jeudi 4 avril 2019

extrait de MA MERE LA PAUVRE que j'écris actuellement


Moi, j’étais le préposé aux commissions et au marché. Raïeb de moi, l’esclave. Tout ça pour seconder ma mère, la pauvre qu’elle se tapait le ménage, la cuisine, le linge à laver, à étendre et à repriser, sans compter le repassage. Ma parole, j’ai honte de le dire, on était des salopris. On pensait qu’à descendre en bas la rue, en bas le jardin, en bas padovani qui était notre plage du faubourg qu’elle venait mourir en bas de chez moi. Je dis en bas de chez moi parce que ça fait plus mieux que de dire à cinquante mètres. Toujours on descendait en bas, hé c’est normal sinon, on montait. Qué vous croyez qu’on sait pas parler le français à Bab El Oued ? Tazz !
Ma mère, la pauvre, souvent comme elle aimait tchatcher avec les voisines, sara, sara, elle arrêtait de laver le balcon et, en avant, la tchatche. Et tu crois qu’elle pensait au manger qui brûlait sur le feu ? Aouah, elle tchatchait, elle tchatchait, c’était la course à l’échalote de la parlotte. Et nous autres, en revenant de l’école, on faisait tintin parce que le manger il était brûlé. J’exagère un p’tit chouïa mais  quand on écrit des livres, l’exagération elle fait partie de la panoplie de l’écrivain. Purée, l’art et la manière de se rattraper, dé !
Ma mère, la pauvre (purée, j’en ai marre de lui mettre les yeux en ajoutant la pauvre !)  Bien qu’elle était pas riche, raïbah ! Je préfère  raïbah parce que ça sonne mieux et que je peux lui mettre le cinq pour enlever la schkoumoune. Elle se serait jetée au feu pour  nous, ses fils qu’elle nous protégeait pire qu’une lionne. Quand je me suis ouvert la tête au cabanon, jamais vous devinez ce qui lui ai arrivé ? Ma parole, elle état en train de se reposer au balcon chez moi sur la chaise longue quand elle m’a entendu crier alors que j’étais aux Horizons Bleus, à huit kilomètres. Alors, soit, j’ai une voix à la Pavarotti, soit, l’instinct de conservation de ma mère il a fait des siennes.
Quand j’suis rentré à la maison, la tête toute agrafée, avec un pansement qu’on aurait dit que le FLN y m’avait morflé l’œil, ma mère, raïbah,  presqu’elle se trouve mal même que ma tante, illico, elle lui a fait respirer du vinaigre et, vous savez quoi ? Après avoir repris ses esprits, elle m’a engueulé comme du poisson pourri.
--Tu pouvais pas faire attention, non ! Tu veux que je meure de mauvais sang, bouh, bouh, bouh et bouh ! (cà, c’est son côté judéo-arabe qui ressort quand elle se fait du mauvais sang.)
--Mais Lydia (c’est le prénom de ma mère ) il a pas fait exprès !
Ma tante, elle me défend comme elle peut, pour que sa sœur, elle attrape pas un coup de sang. Toute la frayeur que ma mère raïbah, elle a emmagasinée, à tous les coups, elle va me retomber dessus ! Et ça fait pas un pli. Ma tante, elle connait sa sœur, va !
-- Encore heureux ! Il manquerait plus que ça ! j’aurais dû le mettre à la garderie du square Nelson ! Et soudain, elle redevient une mère d’Algérie qui adore ses enfants. Elle m’embrasse à la mode de chez nous,  elle me tape des smack, elle me suce la poire, elle me pince les joues, elle me lance des larzèze, des bébésso, des chitanes longs comme le bras. Moi, je me laisse faire ou sinon, j’ai plus fini ! Mais, la vérité, ma mère, la pauvre, elle a eu vraiment peur !
Et si jamais, il pleuvait la marabounta, le déluge quoi, en rentrant de l’école, trempés de la tête aux pieds, fissa, fissa, elle nous déshabillait et elle nous tapait une flambée d’alcool soua, soua, pour nous réchauffer. Aouah, ma mère comme elle chante Mick Michell, c’est un maman, comme toutes les mamans mais voilà, c’est la mienne. Comme elle y en a pas deux ! Tous les enfants d’Algérie, y disent la même chose mais, c’est pour dire qu’on aime notre mère  à la folie.
