LES FETES JUIVES D’AUTOMNE, A ALGER (Rosh Hashana, Yom Kippour et Souccoth).
Les
derniers jours des grandes vacances, les mères de famille s’empressaient
car déjà, elles programmaient les tâches ménagères à faire en
prévoyaient tout ce dont elles auraient besoin pour les prochaines
solennités juives d’automne : Rosh Hashana, Yom Kippour et Souccoth.
Les
familles devraient se réunir autour de festins et il fallait avoir
suffisamment de préparations culinaires traditionnelles à offrir aux
dégustateurs et surtout en confiseries et pâtisseries qui pourraient
être prêtes à l’avance. A l’époque, peu d’entre nous disposaient d’un
réfrigérateur.
Les
marchés proposaient aux chalands des étals débordants de fruits en tous
genres mais les faveurs des ménagères se dirigeaient surtout vers les
coings, les patates douces dont la chair était blanche, les figues, les
raisins de couleur rosée, les figues.
Les coings
étaient choisis avec soin pour être presque sûrs qu’ils n’étaient pas
"visités" par d’indésirables vers. Puis, rincés, ils étaient pelés et
coupés en quartiers bien que cette opération fût ardue car le fruit est
dur. On en ôtait les pépins que l’on réservait à part pour la confiture
et la gelée de coings particulièrement appréciée à la fin du jeûne de
Kippour !
Les
fruits étaient bouillis pour en attendrir la chair de façon qu’après
cette opération, le sirop de sucre pénètre la chair du fruit et que le
sucre reste clair. C’est lors de cette opération que l’on ajoutait les
pépins (trognons de coings) pour que la pectine permette au sirop de se
gélifier. Une partie des coings bouillis étaient cuits encore à feu doux
et au cours de cette cuisson supplémentaire on ajoutait le sucre par
petites quantités tout en remuant pour en faire une pâte de fruits.
Les figues étaient rapidement elles aussi transformées en une confiture de couleur claire et appétissante.
Les raisins
: on choisissait une variété qui portait le nom de « bou amar » les
grains étaient ronds relativement gros et rosés. Les mamans armaient
leurs enfants de plumes neuves (sergent-major) pour épépiner les grains
de raisins. Cette confiture était elle aussi d’une teinte rosée et
agréable et certaines mères enfermaient dans des compresses neuves les
pépins des raisins pour faire de la gelée.
Un peu plus tard apparaîtraient de petites pommes d’un vert très pâle
et avec de légères tâches rosées sur les côtés que l’on employait pour
le seder de Rosh Hashana et que l’on désignait : pommes kabyles et les
petites pêches blanches et roses à chair ferme, tendre et si parfumées
qui étaient elles aussi "kabyles" provenant sans doute de Kabylie.
A
Alger, pour nous les enfants, toute la période des selihoth passait en
silence. ous ne vivions cette saison qu’à travers de petits plaisirs
gustatifs tels la barbe à papa, les oublies et d’autres délices.
L’été
et à la fin de celui-ci, de petits étals "fleurissaient" aux coins de
rue : les yaouleds (enfants ou jeunes adolescents) proposaient des figues de barbarie
fraîchement cueillies qu’ils épluchaient avec dextérité et les
présentaient sur des feuilles de figuier pour que nos petits doigts ne
récoltent pas d’épines. D’autres yaouleds proposaient des épis de maïs
grillés que nous dégustions avec plaisir sur les bancs des jardins
publics où nous jouions avec nos cousins, voisins, camarades de classe.
De
temps à autre, nous nous regroupions autour de petits confiseurs qui
nous tentaient avec du sucre coloré de couleurs différentes et qu’ils
détaillaient par petits morceaux que nous sucions en les tenant entre
nos doigts puis en croquant.
Les marchands d’oublies
annonçaient leur passage en agitant des planchettes de bois équipées
des deux côtés de poignées de persiennes qui tintaient d’un son sec et
mat.
A
cette époque on appréciait les gaufres un peu plus épaisses que celles
des cornets de glace et enroulées en cônes et empilées dans une sorte de
contenant cylindrique d’environ un mètre de hauteur et que le marchand
déposait à terre pour servir ses jeunes clients.
Mais les oublies n’étaient pas les seules gaufres prisées : chez Grosoli, glacier apprécié à Alger,
les coupes de glace étaient décorées d’un éventail ou d’une cigarette
russe en gaufre. La pâtisserie industrielle Bitone commercialisait aussi
ce qui s’appelait "gaufrettes amusantes" sur lesquelles on pouvait lire
des phrases courtes : "tu as gagné" ou bien "je t’aime".
Lorsque
bien des années plus tard nous nous retrouvâmes à Marseille, nous ne
pouvions plus retrouver de crèmes glacées comme celles d’Alger : la
cassate, le créponné, ni les confiseries telles les beignets italiens
ou les olgas de chez Roma, ni la calentita de chez Lux là-bas, à
l’Estaque nous achetions des chichis fregi ou des panisses. Ni l’allure ni le goût n’y étaient mais…..
L’activité
quotidienne nous semblait beaucoup plus vivante en été étant donné que
nous n’avions ni climatiseurs, ni même de ventilateurs et nous laissions
nos fenêtres ouvertes pour aérer et nous rafraîchir. C’est ainsi que
les cris des artisans parvenaient jusqu’à nos oreilles et que nous nous
précipitions au balcon pour voir les vitriers, les rémouleurs, les
plombiers proposer leurs services.
