EXTRAIT DE "SUR LES PAS DE MON GRAND-PERE" QUE JE SUIS EN TRAIN D'ECRIRE.
UN ENFANT DECOUVRE ET COMMENTE LA VIE DE SON GRAND PERE
*****
Beatrice resta sans voix.
--Mais tu es fou ? On a vingt ans d’écart !
--Et alors ? Tu dis m’aimer !
--Chéri, quand tu auras quarante ans, je serais une
vieille dame !
--Mais tu peux encore me plaire ……..et on aura connu
vingt années de bonheur……….et…….
--Et tu me tromperas avec une jeunesse ………répondit avec fatalisme la
comtesse napolitaine.
--Ce ne serait pas la fin du monde ! Tu resteras Mon
épouse !
--Tu es quand même un garçon pas ordinaire.
-- C’est toi qui m’as appris mon pouvoir sur les femmes. T’épouser,
ce serait pour moi la sécurité et pour
toi, l’assurance de me garder auprès de toi.
--Tu es juif !
--Et alors ?
--Je croyais que vous ne vous mariez pas avec des chrétiennes.
--Je suis un juif qui aime une chrétienne et qui profite
de ton rang et de ton argent! La religion n’a rien à voir là dedans. Sincèrement,
tu penses que cela me pose un problème……et puis, nous sommes au vingtième
siècle…..que diable !
La
comtesse tenait trop à Moïse pour
rejeter d’un revers de main sa proposition de l’épouser. Epouser voulait dire
s’attacher ses services mais également se livrer pieds et poings liés à sa
fantaisie financière. Cela demandait réflexion.
--Allons en discuter autour d’un bon repas ! Proposa-t-elle.
Après
une âpre discussion qui indisposa Moïse, elle posa une condition qui lui parut inacceptable à un homme israélite :
se marier à l’église.
--Alors, je ne peux t’épouser !
--Je comprends mais, à ton tour, tu dois comprendre que
je sois obligé d’assurer mes arrières.
--Assurer tes arrières ???
--Recevoir une certaine somme………pour ……services
rendus !
--A combien tu juges tes ……..services ?
--50000 francs ……..
--C’est raisonnable si tu restes mon ……….employé.
--Tant que je donnerais ………..satisfaction, je resterais
ton obligé.
--Demain, je te ferais allouer cette somme mais je te
veux de jour comme de nuit !
Moïse
fit mine de réfléchir puis croisa le regard de Béatrice et accepta le marché.
--Arrêtons ce jeu, je t’en prie. Je comprends ton
inquiétude mais sois tranquille, je suis amoureuse de toi et, jamais, je ne te
laisserais sans argent.
-- Comme aime à le répéter mon père, les paroles
s’envolent, les écrits restent! Je serais plus détendu si tu officialisais ce
don !
--Demain, ce sera fait !
Moïse
joua parfaitement son rôle de chevalier servant. La comtesse se comporta non pas en patronne
mais en femme amoureuse, lui offrant la même attention et, comme à
l’accoutumée, le couvrant de petits cadeaux.
--Durant mon célibat forcé, je me suis entiché non pas
d’une autre femme mais de passion dévorante pour l’aviation.
Devant
l’étonnement de Béatrice qui n’adhérait pas à ce qu’elle prenait pour un nouveau
caprice, il lui proposa un baptême de l’air qu’elle refusa catégoriquement.
--Tu es fou ! J’ai trop peur !
--Je comprends mais grâce à ta générosité, saches que je passerais
mon brevet de pilote à Hussein Dey.
--Mais d’où te viens cette nouvelle tocade ?
--Ce n’est pas une tocade mais ma nouvelle façon de
vivre ! Rectifia
Moïse qui ajouta. Dans ce monde en folie, où tout va beaucoup trop vite,
je veux être un des pionniers de l’aviation en Afrique du Nord.
--Et où sera ma place dans ton projet ?
--En tête de mes préoccupations …….car quoi que tu en
penses, je t’aime……à ma façon !
*****
Pionnier
de l’aviation nord africaine ! Rien que ça !
--Ma
parole d’honneur si je mens !
Mes
copains ont du mal à me croire. C’est tellement invraisemblable. Non,
seulement, il a été boxeur, il fréquente une vraie comtesse et le voilà
aviateur. Pourquoi pas Zorro, tant qu’il y est ?
