vendredi 7 décembre 2018

LA MEMOIRE ASSASSINEE. de Hubert Zakine

LA MEMOIRE ASSASSINEE. Texte que je viens de reprendre afin d'en faire un nouveau manuscrit.

PROLOGUE
La mort, aussi douloureuse qu’elle soit pour ceux qui restent, n’est que le passage obligé de la vie. Le train que les voyageurs empruntent pour se rendre vers le pays de l’au-delà.
J’ai toujours été subjugué par l’instinct de conservation de ce musée d’amour où l’on enferme les souvenirs : la mémoire.

Souvenirs d’une époque, d’un être cher, d’une ville natale, d’un pays traversé ou d’une star que la mémoire sélectionne sans nous demander notre avis.
La mémoire n’est que la face cachée de l’amour. Pourquoi se souvient-on si l’amour ne le demande pas, ne l’exige pas ! Et n’oublions pas que l’amitié n’est qu’une facette de l’amour.
Tout au long de la vie, on emmagasine des souvenirs que la mémoire, cette gare de triage de la pensée humaine, renvoie aux vivants afin que survivent les visages, les voix et les images d’un autre temps.

Se souvenir de sa jeunesse, quel beau transfert que la mémoire opère afin d’embellir la vieillesse ! Quelle merveille que ce cerveau qui différencie les choses de la vie pour en garder l’infime lumière qui brillera jusqu’à l’aube de la vingt-cinquième heure. Sans jamais faillir !
Se souvenir d’une infime parcelle humaine, conservée jalousement parmi tous les évènements qui composent l’arbre de vie, quelle alchimie !
Afin que l’existence paraisse plus supportable, elle mémorise et embellit les choses de la vie pour les rendre inoubliables.

Elle se fait, alors, une place de choix dans le grand livre de la vie que le conservateur de ce musée d’amour et d’amitié rangera au grenier du souvenir.
Ce conservateur ressortira, le moment venu, ces étapes de votre vie qui jalonnèrent votre passage sur terre.

Ce moment semble venu pour moi. A l’aube de mes soixante-treize ans, un petit retour en arrière s’impose. Pas si petit que ça, plus pour trois quarts de siècle pour puiser à ma source de vie, quelques souvenirs éparses que ma mémoire endolorie va jeter sur un cahier de nostalgie
Une nostalgie qui a pris racine au pays de mon enfance. Elle a accompagné, voire devancé tous mes faits et gestes de ma vie d’homme.
Tu es toujours là-bas me reprochent mes amis. Oui, mon cœur est à cheval entre mon pays et la France…….mon pays l’Algérie au temps d’hier, d’avant-hier et de toujours.
Algérie + Nostalgie = Nostalgérie.
Telle est l’équation que je n’ai aucunement cherché à résoudre. Elle m’a pris par la main et le cœur pour m’emmener jusqu’au bout de la route.
Ma mémoire a fait feu de tout bois pour conserver intacts mes souvenirs de ce temps-là. Bien sûr, elle a fait le vide, elle a trié, rangé, gommé, rattrapé au vol, rit, pleuré mais au bout du compte, elle n’a gardé que cette parcelle de gloire de mon passé algérien qui m’emportera vers la terre lointaine où je ne serai plus un homme sans pays.



1
Je me souviens, par procuration, de mon père. Cet homme prénommé Pilote par sa famille et ses amis est décédé dans sa 37ème année. Ma mère alors âgée de 36 ans se retrouva seule pour élever ses trois garçons âgés de sept, cinq et trois ans.
Je me souviens des leçons de ma mère Vous êtes des orphelins pas des mendiants. Ne tendez jamais la main. Etre pauvre n’est pas une fatalité. Et si quelqu’un vous fait de la peine, serrez-vous les uns contre les autres, vous verrez la pilule sera plus douce à avaler.
Elle ne nous a pas conseillé de nous rebeller mais notre débrouillardise a fait le reste….et malheur à celui qui nous cherchait des noises.

A Alger, la rue était notre deuxième maison. Nous nous faisions traiter gentiment de chitanes par les adultes qui se souvenaient sans doute, qu’avant nous, ils avaient été, eux aussi, des chitanes.
Bien que les habitations étaient suffisamment spacieuses, nous passions le plus clair du temps "en bas la rue" afin que nous ne trainions pas dans les jambes de nos mères adeptes du nettoyage à grande eau de nos appartements.
Le voisinage se voulait essentiel et nul ne dérogeait à la règle qui voulait que les portes restent ouvertes au grand courant d’air de l’amitié.
Je me souviens de ma rue. Une rue endimanchée de soleil dès le petit matin quand les habitants prenaient le pouls du quartier par un simple coup d’œil. Pour cela, il suffisait de sortir au balcon en prenant le kaouah pour connaitre le rythme de la journée. La chanson de ma rue était sur toutes les lèvres, du marchand d’habits au livreur de glaces en passant par les commerçants qui s’envoyaient des engueulades de bonne santé en guise de bonjour. Nous autres, les enfants, on trainait dans nos lits de sueur, ensommeillés comme des fainéants qui refusent l’idée d’aller à l’école.

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