dimanche 10 mars 2019

EXTRAIT DE SUR LES PAS DE MON GRAND PERE DE HUBERT ZAKINE


EXTRAIT DE "SUR LES PAS DE MON GRAND-PERE" QUE JE SUIS EN TRAIN D'ECRIRE. 
UN ENFANT DECOUVRE ET COMMENTE LA VIE DE SON GRAND PERE
*****
Beatrice resta sans voix.
--Mais tu es fou ? On a vingt ans d’écart !
--Et alors ? Tu dis m’aimer !
--Chéri, quand tu auras quarante ans, je serais une vieille dame !
--Mais tu peux encore me plaire ……..et on aura connu vingt années de bonheur……….et…….
--Et tu me tromperas avec une jeunesse ………répondit avec fatalisme la comtesse napolitaine.
--Ce ne serait pas la fin du monde ! Tu resteras Mon épouse !
--Tu es quand même un garçon pas ordinaire.
-- C’est toi qui m’as appris mon pouvoir sur les femmes. T’épouser, ce serait  pour moi la sécurité et pour toi, l’assurance de me garder auprès de toi.
--Tu es juif !
--Et alors ?
--Je croyais que vous ne vous mariez  pas avec des chrétiennes.
--Je suis un juif qui aime une chrétienne et qui profite de ton rang et de ton argent! La religion n’a rien à voir là dedans. Sincèrement, tu penses que cela me pose un problème……et puis, nous sommes au vingtième siècle…..que diable !
La comtesse  tenait trop à Moïse pour rejeter d’un revers de main sa proposition de l’épouser. Epouser voulait dire s’attacher ses services mais également se livrer pieds et poings liés à sa fantaisie financière. Cela demandait réflexion.
--Allons en discuter autour d’un bon repas ! Proposa-t-elle.

Après une âpre discussion qui indisposa Moïse, elle posa une  condition qui lui  parut inacceptable à un homme israélite : se marier à l’église.
--Alors, je ne peux t’épouser !
--Je comprends mais, à ton tour, tu dois comprendre que je sois obligé d’assurer mes arrières.
--Assurer tes arrières ???
--Recevoir une certaine somme………pour ……services rendus !
--A combien tu juges tes ……..services ?
--50000 francs ……..
--C’est raisonnable si tu restes mon ……….employé.
--Tant que je donnerais ………..satisfaction, je resterais ton obligé.
--Demain, je te ferais allouer cette somme mais je te veux de jour comme de nuit !
Moïse fit mine de réfléchir puis croisa le regard de Béatrice et accepta le marché.
--Arrêtons ce jeu, je t’en prie. Je comprends ton inquiétude mais sois tranquille, je suis amoureuse de toi et, jamais, je ne te laisserais sans argent.
-- Comme aime à le répéter mon père,  les paroles s’envolent, les écrits restent! Je serais plus détendu si tu officialisais ce don !
--Demain, ce sera fait !

Moïse joua parfaitement son rôle de chevalier servant.  La comtesse se comporta non pas en patronne mais en femme amoureuse, lui offrant la même attention et, comme à l’accoutumée, le couvrant de petits cadeaux.
--Durant mon célibat forcé, je me suis entiché non pas d’une autre femme mais de passion dévorante pour l’aviation.
Devant l’étonnement de Béatrice qui n’adhérait pas à ce qu’elle prenait pour un nouveau caprice, il lui proposa un baptême de l’air qu’elle refusa catégoriquement.
--Tu es fou ! J’ai trop peur !
--Je comprends mais grâce à ta générosité, saches que je passerais mon brevet de pilote à Hussein Dey.
--Mais d’où te viens cette nouvelle tocade ?
--Ce n’est pas une tocade mais ma nouvelle façon de vivre ! Rectifia Moïse qui ajouta. Dans ce monde en folie, où tout va beaucoup trop vite, je veux être un des pionniers de l’aviation en Afrique du Nord.
--Et où sera ma place dans ton projet ?
--En tête de mes préoccupations …….car quoi que tu en penses, je t’aime……à ma façon !