--Moi,
je vous raconte ! Si vous ne me croyez pas, allez-vous faire une
olive !
--Non,
on te croit mais la vérité, ça parait tellement
inimaginable !
--Ouais
mais comme il dit mon père : à l’impossible nul n’est tenu !
Ah,
oui, j’oubliais : la comtesse, elle a baratiné un ministre. Et résultat,
mon grand-père, il a été exempté de service militaire.
--Aouah ?
--Ma
parole d’honneur !
Plus,
je parle, et plus j’auréole mon grand-père de l’admiration des enfants de mon
quartier. Pendant un moment, ils en oublient Tom mix ou Capitaine Blood afin de rêver d’aventures « pour de
vrai » auprès de papy Moïse.
Hélas,
ma mère a le don de me ramener à mes chères études par un : « Un
Moïse, y en a qu’un…..et, y en aura qu’un dans la famille alors c’est pas la
peine de te faire du cinéma ! »
Qui
c’est qui écoute ma mère ? En tous cas, pas moi qui rêve d’une comtesse
belle et riche qui me mangerait dans la
main. Mon père, le roi des maximes, il
apprécierait sans me mettre les yeux : Bon sang ne saurait mentir. En
classe, je suis absent bien que je sois présent. Comme dit mon père : je
file un mauvais coton. Mais comment m’extraire de la vie de mon grand-père que
j’ai pas assez connu. Mes copains, ils côtoient leurs grands parents tous les
jours que Dieu fait. Moi, alors qu’il habitait à deux cents mètres de chez moi,
il était toujours par monts et par vaux. Pour le voir, presqu’il fallait prendre
rendez-vous. J’exagère, bien sûr, mais c’est pour dire. A treize ans, il s’en
est allé au pays d’où on ne revient jamais seulement.
*****
Moïse
décide d’apprendre à piloter à l’aérodrome d’Hussein
Dey. Après quelques cours d’observateur, son professeur veut
savoir s’il n’a ni vertige, ni mal de mer. Rassuré, il lui fait effectuer son premier vol sur un vieux Voisin. Puis c’est un rapide tour
d’horizon sur la lecture des cartes, le matériel photographique, et après, à
peine 10 heures de vol, Moïse se débrouille au grand étonnement de son mentor
Franco Allégri.
Lors de son premier vol, le vieux
coucou connait plusieurs ratés qui ne le découragent pas. Bien au contraire, le
danger l’excite si fort qu’il accompagne quelques as du pilotage algérien comme
René Mesguisch ou Julien Servès.
Il tente de gagner à sa cause sa
comtesse en lui faisant visiter quelques meetings d’aéronautique mais elle
reste de marbre. Avant de rentrer à Paris, elle lui lance un ultimatum: « C’est l’aviation ou moi ! »
--Une femme si riche
soit-elle ne m’achètera jamais ! Je
suis ton amant, pas ton chien ! Si tu ne m’aimes pas assez pour me voir
m’accomplir dans l’aviation, pars !
Devant la résolution de Moïse,
elle comprend qu’elle ne le materait jamais.
-- Ne m’en veut pas,
c’est la peur de te perdre qui motive ma raison. Je t’aime à en mourir ! Un
accident d’avion est si vite arrivé !
--Je suis
indestructible…….si tu es près de moi !
Béatrice se radoucit, se love
contre lui et, afin de lui prouver son amour, propose :
--On prendra un
appartement à Alger pour que je me sente chez moi !
Voler de ses propres ailes, rien
n’est moins vrai lorsque Béatrice revient à Alger. Ils emménagent dans une
charmante villa du bord de mer à Saint-Eugène et, la jolie comtesse se comporte
en égérie de Moïse.
Il participe à de nombreuses
exhibitions sur les hippodromes d’Afrique du nord en tant que photographe
embarqué. Puis, l’expérience acquise, il obtient le célèbre sésame de l’aviation civile algéroise, un brevet de
pilote en bonne et due forme.
