De la création de l’État d’Israël à aujourd’hui, le regard sur cette jeune nation a été profondément modifié par la nouvelle morale européenne, explique l’avocat Gilles-William Goldnadel.
Au moment où l’État juif fête ses 70 ans, il est non seulement
intéressant mais crucial d’interroger les raisons qui font que le regard
que les Français lui portent s’est modifié en profondeur.
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On peut tenter de tergiverser, on peut essayer, non sans raison,
d’opposer le regard médiatique et conformiste à celui de la France
charnelle. On peut se consoler en consultant des sondages en rien
catastrophiques. Il n’empêche. Quelles sont loin les années d’avant
l’indépendance où Français et sionistes faisaient corps pour forcer
clandestinement les barrages de la Royal Navy, les soutes des rafiots en
partance de Port-de-Bouc, pleines de réfugiés des camps
d’extermination. Elle est loin la IVe République socialiste et radicale,
celle des Bourgès-Maunoury, Félix Gaillard, Guy Mollet ou Christian
Pineau, prête à partir en guerre contre le nassérisme ou à permettre à
l’État hébreu d’assurer sa survie avec l’arme suprême.
Le tournant, le virage tragique, on le connaît: 1967, la guerre des
Six-Jours et la transformation symbolique du peuple de déportés en
nation occupante. Le changement est brutal: la victoire de la petite
armée hébreu contre l’armée du pharaon dans les sables du Sinaï, vécue
par le peuple de France comme une manière de miracle. Las, quelques mois
plus tard, le maintien de soldats dans des territoires où une large
partie de la population autochtone n’en veut pas autorisera dès lors la
dure réalité d’une occupation et les pires fantasmes des comparaisons
obscènes avec la période hitlérienne.
Que l’on m’entende bien: on peut parfaitement considérer, comme le
font au demeurant de nombreux Israéliens, que la poursuite de
l’occupation en Cisjordanie, et davantage encore la politique
d’implantations, aura gâché durablement la perception à l’étranger de la
nation israélienne.
Au rebours, on peut tout à fait soutenir que c’est l’irrédentisme de
l’islamo-nationalisme palestinien consubstantiellement antisémite, comme
en attestent encore récemment les propos de Mahmoud Abbas, qui a placé
l’État juif dans une alternative diabolique: céder les Territoires et
perdre un glacis stratégique existentiel ou les conserver au risque de
se perdre.
Mais l’essentiel, à mes yeux, est ailleurs: je veux soutenir ici que,
quel que soit le regard que l’on porte sur la politique israélienne,
celui que l’on porte sur l’État démocratique est rien moins que
rationnel et en dit long, non seulement sur l’État juif, mais plus
encore sur l’Occident.
Irrationnelle en diable
Et nous ne sommes plus dans la réflexion politique mais dans la
psychologie de l’inconscient collectif. Après juin 1967, mai 1968. La
première génération quasi adulte, frappée en plein cœur par la
révélation de la Shoah et des crimes de la collaboration. «Nous sommes
tous des juifs allemands!», crient les manifestants qui protestent
contre l’expulsion de Cohn-Bendit. Soudain, voilà que l’être juif
souffrant devient une qualité. «CRS SS!» L’absurde amalgame entre l’État
nazi et l’État-nation occidental. Une nouvelle religion postchrétienne
est née. Irrationnelle en diable. La Shoah est vécue comme une nouvelle
Crucifixion. Il faut dire que le Juif en pyjama rayé ressemble à s’y
méprendre à Jésus le juif crucifié: décharné, il ne sourit pas, il ne se
défend pas.
Et voilà où je veux en venir: l’Occident postchrétien venait de se
réconcilier avec son Juif autrefois honni: il n’était plus le déicide
mais au contraire le supplicié. Et voici que le Judéen israélien, le
Judas, faisait le coup de feu et devenait l’occupant! Celui qui adorait
le Juif en pyjama rayé ne pouvait, dépité, qu’abhorrer l’autre en
uniforme kaki. La nouvelle religion postchrétienne, profondément
honteuse du génocide suprême commis par le plus détestable de tous les
Occidentaux, est devenue fondamentalement antioccidentale et elle a tôt
fait de descendre de sa Croix le juif israélien déchu pour le remplacer
par un Nazaréen de Palestine censé vivre un nouveau calvaire.
Voilà dans quel cadre fantasmatique un jeune Français d’aujourd’hui a grandi sans le savoir.
Mais il y a autre chose, issu du même traumatisme historique, qui
explique pour quelles raisons l’angle du regard sur l’État juif a changé
et qui n’a rien à voir avec l’Israël septuagénaire et tout avec la
France contemporaine. C’est le regard que l’on porte aujourd’hui sur le
devenir d’un État-nation occidental, avec ses frontières et une identité
culturelle – pour ne pas écrire ethnique -, à protéger, voire à
défendre avec une police et une armée. À un moment où la réticence
envers une immigration étrangère illégale est vécue par une partie des
élites et des médias comme la manifestation de la xénophobie et du
racisme, comment vouloir que la force militaire israélienne soit vécue
comme il y a un demi-siècle? Sans parler, évidemment de la
transformation de la démographie française, qui fait que nombre de
nouveaux arrivants et davantage leurs descendants, ont été souvent
élevés dans l’hostilité à l’État du peuple juif, quand ce n’est pas à ce
dernier.
Quittons pour terminer la fantasmagorie collective qui explique la
réalité virtuelle pour revenir à la crudité du réel. Soixante-dix ans
plus tard, Israël a changé et n’a pas changé. Les kibboutzim existent
toujours, mais le rêve n’est plus le même. On ne confie plus ses enfants
à une garde commune pour leur enseigner l’idéal sioniste et
collectiviste. La société israélienne est dure aux faibles, y compris
aux derniers survivants de la Shoah. Le personnel politique israélien
est d’une rare médiocrité morale et intellectuelle, la faute du mode de
recrutement de celui-ci à la proportionnelle intégrale. Du temps de Ben
Gourion, ce n’était pas très grave: l’élite de l’armée et des kibboutzim
formait le corps des législateurs, mais à l’heure de la
professionnalisation des députés à la Knesset, le résultat est
consternant. Mais Israël, c’est aussi la start-up nation qui produit des
brevets d’invention, comme nulle autre, à foison. C’est encore, c’est
toujours, l’armée d’un peuple décidé à conjurer l’antique malédiction.
Surtout, Israël, assoiffé de paix pour autant qu’elle soit vraie et
définitive, est toujours menacé de destruction. De Gaza jusqu’à Téhéran
en passant par Sevran. Ontologiquement détesté. Furieusement diffamé.
Obsessionnellement observé.
Raison et déraison de plus, quel que soit le regard énamouré ou lucide qu’on lui porte, pour lui souhaiter bon anniversaire.
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Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Gilles-William Goldnadel. Publié avec l’aimable autorisation du Figaro Vox.
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