Ma mère, la pauvre, elle est devenue veuve à 36 ans ! C’est vrai que c’est surtout mon père, le pauvre qui es à plaindre. Raïeb, il avait à peine 37 ans. Alors, ma mère, elle s’est prise par la main et vogue la galère parce que, pour une galère, c’en fut une ! Trois fils, ça lui laissait pas le temps de respirer. Sept ans, cinq ans et trois ans, on avait ! Il lui a fallu bien du courage pour nous élever en jouant les deux rôles du père et de la mère. Comme je veux pas faire pleurer Marinette dans les chaumières, je dirais simplement que j’ai pas eu le temps de connaitre mon père que tout le monde ils le surnommaient Pilote.. Allez, va, tout ça pour dire que si le titre de ce livre c’est MA MERE LA PAUVRE,  manarafe, c’est pas pour rien !
Bon, mais en plus, l’argent y tombait pas du ciel. Avant son décès, mon père, il avait un atelier de confection, avenue Durando. Ma mère, elle vivait comme une princesse des mille et une nuits ! J’exagère mais c’est seulement pour taper l’expliquement que ma mère, elle était pas encore pauvre. On peut même dire que mon père qui travaillait pour l’armée, il commençait à rouler sur l’or. Et ma mère avec lui. Ma parole si je mens !
Après, ce fut la dégringolade. Nous autres, on était trop petits pour aller travailler. Alors, Raïbah, ma mère, non seulement, elle s’est retrouvée veuve mais en plus (si je faisais du genre, j’écrirais « de surcroit ») elle s’est remise à jouer les vendeuses chez Bambi rue Bab Azoun. Elle, qui avait été première vendeuse chez Bakouche, un magasin chic de la  rue d’isly, elle a accepté  de changer de standing mais à la guerre comme à la guerre !
Mes tantes, elles ont intronisé Jacky, mon frère ainé, chef de clan. Elles s’arrêtaient pas de le flatter. « Tu es l’ainé, un vrai petit homme ! ». Va savoir ça qui s’est passé, mais aussitôt, le bouznica en question, il s’est conduit en commandant en chef de famille. Et ma parole, au bout de deux jours, son rôle, il le remplissait à merveille. Paulo et moi, on s’tapait toutes les corvées et lui, y faisait suer le burnous, un fouet à la main. Le général et ses chaouches.
Mais, tout ce qu’il nous demandait, on s’exécutait. D’abord, parce que si on rechignait, on s’prenait une calbote et ensuite, pour que ma mère, la pauvre elle se fasse pas du mauvais sang en rentrant du travail.  J’vous dis, on était des véritables fées du logis. Et obéissants, avec ça ! C’est qur pas assez son travail rue Bab Azounl, ma mère raïbah, elle devait faire le souper parce que nous, macache, savoir cuisiner. Un œuf, et encore ! Avec Paulo qui était exigeant. Un œuf mollet mais pas trop mollet, juste un chouïa. Un œuf frit plus frit sur les bords qu’au milieu ! Quand à l’omelette, manman chérie, la patience, il l’aimait bien cuite mais il fallait pas exagérer, pas trop cuite ni brûlée. Avec du gruyère d’accord mais pas que ça fasse cataplasme, ni trop peu, ni pas assez. Hou, ma mère, des fois, elle sortait sa phrase préférée : Vous verrez si votre femme elle aura la patience que j’aie !
La vérité, quand on est petits, on est ralah ! Ralah, ça veut dire emmerdant au possible dans la bouche de ma mère, la pauvre. Elle a une excuse ! D’abord, elle déborde d’amour pour ses fils, alors, elle veut toujours nous faire plaisir parce que les petits, les pauvres, y sont orphelins. Mais elle est plus magnanime (putain, ce mot) avec Paulo parce qu’il a été à l’hôpital Mustapha. Monsieur, il a eu du rhumatisme articulaire aigu ! J’vous dis pas l’inquiétude et le mauvais sang qu’elle s’est fait, la pauvre. Jacky et moi, on est allé chez tata Lisette, au 31 rue Marengo et, ma mère, elle a accompagné mon frère le temps qu’il se remette. Mais la cortisone, elle a gonflé Paulo pas comme un gros patapouf mais presque. Enfin, on est tous rentrés à la maison et ma mère, elle a poussé un ouf de soulagement que tout Bab El Oued, il a entendu.
