Mon père (en militaire)et son frère Raphaël qui fut l'ami intime de Trotsky
dont l'épouse décéda à son domicile de Corbeil-Essone après y avoir résidé deux ans
dont l'épouse décéda à son domicile de Corbeil-Essone après y avoir résidé deux ans
Dans l’obscurité de la chambre, des ombres tendent l’oreille. Alitée,
la vieille dame, dans le délire de son agonie, revoit son mari. « Ils
vont le tuer ! Empêchez-les »*, balbutie-t-elle. Jusqu’au bout, celle
qui a connu les grandes heures de la révolution bolchevique de 1917 aura
été hantée par ceux qu’elle appelait ses « fantômes au front troué ».
Jusque dans cette minuscule pièce où Natalia Sedova, seconde épouse de
Léon Trotsky, s’est éteinte à 79 ans le mardi 23 janvier 1962. Ici, en
banlieue parisienne, à Corbeil (Essonne), loin des drapeaux rouges de
son pays natal, loin des armes assassines de sa terre d’accueil.
La France, elle la connaît bien. La petite Russe, née en 1882, y
débarque dans sa jeunesse avec des idées déjà bien arrêtées sur la
révolution ouvrière. A Paris, où elle étudie l’histoire de l’art, la
militante reçoit la mission de trouver un logement à un certain Léon
Trotsky. En cette année 1902, elle n’a que 21 ans, lui 23. « A partir de
cette époque, ma vie ne se sépare plus de la sienne », écrira-t-elle.
Une vie d’exil à travers le monde. Une vie de deuils marquée par
l’assassinat de leurs deux fils. Une vie de traque. En effet, Trotsky,
l’un des dirigeants de la révolution d’Octobre, devient l’ennemi juré de
Staline. Des espions le suivent jusqu’au Mexique, où il a trouvé asile.
Le 24 mai 1940, un commando mitraille la maison du couple. Natalia
couvre son époux pour le protéger. Cependant, trois mois plus tard, le
20 août, elle ne peut lutter contre le piolet — tenu par Mercader, un
agent de Staline — qui lui fracasse le crâne.
Ses cendres rapatriées à Mexico pour rejoindre celles de Léon
Désormais veuve, elle se rend souvent à Paris, mais elle ne s’y
installe qu’en 1961. Rongée par le cancer, elle est envoyée à la fin de
l’année à Corbeil chez le docteur Zakine, qu’elle avait croisé en Russie
et revu à Barbizon (Seine-et-Marne), où elle a vécu en exil. L’homme
lui cède sa chambre. Des portraits de Marx et Trotsky veillent sur elle.
A ses gardes-malades, elle confie : « Je suis contente de vivre chez un
vrai communiste. » Par vrai communiste, il faut entendre trotskiste. «
Natalia, dont la vie fut si souvent tourmentée » a « passé ses dernières
semaines dans une atmosphère de chaude affection », remerciait plus
tard le trotskiste Pierre Frank au nom du Parti communiste
internationaliste (PCI).
Sa présence à Corbeil ne devait pas être ébruitée. « Je ne savais pas
qui elle était, se souvient Jacqueline, 17 ans à l’époque, une
laborantine chargée de lui faire des prises de sang. On m’avait dit de
ne pas poser de questions. Sur les étiquettes des flacons, il n’y avait
pas son vrai nom. » La nouvelle a pourtant dû se répandre. « J’ai vu des
scènes impensables. Des fanatiques trotskystes sont venus. Zakine leur a
dit que ce n’était pas le moment : ils voulaient enregistrer ses mots
», affirmait en 2004 devant la caméra de l’association d’histoire locale
Mémoire et Patrimoine vivant un ancien élu local. Ce qu’elle aurait
accepté juste avant de s’éteindre, le 23 janvier 1962 à 17 heures.
Sur sa dépouille a été posé en guise de linceul le drapeau rouge
frappé de la faucille et du marteau. Les obsèques se tiennent le 29
janvier au Père-Lachaise (Paris XX e). Morte dans l’anonymat, elle est
entourée ce jour-là de 800 personnes. Quatre mille faire-part ont été
envoyés. Les fleurs arrivent du monde entier. « Natalia était devenue
[…] l’incarnation de plusieurs chapitres de l’histoire du mouvement
ouvrier. Ce qui pour la plupart des générations actuelles est connu par
les livres, elle l’avait vécu », célèbre Pierre Frank. L’écrivain André
Breton la compare aux « plus grandes figures de l’Antiquité ». Alors que
la foule entonne « le Chant des martyrs » et « l’Internationale », ses
cendres encore chaudes prennent la route de Mexico pour s’unir à celles
de Léon. « Ça a été le plus bel enterrement de ma vie », se serait
exalté le régisseur des pompes funèbres, de retour à Corbeil.
* Propos rapportés par « le Républicain de l’Essonne » du 26 janvier 1962.
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