En ce temps-là…..
Je suis un enfant
d’après-guerre.
Né en 1944, j’ai eu la chance
de vivre à une époque où la fierté de la France s’écrivait en lettres de feu au
son de la Marseillaise.
La paix revenue, la kermesse
tricolore inondait de patriotisme les villes et les champs.
Heures de gloire. Heures
joyeuses. Heures éternelles.
Soixante plus tard, un
constat, tout a changé. Positivement, négativement, chacun détient sa vérité,
mais pas LA vérité.
Je vous livre ici la mienne.
Elle ne vaut pas plus mais pas moins qu’une autre. Celle d’un homme de
soixante-quatorze ans, né sur l’autre trottoir de la France, dans cette Algérie
tant aimée et si pauvre, à présent que l’indépendance a fait son œuvre
destructrice. J’ai connu l’enfance d’un orphelin de père, qui a participé aux
merveilleuses journées de Mai 58,
l’amère désillusion de voir l’armée française tirer sur les français d’Algérie,
et en point d’orgue, le départ de la terre natale.
L’oubli est devenu monnaie
courante dans un monde en mouvement où la vérité du jour s’effrite au vent
mauvais du lendemain. Le dernier qui
parle a raison. La télévision
dicte sa loi scélérate au plus grand nombre qui adopte la passivité comme
vérité première. Plus de réflexion, plus de contradiction, une seule parole, un
seul mot d’ordre, abêtir les masses populaires. Le politiquement
correct lisse toutes les pensées. Des jeux lénifiants, des émissions
affligeantes, endormir la France par
médias interposés, tout un aéropage de groupes dans la politique, la finance,
le sport, les arts et lettres, de l’enseignement qui ouvrent les voies du succès ou ferment
les portes de la réussite, selon que l’on soit puissant ou misérable, de gauche ou de droite, d’un côté ou de
l’autre, juif, chrétien, musulman ou
athée, savant ou bien profane………
Parler d’aujourd’hui avec
flash-back sur autrefois afin de mieux cerner ce qui a changé dans la vie de
tous les jours, c’est le seul argument de ce livre. Se souvenir…..nos parents, nos
amis disparus, nos chagrins et nos joies, nos petits métiers et nos grandes
ambitions……..tout ce qui n’est plus, tout ce qui est, le temps qui reste…….une
multitude d’évènements qui peuplent la
mémoire collective ou individuelle, un monde qui se meure, un autre qui nait
pour le bonheur ou le malheur de l’homme.
CHAPITRE 1
EN CE TEMPS LA, l’Algérie se
remet au travail avec l’espoir au cœur d’être enfin et définitivement adoptée
par la France, grande, belle et généreuse.
Mes premières années me sont signifiées par mon entrée à l’école
maternelle. Cinq ans, un petit homme, comme m’appelait ma mère ! Elle
éloigna de nous les sots et les médisants derrière son aile ô combien
protectrice.
EN CE TEMPS LA, rien
n’atteignait l’enfance. Seule ma mère se débattait avec le chagrin. L’atelier
de confection de mon père fut la proie
de toutes les convoitises, atelier qui travaillait pour l’armée, source de
revenus non négligeables en ces années d‘après-guerre. Malgré l’intervention de
mes oncles tailleurs de génie mais piètres hommes d’affaires, ma mère dut se
résoudre à vendre à perte l’atelier.
EN CE TEMPS LA, on mourrait
de chagrin. Ma grand-mère se laissa
glisser vers le monde qui, dit-on, est meilleur et voilà, ma mère, sa
belle-fille, orpheline de son amour, sa gentillesse et sa douceur.
Le seul objet de l’avenir
s’écrivait alors en lettres d’or au fronton du musée d’amour au nom de ses
trois fils.
EN CE TEMPS LA, ma mère
vendit ses biens pour survivre. La traction avant, les lustres de cristal, les
manteaux de fourrures, tout y passa. De l’avenir lumineux entrevu ne resta que de pâles souvenirs. La jeune
fille aux beaux yeux noirs, vendeuse dans
un grand magasin réputé de jadis, qui avait épousé mon père pour le pire et le
meilleur, endossa les oripeaux de la
veuve éplorée. Et ce fut là que se révélèrent, à moi, les mille et un petits
secrets de l’appartenance à une communauté, à un quartier, une rue, une maison,
une religion.
EN CE TEMPS LA, l’épicière du
quartier m’adopta un jour, où j’avais oublié ma clef. Me voyant désœuvré sur le
pas de mon immeuble, elle s’inquiéta puis m’offrit un casse-croute qu’elle me
prépara avec une infinie tendresse. Depuis, je ne rechignais jamais à déposer
mon cartable dans un coin de son magasin en attendant le retour de l’un de mes
frères.
Dans mon quartier, dans ma
rue, deux boulangères se disputaient une clientèle friande de pain, pitse, mouna, montecao, et autres douceurs aux accents espagnols,
italiens, juifs ou arabes.
EN CE TEMPS LA, je ne parlais
pas d’avenir. Je profitais de ma jeunesse pauvre mais belle. Belle car parfumée
d’affection dispensée à outrance par ma famille naturelle et ma famille de cœur
que m’octroyait le voisinage. Par les amis de mon quartier que je retrouvais
avec plaisir à mon école. L’amitié n’eut besoin de rien d’autre pour s’affirmer
et s’ancrer définitivement dans mon jeune esprit
EN CE TEMPS-LA, l’insouciance
habillait mes jours. La radio chantait à
tue-tête, j’étais heureux ! Je vivais dans le plus beau pays du monde
dont, il faut bien le reconnaitre, j’ignorais tout. La géographie de l’école
évoquait bien les plaines endormies et les sommets enneigés d’une France
idéalisée mais mon pays s’arrêtait
à mon quartier, mon jardin, ma rue et ma
maison.
EN CE TEMPS-LA, le jardin
rassemblait grands et petits dans d’homériques jeux, football, saut à la corde,
billes, noyaux, trottinettes et patins à roulettes. C’était le temps des
amusements simples où les enfants apprenaient les choses de la vie sans
dépenser un centime. L’amitié y trouvait
un champ d’investigation incomparable et les femmes un terrain de bavardage à
nul autre pareil. Si un manège venait s’y installer, c’était le bonheur des
petits et les engueulades des mamans car, en ce temps-là, un sou c’était un
sou.
EN CE TEMPS-LA, les petits
métiers (Cordonniers, ferrailleurs, plombiers, matelassiers etc….) avaient
pignon sur rue tout autant que les commerces de proximité qui facilitaient la
vie du quartier. L’épicier et le boulanger, commerces de bouche par excellence,
faisaient crédit sans façon car la clientèle devenait au fil du temps, des
amis, sinon des connaissances.
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