*****
 Pionnier de l’aviation nord africaine ! Rien que ça !
--Ma parole d’honneur si je mens !
Mes copains ont du mal à me croire. C’est tellement invraisemblable. Non, seulement, il a été boxeur, il fréquente une vraie comtesse et le voilà aviateur. Pourquoi pas Zorro, tant qu’il y est ?
--Moi, je vous raconte ! Si vous ne me croyez pas, allez-vous faire une olive !
--Non, on te croit mais la vérité, ça parait tellement  inimaginable !
--Ouais mais comme il dit mon père : à l’impossible nul n’est tenu !
Ah, oui, j’oubliais : la comtesse, elle a baratiné un ministre. Et résultat, mon grand-père, il a été exempté de service militaire.
--Aouah ?
--Ma parole d’honneur !
Plus, je parle, et plus j’auréole mon grand-père de l’admiration des enfants de mon quartier. Pendant un moment, ils en oublient Tom mix ou Capitaine Blood      afin de rêver d’aventures « pour de vrai » auprès de papy Moïse.
Hélas, ma mère a le don de me ramener à mes chères études par un : « Un Moïse, y en a qu’un…..et, y en aura qu’un dans la famille alors c’est pas la peine de te faire du cinéma ! »
Qui c’est qui écoute ma mère ? En tous cas, pas moi qui rêve d’une comtesse belle et  riche qui me mangerait dans la main. Mon père, le roi des maximes,  il apprécierait sans me mettre les yeux : Bon sang ne saurait mentir. En classe, je suis absent bien que je sois présent. Comme dit mon père : je file un mauvais coton. Mais comment m’extraire de la vie de mon grand-père que j’ai pas assez connu. Mes copains, ils côtoient leurs grands parents tous les jours que Dieu fait. Moi, alors qu’il habitait à deux cents mètres de chez moi, il était toujours par monts et par vaux. Pour le voir, presqu’il fallait prendre rendez-vous. J’exagère, bien sûr, mais c’est pour dire. A treize ans, il s’en est allé au pays d’où on ne revient jamais seulement.


*****          
Moïse décide d’apprendre à piloter à l’aérodrome d’Hussein Dey Après quelques cours d’observateur, son professeur veut savoir s’il n’a ni vertige, ni mal de mer. Rassuré, il lui fait  effectuer son premier vol  sur un vieux Voisin. Puis c’est un rapide tour d’horizon sur la lecture des cartes, le matériel photographique, et après, à peine 10 heures de vol, Moïse se débrouille au grand étonnement de son mentor Franco Allégri.
Lors de son premier vol, le vieux coucou connait plusieurs ratés qui ne le découragent pas. Bien au contraire, le danger l’excite si fort qu’il accompagne quelques as du pilotage algérien comme René Mesguisch ou Julien Servès.
Il tente de gagner à sa cause sa comtesse en lui faisant visiter quelques meetings d’aéronautique mais elle reste de marbre. Avant de rentrer à Paris, elle lui lance un ultimatum: « C’est l’aviation ou moi ! »
--Une femme si riche soit-elle  ne m’achètera jamais ! Je suis ton amant, pas ton chien ! Si tu ne m’aimes pas assez pour me voir m’accomplir dans l’aviation, pars !
Devant la résolution de Moïse, elle comprend qu’elle ne le materait jamais.
-- Ne m’en veut pas, c’est la peur de te perdre qui motive ma raison. Je t’aime à en mourir ! Un accident d’avion est si vite arrivé !
--Je suis indestructible…….si tu es près de moi !
Béatrice se radoucit, se love contre lui et, afin de lui prouver son amour, propose :
--On prendra un appartement à Alger pour que je me sente chez moi !
Voler de ses propres ailes, rien n’est moins vrai lorsque Béatrice revient à Alger. Ils emménagent dans une charmante villa du bord de mer à Saint-Eugène et, la jolie comtesse se comporte en égérie de Moïse.
Il participe à de nombreuses exhibitions sur les hippodromes d’Afrique du nord en tant que photographe embarqué. Puis, l’expérience acquise, il obtient le célèbre sésame  de l’aviation civile algéroise, un brevet de pilote en bonne et due forme.

Alger est en fête. L’inauguration de la Grande Poste bat son plein. Construite en 1910 par les architectes Jules Voinot et Denis Marius Toudoire, son imposante bâtisse de style néo-mauresque, fait la fierté des algérois. Afin de ne pas se mêler à la foule des badauds qui se pressent à l’entour, la comtesse napolitaine assiste aux cérémonies de sa chambre louée pour l’occasion à l’hôtel des Ambassadeurs qui domine le boulevard Laferrière. Moïse en profite pour s’entretenir avec son ami René Mesguish, aviateur de grande qualité qui désire l’enrôler dans son équipe en tant que photographe. La ville semble une kermesse tricolore  pavoisée de bleu, blanc, rouge. Jamais, les algérois ne se sont sentis aussi fiers d’être français  que ce jour-là. Que l’on soit d’origine italienne, espagnole, alsacien-lorrain, juif, musulman, on entre de plain-pied dans la monde moderne représenté par l’appartenance à ce grand pays qu’est la France. Les dignitaires musulmans participent à la fête et, nul ne doute de l’adhésion de leur communauté.
Nous sommes en 1913 et l’insouciance habite les cœurs. Qui pourrait imaginer que la guerre est toute proche ?

