jeudi 15 mars 2018

LE SOUFFLE DU SIROCCO DE HUBERT ZAKINE


Roland ravala ses angoisses et tapa la pancha comme au temps de Padovani, des Horizons bleus ou de la Madrague, les plages algéroises que fréquentait la bande. A Alger, la fidélité était un maitre mot. Une bande de garçons choisissait une plage, un café, un stade et s’en tenait une fois pour toutes. Cela était également valable pour les familles qui désiraient garder un œil sur les faits et gestes de leurs filles, réputation oblige !
Paulo étonnait à plus d’un titre, plaisantant avec les naïades comme au bon vieux temps de l’insouciance. Lorsque Padovani l’enroulait dans ses vagues pour une journée de folie et que le trajet  plage-rocher plat décernait un brevet de natation aux yeux des copains et, surtout, des petites amoureuses.
Aujourd’hui, les amourettes avaient déserté les plages algéroises pour se perdre dans les  frimas de l’hexagone. Paulo noyait son désespoir en riant à gorge déployée à la moindre plaisanterie comme s’il refusait le mal qui le rongeait. Où puisait-il la force de sourire et de montrer le même visage qu’autrefois ? Ses amis tentaient de ne pas laisser apparaitre le moindre signe de faiblesse afin que sa détermination ne soit pas troublée par la morosité de Roland qui ne parvenait pas à dissimuler sa colère.
Richard tenta de le  distraire en lui proposant de jouer aux têtes comme ils le faisaient jadis lorsque la pluie les calfeutrait à l’abri d’une entrée de maison. Mais le cœur n’était pas à la fête dans le cœur de l’américain.
--Allez pour Paulo, mets ton chagrin dans ta poche et viens lui montrer ton visage de babao ! Qu’est-ce  que tu crois, on a tous envie de se taper la tête contre les murs mais pour Paulo, on n’a pas le choix. Il veut voir l’insouciance dans nos yeux  pour être heureux.  On lui doit bien ça, putain !
--Excuse-moi……… allez viens on va les rejoindre dans l’eau !  Proposa Roland en se souvenant de ses folles cavalcades  à Padovani.
Des Aya zoumbo, longs comme le bras, accompagnèrent les plongeons des deux amis qui éclaboussèrent Victor qui discutait sagement avec une naïade. Aya zoumbo était le cri poussé par les garçons pour se donner du courage lors d’une rixe, d’un plongeon, d’une course à pied ou de quelque effort à fournir.
Paulo qui devenait leur seule préoccupation riait et c’était bien là le principal. Le bonheur de l’enfance avait pris le virage du malheur mais si le cœur saignait,  restait l’amitié du moment à partager avec Paulo.
Les cinq amis regagnèrent les serviettes allongées sur le sable.
--Putain, le sable, il est froid ! Ma parole, il  n’est pas brulant comme chez nous!
--A La Madrague, on pouvait pas marcher tellement qu’il était chaud! On courait pour pas attraper des ampoules. Exagéra Victor qui n’était pas à une approximation près.
--Bardah ! Il était brulant entre midi et deux heures quand Kadour y tapait un maximum.
--Putain, j’avais oublié qu’on appelait le soleil, Kadour !
En Amérique, Roland avait oublié les mille petites choses qui faisaient d’un enfant d’Alger un être à part  mais les amis étaient là pour lui rafraichir sa mémoire assassinée.

*****

Ils étaient, là, tous les cinq.   Silencieux. A goûter l’instant présent. Assis face à la méditerranée. Tels des enfants devant une tendre amie qui berça leur jeunesse. Qu’ils avaient délaissée bien malgré eux, qu’ils retrouvaient certes, plus froide, moins bleue et moins iodée mais toujours aussi belle. Maitresse des étés somptueux qui offrait sa nudité à chaque coin de rue, surgissant de partout  pour rappeler que la ville  était fille de méditerranée. Complice des premiers balbutiements amoureux qui les déposèrent, un jour de pluie, sur l’autre trottoir de la France.
Ils profitaient de ces moments d’éternité qu’ils savaient être les derniers. Ultime saison resplendissante   avant  l’automne de la solitude et l’hiver de l’inhumaine séparation. Après le désespoir de l’amputation de la fratrie, viendra le temps de La cruelle absence.  
Profiter du temps présent, humer l’air pur de l’amitié, taper cinq en douceur, parler encore et toujours des rencontres au stade municipal ou à Saint-Eugène, évoquer le jardin Guillemin, sa fontaine et son manège, les andar et venir de l’avenue de la Bouzaréah, pour un appel au secours déguisé en retrouvailles. Et pour rien au monde, il fallait s’y soustraire.
Les amis avaient répondu présent comme un seul homme. Quel plus bel exemple que cette amitié d’enfance qui sut résister à l’éparpillement du  féroce exode pour un dernier été de feu?  Il fallait enfouir sa rancœur devant la maladie et rire comme avant, taper cinq comme avant, se souvenir de l’enfance, faire comme si l’amitié devenait  une ile déserte où le temps se figeait avant l’ignominieuse vérité. C’est ça, faire comme si………………….

 


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