Seulement, Paulo il avait grossi et, il osait plus sortir. Alors, moi bon prince, et surtout très obéissant ou sinon, la botcha de Jacky, je reste à la maison avec lui à taper la ronda, la belote à la découverte  ou le rami. Ma mère, elle est contente, elle a retrouvé son chez elle qu’elle astique du fond en comble. Nous, on veut qu’elle se repose :
--Man, on était pas là, tia pas besoin de taper le ménage en grand !  Bouh, qu’est-ce qu’on a pas dit :
--C’est ça, on va vivre comme des romanichels ! Le ménage, on doit le faire TOUS LES JOURS ! J’espère que vous allez pas me ramener des souillons , hein ?
--Man, on a dix ans !
--il est jamais trop tôt pour apprendre qu’une souillon, c’est une souillon !
J’vous dis dis, comme ma mère, y en a pas deux. A la rigueur, deux mais pas trois ! Ca y est, je vois le lecteur ou la lectrice se révolter. « Et ma mère, alors ? ». JE PLAISANTE BANDE DE BABAOS A LUNETTES !
Ma mère, raïbah, elle cherche un autre magasin plus près de la maison. Pourquoi j’ajoute raïbah ? Parce que, la rue Bab Azoun, c’est trop loin quand on veut tenir sa maison, faire du bon manger à ses bébésso et, surtout, ne pas tomber dans un lit. Ca c’est l’expression de ma mère pour dire être malade. Les chats ne font des chiens !
--Arrête de courir. J’ai pas envie que tu me tombes dans un lit. Pas assez Paulo !
Ouais, ma mère, elle a cherché une place de vendeuse à Bab El Oued ! Et elle a trouvé au début de l’avenue de la Bouzaréah, à deux pas de la maison. La maroquinerie de monsieur Stofmacher, un alsacien, preuve que la notion d’européen d’Algérie n’était pas usurpée. Un magasin situé entre les entrées du 3 et du 5 de mes amis Richard Zekri et Jacky Lévy, juste en face de mon coiffeur Gaëtan qui était le patron de la bonbonnière du jardin Guillemin où on mangeait les meilleurs beignets italiens du monde et des alentours.  Je joue  les guides touristiques et, en plus, je fais pas payer. Le magasin, il était classe et, moi, j’allais l’attendre en gonflant les muscles devant mes amis qui croyaient que j’étais devenu millionnaire.
--Chof, le magasin de ma mère ! La classe !
Et quand, elle fermait le soir, zarmah, je l’aidais et, ensuite, je prenais son bras pour rentrer chez nous. Le roi, alors, c’était pas mon cousin. Les jeunes, maintenant, ils ont honte de donner le bras à leur mère, quels babaos ! Nous autres, on était fiers comme si on se baladait avec Gina Lollobrida ! Et je veux !
Ma mère, je veux pas lui mettre les yeux mais, elle ouvre le magasin de neuf heures à midi et de trois heures à sept heures du soir. Ca lui laisse le temps  de respirer et d’avoir du temps pour elle. Ce magasin, tous les jours, il est envahi par ses sœurs. Quand c’est pas tata Nadine, c’est tata Lisette, tata Paulette, tata Rose, tata Germaine, tata Félice, tata Rachel, tata Eva etc….etc…Parce dans la famille, tu veux des tatas, toi ? On dirait qu’elles ont poussées comme des champignons. Ma mère, elle a un peu honte parce que le magasin, il est chic. Alors, la casbah, judéo-arabe ça dénote un chouïa ! Toutes, elles veulent bruler de l’encens, jeter des pièces de monnaie par terre, verser du sang de poisson enfin tout ce qu’elles ont appris de la rue Marengo. Avec mille précautions, ma mère vraiment la pauvre, elle refuse poliment.
--Je peux pas ! Monsieur Stofmacher, y veut pas.
Ma tante Lisette, elle a une solution.
« Hé ben, on n’a qu’à accrocher un ruban rouge à la caisse enregistreuse pour rappeler le sang du poisson !
Aussitôt dit, aussitôt fait !


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