma grand-mère, j’vous dis pas la dose d’amour qui voyageait dans ce petit
trois pièces. Pour se laver, yavait le bain maure de la rue Boulabah. TROIS
FOIS PAR SEMAINE. Et pourtant, mes tantes et mes oncles y brillaient comme un
sou neuf.
Et dire qu’on se plaint, c’est la modernité !
J't'en foutrais de la modernité avec un grand coup de pied où je pense !
Allez, mieux je parle de ma mère la pauvre et
de son histoire.
C’est que ma mère la pauvre, elle avait trois
sœurs et deux frères (5 dans vos yeux !) et ils étaient comme les doigts
de la main, cul et chemise ya pas mieux. Pas une fois et même, pas la moitié
d’une fois, je les ai vus se disputer.
Ils s’entendaient comme loirons en foire (ces expressions, la purée !).
Jamais, un mot plus haut que l’autre, toujours à se faire des bosses de
rigolade, à nous engueuler parce qu’on se mettait en nage, enfin, en un mot comme
en 124000, les réunions de famille et la morosité, c’était antinomique.
Purée, ces réunions de famille, dé ! Ma
mère la pauvre, même si l’argent on en avait pas bezef, bessif, elle voulait
recevoir. Et, nous autres, ses fils, alors que d’habitude, chitanes comme des
voyous, dès qu’on avait un moment, on descendait en bas la rue, on restait à la
maison tellement on aimait ces rassemblements qui se renouvelaient chaque
semaine. Avec la chiée de cousins que j’avais, on tapait des matches de foot
dans notre couloir pendant que les hommes y tapaient la belote ou la ronda en
écoutant Georges Briquet qui commentait le tour de France dans le transistor alors
que les femmes, elles se rappelaient leurs souvenirs de leur casbah
judéo-arabe. Ou alors, elles disaient du mal de leurs maris ! Ou mieux,
elles parlaient cuisine. Alors, rien qu’on les écoutait et la bave elle nous
sortait par les yeux. Parce que, attention, ma mère et ses sœurs, c’étaient les
reines de la cuisine judéo-italo-espagno-arabo-martienne. Tout, elles savaient
faire avec leurs mains et sans appareil ménager que s’ils existaient, y avait
que les richards qui pouvaient se les payer. Les Richard, les Paulo, les Jacky……je
pourrais citer tous le dictionnaire des prénoms mais j’ai pitié des lecteurs …...
Comme je suis chauvin, ma mère la pauvre, c’était
elle qu’elle était la plus forte ! Ma parole si je mens que le bon dieu y
me crève les oreilles parce que s’il me crève les yeux, plus rien, je vois !
Chez moi, comme on était loin d’être de la
famille des Rothschild, les ortolans, même pas on savait ce que c’était. Nous autres,
on préférait la loubia. C’était un plat de haricots rouges que certaines mauvaises
langues appelaient potage symphonique. Et sans viande parce qu’elle était trop
chère pour le porte-monnaie désargenté de ma mère la pauvre. Mais, pour nous,
la cuisine de ma mère, y avait pas mieux. Un véritable jardin des délices. Elle
aurait pu être décoratrice, ma mère parce que ses plats, ma parole, ils auraient pu être exposés au Louvre à coté
de la Joconde. Avec trois fois rien et même avec deux fois rien, le repas de
gala y nous accueillait tous les jours.
C’est comme le ménage, nous comme on était les
bebesso à notre mère,on tentait de la soulager. On, et quand je dis on, total je
devrais dire je parce que j’étais le chaouch de mes frères ainé et cadet, on lui
faisait les commissions, on rangeait nos affaires dans les tiroirs du
garde-robe (ce garde-robe, raïeb, il avait honte tellement on rangeait le linge
à la mords-moi le nœud !), on refaisait le lit et tout contents, on attendait
le jugement de ma mère qui nous lançait un regard magnanime, et, en deux temps,
trois mouvements, nos lits y reprenaient visage humain.
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