Une
note de folklore sympathique annonçait les troupes de danseurs noirs en
provenance du Sénégal, ils agitaient entre leurs doigts des krakebs
(sortes de castagnettes en cuivre). En dansant, ils agitaient des
bracelets ornés de grelots attachés à leurs poignets et à leurs
chevilles (sorte de ghungroo ou de salangai). Cela nous divertissait et
nous leur jetions des piécettes, qu’ils saluaient en effectuant de
petits tours sur eux-mêmes en accélérant les sons des krakebs en cuivre.
Leur petit groupe satisfait des aumônes recueillies se déplaçaient
toujours en dansant vers d’autres habitations qui leur jetteraient
encore un peu d’argent.
Un
autre petit métier aujourd’hui disparu au profit de machines à pièces :
les petits cireurs qui faisaient briller les chaussures des messieurs
en échange d’une petite pièce.
Aux abords
des marchés, ceux qui avaient envie de satisfaire une petite faim
pouvaient le faire en achetant des beignets arabes ou des zlabias, une
portion de calentita (sorte de flan à base de farine de pois chiches) ou
de la tarte aux blettes (espèce de tarte/pizza garnie de blettes
cuisinées).
Les
boulangers proposaient chaque jour du pain français, arabe ou espagnol
(mahonnais) et, à la veille du shabbat certains d’entre eux fabriquaient
du pain « juif » ou aux anis ce qui permettait aux ménagères
surchargées surtout à la veille des fêtes de présenter un pain fait
"maison".
Cependant,
à la veille de Rosh Hashana, de Kippour ou de Souccoth, les maîtresses
de maison s’efforçaient de faire elles-mêmes leur boulange en donnant
aux haloth des formes différentes : en forme de clé pour la parnassa
pour Rosh Hashana, en forme de grosse natte enroulée pour Yom Kippour,
et en forme de hallah habituelle pour Souccoth.
Pour Yom Kippour, les familles avaient coutume de commander chez Kader des poulets vivants (des coqs pour les hommes, des poules pour les femmes,
et pour une femme enceinte on sacrifiait trois volailles : deux poules
et un coq ignorant le sexe de l’enfant à naître. Puis, chaque chef de
famille se préoccupait de s’assurer le concours d’un shohet pour
effectuer les kapparoth, et d’une ou deux femmes (fatmas) pour plumer et vider les volailles.
Comme
je l’ai dit précédemment, chaque famille disposait de ses propres
recettes et tous attablés dégustions les spécialités familiales. J’ai
pourtant remarqué que la plupart des mets comprenaient des quantités
énormes d’oignons.
La
veille de kippour les plus grands d’entre nous avaient pour charge
d’enfoncer des clous de girofle dans des coings ou des oranges pour nous
permettre, en respirant les effluves des épices, de remettre nos sens
affaiblis par le jeûne et ainsi, de faire de nombreuses bénédictions sur
les bonnes odeurs. Par la suite ces clous de girofle servaient à
parfumer les armoires.
Boulevard
de Provence, il y avait deux pâtisseries : La Poire d’Or et la
Princesse (pas la Princière qui était une autre pâtisserie située rue
Michelet) dirigée par Janvier. Ils assuraient que leurs petits fours aux
amandes ne contenaient rien d’autre que des œufs des amandes et du
sucre, ce qui entraînait les consommateurs à augmenter le choix des
pâtisseries maison proposées aux membres de la famille par des petits
fours succulents d’un autre genre.
Les
pâtisseries célèbres d’Alger étaient : "Fille" rue Bab Azoun, La
Princesse et la Princière qui élaborait des chefs d’œuvre ornés de roses
en sucre filé.
A
l’heure de l’apéritif, on croquait des cacahuètes grillées ou des
bliblis (pois chiches grillés) jaunes ou blancs (salés, les roses étant
sucrés), on dégustait aussi de grosses olives sévillanes ou des olives
maisons, puis, apparurent les olives "crespo".
Pour Yom kippour de nombreux jeunes-gens et jeunes-filles se dirigeaient vers la villa Stora
(campagne Stora). Située sur les contre-bas de la colline menant à leur
Dame d’Afrique, les jeunes faisaient ainsi des connaissances qui les
conduisaient souvent à contracter d’heureux mariages.
Nous
nous rendions à Saint Eugène et je dois reconnaître que pour nous, les
enfants, le grand jardin nous permettait de nous dépenser et de
grignoter nos casse-croûte sans déranger "les grands". Vers 16h00,
l’affluence augmentant nous savions que nous devions rejoindre nos
parents pour la birkat hakohanim entendre le son du shofar
et puis, lentement rentrer à la maison. La veille, nous avions laissé à
la synagogue un porte-monnaie avec un peu d’argent pour nous permettre
de prendre un autobus et regagner notre foyer.
Souccoth s’annoncer mais, en fait, peu de gens avaient l’opportunité de faire une soucca.
A
Marseille, ce fut pire. Mais, il y avait pratiquement toujours une
soucca à l’extérieur de la synagogue où nous nous rendions. Ceux qui
avaient la possibilité de construire la soucca se confrontaient parfois à
des problèmes de syndic d’immeubles qui exigeaient "la remise en l’état
dans les huit jours" !!! ce qui nous faisait toujours sourire puisque
souccoth dure sept jours .
Caroline Elishéva REBOUH
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