vendredi 7 décembre 2018

En ce temps-là…..de Hubert Zakine.


En ce temps-là…..
                    
Je suis un enfant d’après-guerre.
Né en 1944, j’ai eu la chance de vivre à une époque où la fierté de la France s’écrivait en lettres de feu au son de la Marseillaise.
La paix revenue, la kermesse tricolore inondait de patriotisme les villes et les champs.
Heures de gloire. Heures joyeuses. Heures éternelles.

Soixante plus tard, un constat, tout a changé. Positivement, négativement, chacun détient sa vérité, mais pas LA vérité.
Je vous livre ici la mienne. Elle ne vaut pas plus mais pas moins qu’une autre. Celle d’un homme de soixante-quatorze ans, né sur l’autre trottoir de la France, dans cette Algérie tant aimée et si pauvre, à présent que l’indépendance a fait son œuvre destructrice. J’ai connu l’enfance d’un orphelin de père, qui a participé aux merveilleuses journées de Mai  58, l’amère désillusion de voir l’armée française tirer sur les français d’Algérie, et en point d’orgue, le départ de la terre natale.  

L’oubli est devenu monnaie courante dans un monde en mouvement où la vérité du jour s’effrite au vent mauvais du lendemain. Le dernier qui  parle a  raison. La télévision dicte sa loi scélérate au plus grand nombre qui adopte la passivité comme vérité première. Plus de réflexion, plus de contradiction, une seule parole, un seul mot d’ordre,  abêtir  les masses populaires. Le politiquement correct lisse toutes les pensées. Des jeux lénifiants, des émissions affligeantes, endormir la France  par médias interposés, tout un aéropage de groupes dans la politique, la finance, le sport, les arts et lettres, de l’enseignement  qui ouvrent les voies du succès ou ferment les portes de la réussite, selon que l’on soit puissant ou misérable,  de gauche ou de droite, d’un côté ou de l’autre,  juif, chrétien, musulman ou athée, savant ou bien profane………

Parler d’aujourd’hui avec flash-back sur autrefois afin de mieux cerner ce qui a changé dans la vie de tous les jours, c’est le seul argument  de ce livre. Se souvenir…..nos parents, nos amis disparus, nos chagrins et nos joies, nos petits métiers et nos grandes ambitions……..tout ce qui n’est plus, tout ce qui est, le temps qui reste…….une multitude  d’évènements qui peuplent la mémoire collective ou individuelle, un monde qui se meure, un autre qui nait pour le bonheur ou le malheur de l’homme.
                      
CHAPITRE 1

EN CE TEMPS LA, l’Algérie se remet au travail avec l’espoir au cœur d’être enfin et définitivement adoptée par la France, grande, belle et généreuse.  Mes premières années me sont signifiées par mon entrée à l’école maternelle. Cinq ans, un petit homme, comme m’appelait ma mère ! Elle éloigna de nous les sots et les médisants derrière son aile ô combien protectrice.
EN CE TEMPS LA, rien n’atteignait l’enfance. Seule ma mère se débattait avec le chagrin. L’atelier de confection  de mon père fut la proie de toutes les convoitises, atelier qui travaillait pour l’armée, source de revenus non négligeables en ces années d‘après-guerre. Malgré l’intervention de mes oncles tailleurs de génie mais piètres hommes d’affaires, ma mère dut se résoudre à vendre à perte l’atelier.
EN CE TEMPS LA, on mourrait de chagrin. Ma grand-mère  se laissa glisser vers le monde qui, dit-on, est meilleur et voilà, ma mère, sa belle-fille, orpheline de son amour, sa gentillesse et sa douceur.
Le seul objet de l’avenir s’écrivait alors en lettres d’or au fronton du musée d’amour au nom de ses trois fils.
EN CE TEMPS LA, ma mère vendit ses biens pour survivre. La traction avant, les lustres de cristal, les manteaux de fourrures, tout y passa. De l’avenir lumineux entrevu  ne resta que de pâles souvenirs. La jeune fille aux beaux yeux noirs,  vendeuse dans un grand magasin réputé de jadis, qui avait épousé mon père pour le pire et le meilleur,  endossa les oripeaux de la veuve éplorée. Et ce fut là que se révélèrent, à moi, les mille et un petits secrets de l’appartenance à une communauté, à un quartier, une rue, une maison, une religion.
EN CE TEMPS LA, l’épicière du quartier m’adopta un jour, où j’avais oublié ma clef. Me voyant désœuvré sur le pas de mon immeuble, elle s’inquiéta puis m’offrit un casse-croute qu’elle me prépara avec une infinie tendresse. Depuis, je ne rechignais jamais à déposer mon cartable dans un coin de son magasin en attendant le retour de l’un de mes frères.
Dans mon quartier, dans ma rue, deux boulangères se disputaient une clientèle friande de pain, pitse, mouna, montecao, et autres douceurs aux accents espagnols, italiens, juifs ou arabes.

EN CE TEMPS LA, je ne parlais pas d’avenir. Je profitais de ma jeunesse pauvre mais belle. Belle car parfumée d’affection dispensée à outrance par ma famille naturelle et ma famille de cœur que m’octroyait le voisinage. Par les amis de mon quartier que je retrouvais avec plaisir à mon école. L’amitié n’eut besoin de rien d’autre pour s’affirmer et s’ancrer définitivement dans mon jeune esprit
EN CE TEMPS-LA, l’insouciance habillait  mes jours. La radio chantait à tue-tête, j’étais heureux ! Je vivais dans le plus beau pays du monde dont, il faut bien le reconnaitre, j’ignorais tout. La géographie de l’école évoquait bien les plaines endormies et les sommets enneigés d’une France idéalisée mais         mon pays s’arrêtait à mon quartier, mon jardin,  ma rue et ma maison.
EN CE TEMPS-LA, le jardin rassemblait grands et petits dans d’homériques jeux, football, saut à la corde, billes, noyaux, trottinettes et patins à roulettes. C’était le temps des amusements simples où les enfants apprenaient les choses de la vie sans dépenser un centime. L’amitié y  trouvait un champ d’investigation incomparable et les femmes un terrain de bavardage à nul autre pareil. Si un manège venait s’y installer, c’était le bonheur des petits et les engueulades des mamans car, en ce temps-là, un sou c’était un sou.
EN CE TEMPS-LA, les petits métiers (Cordonniers, ferrailleurs, plombiers, matelassiers etc….) avaient pignon sur rue tout autant que les commerces de proximité qui facilitaient la vie du quartier. L’épicier et le boulanger, commerces de bouche par excellence, faisaient crédit sans façon car la clientèle devenait au fil du temps, des amis, sinon des connaissances.

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