Alger
est en fête. L’inauguration de la Grande Poste bat son plein. Construite en 1910 par les
architectes Jules Voinot et Denis Marius Toudoire, son imposante bâtisse de
style néo-mauresque, fait la fierté des algérois. Afin de ne pas se mêler à la
foule des badauds qui se pressent à l’entour, la comtesse napolitaine assiste aux
cérémonies de sa chambre louée pour l’occasion à l’hôtel des Ambassadeurs qui
domine le boulevard Laferrière. Moïse en profite pour s’entretenir avec son ami
René Mesguish, aviateur de grande qualité qui désire l’enrôler dans son équipe
en tant que photographe. La ville semble une kermesse tricolore pavoisée de bleu, blanc, rouge. Jamais, les algérois
ne se sont sentis aussi fiers d’être français
que ce jour-là. Que l’on soit d’origine italienne, espagnole,
alsacien-lorrain, juif, musulman, on entre de plain-pied dans la monde moderne
représenté par l’appartenance à ce grand pays qu’est la France. Les dignitaires
musulmans participent à la fête et, nul ne doute de l’adhésion de leur
communauté.
Nous sommes en 1913 et l’insouciance habite les cœurs.
Qui pourrait imaginer que la guerre est toute proche ?
A présent, la paix et l’amour règnent dans le cœur de
Moïse. Béatrice passe les trois quarts du temps à Alger auprès de son amant qui s’adonne aux plaisirs de
l’aviation. Il a réussi son incroyable pari : la comtesse Bernardi accepte
d’assister au salon annuel de l’aéronautique sur l’hippodrome du
Caroubier.
--Alors, tu m’aimes ? Ironise
Moïse à l’adresse de sa compagne.
--Si tu en doutais, te voilà rassuré……..malgré
mon hostilité pour ce genre de fantaisie.
Moïse n’en délaisse pas moins ses parents pour autant. Il
les installe dans un appartement de l’Avenue de Bab El Oued qui s’ouvre sur la
place Margueritte où trône le grand lycée que fréquente son jeune frère Robert.
Il partage son temps entre les hydravions qui le passionnent et sa belle
comtesse qui
devient
la coqueluche de la bourgeoisie algéroise, tant par sa beauté que par les réceptions qu’elle organise dans sa villa
de Sant-Eugène.
Tout ce beau monde civil, militaire et politique heurte
Moïse de plus en plus. Autant,
Paris convient à ce besoin de se montrer,
autant, à Alger, cela lui semble
déplacé. Mais Béatrice n’en a cure.
A son père qui lui reproche de se prêter à ce qu’il
appelle des réceptions de « m’as tu-vu » qui coûtent les yeux de la
tête, Moïse la dédouane en précisant : C’est
son argent !
Sa mère, toujours sur le qui vive le reprend : Amuse-toi mais un jour, il faudra bien que tu fondes une famille, ne l’oublies jamais !
*****
Purée, je sais que s’il me prenait l’envie, ne serait-ce que de songer à
fréquenter une fille d’un an mon ainée, qui ne soit pas juive de surcroit,
comtesse ou d’une bien famille pas « bien comme il faut », ma parole
d’honneur, elle m’enverrait illico presto, chez le docteur Zaffran.
--Docteur, donnez-lui un médicament qui lui remet la tête à l’endroit,
va ! Mon fils, le pauvre, il croit que l’argent ça pousse sous les sabots
d’un cheval ! Il tire de son grand-père, c’est son portait craché !
Zid, et en avant, papy Moïse, il en prend pour son grade. Mes amis, ils
tirent aussi de mon grand-père, alors ? Parce que, tous autant qu’ils
sont, ils bavent en m’écoutant leur narrer la vie de celui qu’ils veulent
prendre pour exemple.
--Si je comprends bien, il faut lever une femme du monde et on devient
gigolo ?
--Tu as vu la tête que tu as ? Va chez le coiffeur, mouche-toi et
ne t’habille pas comme un gavatcho.
--Il faut avoir la classe, un point, c’est tout !
--La classe et le baratin ! Arrête de bégayer devant une
fille de Bab El Oued et tu auras une chance de tomber une fille……..quand tu
seras grand,.
--Man, harréné harrasé ! Autant dire, quand les poules
auront des dents !
Et pourtant, ma mère, elle m’encourage sans le savoir comme monsieur
Jourdain faisait de la prose sans le
savoir. A ses sœurs, quand elle parle de moi, elle vante « la beauté à sa
mère » et mes tantes elles enchérissent « çuilà, il va en faire
tourner des têtes ». Alors, moi, bien sûr, j’me taille une tête grosse
comme une pastèque ! Un Gary Grant en devenir.
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