A présent, la paix et l’amour règnent dans le cœur de Moïse. Béatrice passe les trois quarts du temps à Alger auprès de  son amant qui s’adonne aux plaisirs de l’aviation. Il a réussi son incroyable pari : la comtesse Bernardi accepte d’assister  au salon annuel  de l’aéronautique sur l’hippodrome du Caroubier.
--Alors, tu m’aimes ? Ironise Moïse  à l’adresse de sa compagne.
--Si tu en doutais, te voilà rassuré……..malgré mon hostilité pour ce genre de fantaisie.

Moïse n’en délaisse pas moins ses parents pour autant. Il les installe dans un appartement de l’Avenue de Bab El Oued qui s’ouvre sur la place Margueritte où trône le grand lycée que fréquente son jeune frère Robert. Il partage son temps entre les hydravions qui le passionnent et sa belle comtesse qui devient la coqueluche de la bourgeoisie algéroise, tant par sa beauté que par  les réceptions qu’elle organise dans sa villa de Sant-Eugène.
Tout ce beau monde civil, militaire et politique heurte Moïse  de plus en plus. Autant, Paris  convient à ce besoin de se montrer, autant,  à Alger, cela lui semble déplacé. Mais Béatrice n’en a cure.
A son père qui lui reproche de se prêter à ce qu’il appelle des réceptions de « m’as tu-vu » qui coûtent les yeux de la tête, Moïse la dédouane en précisant : C’est son argent !
Sa mère, toujours sur le qui vive le reprend : Amuse-toi mais un jour, il faudra bien  que tu fondes une famille, ne l’oublies jamais !

*****

               A la lecture des premières pages de la vie de mon grand-père, je suis sidéré de la réaction de ses parents qui me semblaient bien modernes pour l’époque. Surtout mon arrière grand-mère qui accepte sans sourciller que son fils soit entretenu par une comtesse qui pourrait être sa mère. En y réfléchissant bien, j’en reste pantois ! Et je constate que mon père traduit le bloc notes de papy Moïse avec délectation comme s’il enviait sa vie de gigolo. La vérité, qui ne l’envierait pas, surtout face à une jolie  comtesse par-dessus le marché? 
Purée, je sais que s’il me prenait l’envie, ne serait-ce que de songer à fréquenter une fille d’un an mon ainée, qui ne soit pas juive de surcroit, comtesse ou d’une bien famille pas « bien comme il faut », ma parole d’honneur, elle m’enverrait illico presto, chez le docteur Zaffran.
--Docteur, donnez-lui un médicament qui lui remet la tête à l’endroit, va ! Mon fils, le pauvre, il croit que l’argent ça pousse sous les sabots d’un cheval ! Il tire de son grand-père, c’est son portait craché !
Zid, et en avant, papy Moïse, il en prend pour son grade. Mes amis, ils tirent aussi de mon grand-père, alors ? Parce que, tous autant qu’ils sont, ils bavent en m’écoutant leur narrer la vie de celui qu’ils veulent prendre pour exemple.
--Si je comprends bien, il faut lever une femme du monde et on devient gigolo ?
--Tu as vu la tête que tu as ? Va chez le coiffeur, mouche-toi et ne t’habille pas comme un gavatcho.
--Il faut avoir la classe, un point, c’est tout !
--La classe et le baratin ! Arrête de bégayer devant   une fille de Bab El Oued et tu auras une chance de tomber une fille……..quand tu seras grand,.
--Man, harréné harrasé ! Autant dire, quand les poules auront des dents !
Et pourtant, ma mère, elle m’encourage sans le savoir comme monsieur Jourdain faisait de la  prose sans le savoir. A ses sœurs, quand elle parle de moi, elle vante « la beauté à sa mère » et mes tantes elles enchérissent « çuilà, il va en faire tourner des têtes ». Alors, moi, bien sûr, j’me taille une tête grosse comme une pastèque ! Un Gary Grant en devenir.

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